…Aujourd’hui, il est temps de nous poser la question : même si cette rencontre a lieu, est-elle si importante ? Que peut-elle changer, au fond, dans les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ? C’est ce que nous allons voir.
Si Trump Kim Jong-Un se rencontrent, quel est le résultat attendu ? La réponse à cette question pourrait faire l’objet d’un livre, mais voici la réponse lapidaire : rien. Le pouvoir nord-coréen est guidé par une idéologie politique appelée « Juche », que l’on traduit grossièrement par « autonomie ». En langage pragmatique, cela signifie réunifier les deux Corée – selon des conditions qui perpétueraient le régime de Kim et lui laisseraient le contrôle – et chasser l’influence américaine de la région. Toutes les parties pourraient s’accorder sur le fait que la réunification est souhaitable, mais pas si cela subordonne la Corée du Sud à la Dynastie des Kim. Chasser l’influence américaine de la région n’est pas envisageable pour la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon. Les États-Unis pourraient peut-être accepter de retirer les armes nucléaires de Corée du Sud, si la Corée du Nord renonce à ses armes nucléaires de façon vérifiable, mais la Corée du Nord ne renoncera pas à ses armes, à moins que les États-Unis ne se retirent de la région. Autrement dit, les parties ont des objectifs incompatibles. Cela devrait être clair pour tous ceux qui sont concernés.
Si c’est vrai, quel est l’intérêt d’un sommet ? Dans le cas de Kim, cela ne coûte pas grand-chose. Il peut continuer à développer son programme de missiles nucléaires, même sans procéder à des lancements et explosions, le temps des pourparlers. Les concessions accordées sur les exercices militaires américains, en attendant, ne lui coûtent rien non plus, car les États-Unis les auraient menés de toute façon. Kim espère peut-être que les États-Unis ou la Chine assoupliront les sanctions le temps des pourparlers. Si c’est le cas, c’est « tout bénef » pour Kim. Du point de vue des États-Unis, Trump surestime peut-être ses talents de négociateur. Trump n’est pas un négociateur international aguerri, contrairement à Nixon ou Kissinger, et Kim n’est pas un promoteur immobilier new-yorkais. Trump peut au moins faire en sorte que les États-Unis ne renoncent à rien d’important. Sans reprise des essais, et malgré les progrès techniques, il est peu probable que la Corée du Nord parvienne à constituer un arsenal de missiles intercontinentaux à ogives nucléaires capables de menacer les États-Unis. Trump marquera sûrement certains points, sur le plan politique, pour avoir accepté de rencontrer Kim. En bref, les deux camps n’ont presque rien à perdre et peut-être un peu à gagner, en menant ces pourparlers. C’est une bonne raison pour aller de l’avant, mais ce n’est pas une bonne raison pour s’attendre à une avancée. Des deux côtés, on en retire un certain prestige et on gagne du temps. Pour autant, on ne devrait pas s’attendre à ce que cela aboutisse à des progrès concrets.
Si le sommet n’a pas lieu, que se passera-t-il, ensuite ? Repartirons-nous sur le sentier de la guerre ? Si le sommet n’a pas lieu, ou s’il a lieu et n’aboutit à rien de concluant, alors les États-Unis et la Corée du Nord repartiront sur le sentier de la guerre. La probabilité d’une guerre repose sur deux positions simples et incompatibles. La Corée du Nord veut un arsenal de missiles intercontinentaux à ogives nucléaires, afin de s’assurer que le régime de Kim demeurera au pouvoir. Les États-Unis ne permettront pas que la Corée du Nord dispose d’un tel arsenal car cela mettrait en danger l’existence de la civilisation américaine. Il n’y a pas de juste milieu, en ce qui concerne ces deux positions. Début décembre 2017, les États-Unis et la Corée du Nord étaient sur le sentier de la guerre, probablement à quelques mois de voir un conflit éclater.
C’est alors qu’un « gel mutuel » tacite s’est produit. Le gel mutuel signifiait que la Corée du Nord gelait ses essais d’armes nucléaires et que les États-Unis acceptaient de geler les exercices militaires concernant la Corée. Le gel mutuel était la position privilégiée par la Corée du Nord, la Russie et la Chine. Les États-Unis n’étaient pas d’accord car ils refusaient de négocier avec la Corée du Nord avec des conditions préalables, et ils ne voulaient pas que celle-ci dicte le rythme des exercices militaires américains. Toutefois, un gel mutuel tacite s’est tout de même produit car la Corée du Sud a demandé aux deux camps de cesser leurs actes de provocation pendant les Jeux olympiques d’hiver, qui se sont tenus en Corée du Sud, en février. Les États-Unis ont accepté discrètement, sans perdre la face. La Corée du Nord a également cessé de lancer des missiles depuis novembre. La dernière explosion nucléaire nord-coréenne a eu lieu en septembre 2017. Un gel mutuel s’est produit sans formalités et sans déclarations publiques de part et d’autre. La pendule s’est arrêtée de tourner sur le sentier de la guerre et la chronologie a été reportée. À présent, le gel mutuel est révolu, et les États-Unis ont l’intention de mener des exercices militaires au mois d’avril. Mais l’expiration du gel mutuel pourrait bien être remplacée, désormais, par les pourparlers de paix, s’ils peuvent être organisés.
Mais si les pourparlers ne produisent rien, comme nous le pensons, alors le compte à rebours reprendra et les deux camps repartiront sur le sentier de la guerre dans le courant de l’année. D’ici-là, Kim aura accompli de grands pas, sur le plan technique, en matière de systèmes de guidage, de conception d’ogives nucléaires et de miniaturisation, même sans essais de missile ou explosions. À partir de là, il pourrait passer en mode « rupture » et reprendre ses essais afin de valider et perfectionner ses nouvelles technologies en quelques mois, voire moins. À ce stade, les États-Unis entreront en guerre contre lui pour l’arrêter. Les investisseurs peuvent probablement être tranquilles, pour l’instant, en ce qui concerne la Corée du Nord. Les six prochains mois devraient être paisibles, malgré les innombrables gros titres affirmant que le sommet est programmé ou annulé, où à quel endroit il aura lieu. Malgré tout, d’ici fin 2018, nous en serons au même point que fin 2017, sauf que tout pourra s’embraser encore plus facilement. Souhaitons que cela se termine le mieux possible. Mais préparons-nous tout de même au pire…
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