EDF SABORDE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

EDF vient de présenter en conseil d’administration sa stratégie énergétique long terme. Alors que le coût du solaire et de l’éolien baisse chaque année – il est déjà moitié moins cher que le nouveau nucléaire -, que la Belgique confirme sa sortie du nucléaire en 2025 et que le Portugal a couvert en mars plus de 100 % de ses besoins en électricité par des sources renouvelables, EDF défie son actionnaire principal, l’État, et s’entête dans le tout nucléaire. Le groupe confirme ne pas avoir l’intention de fermer de réacteur nucléaire, hormis ceux de Fessenheim, avant 2029, mettant en péril sa rentabilité et sa viabilité avec des surplus d’électricité qui vont faire chuter les prix de vente pour les producteurs. Par cet entêtement il met également en péril les emplois des filières des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique et risque d’accentuer le retard de la France dans ces activités d’avenir.

L’État a démontré son incapacité à faire évoluer EDF

Depuis plus de 10 ans, l’État a démontré son incapacité à faire évoluer le groupe EDF. Déjà en 2007, le Grenelle de l’environnement, avec son modèle original de concertation entre collèges d’acteurs, avait permis de sortir du dialogue fermé avec quelques lobbies défendant leur pré carré et de donner un cap vers un futur davantage orienté vers l’intérêt général. Son engagement n° 62 marquait un tournant : « Les programmes de maîtrise de la demande d’énergie et de développement des énergies renouvelables entraîneront une baisse mécanique de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français ». Face au risque de « l’effet falaise », avec la fin de vie en même temps de nombreux réacteurs nucléaires construits à la même époque, la loi sur la transition énergétique a fixé un cap à la baisse du nucléaire avec 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025. Elle a ainsi donné une nouvelle ambition pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.

Une faillite annoncée

Mais EDF ne l’entend pas de cette oreille. En difficultés financières avec une dette qui a quasiment triplé en dix ans, un excédent brut d’exploitation au plus bas depuis 2006 et un mur d’investissements à venir de près de 160 milliards d’euros sur dix ans, (1) l’entreprise s’entête dans une stratégie suicidaire : prolonger le plus possible les réacteurs nucléaires. Il n’y a pas de débouchés pour cette production d’électricité alors que la consommation décroît en France depuis plusieurs années et que les renouvelables se développent ? EDF invente le mythe des exportations massives vers les pays voisins !

EDF s’entête dans une stratégie suicidaire : prolonger le plus possible les réacteurs nucléaires

Ces pays n’envisagent pas d’importer cette électricité, d’où un risque de surcapacité en France qui entraînerait un effondrement du prix de marché de l’électricité mettant en péril la rentabilité des producteurs d’électricité, en premier lieu EDF (2) ? Pas de souci, l’État renflouera EDF qu’il ne peut pas laisser s’écrouler. Les contribuables paieront. EDF va même jusqu’à proposer la construction de trois nouveaux EPR, ces réacteurs de nouvelle génération qui font régulièrement parler d’eux par des défauts de fabrication et des coûts et délais sans cesse croissants.

Nous n’avons pas besoin d’EPR produisant une électricité deux fois plus chère que celle d’origine renouvelable. L’enjeu n’est pas là, l’objectif est seulement d’avoir des « EPR-témoins » pour tenter d’en exporter vers des pays émergents. L’argent serait mieux investi dans des solutions moins coûteuses et plus rapides à mettre en œuvre comme l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Oui, mais EDF serait alors face à des concurrents qui ont déjà pris de l’avance sur ces marchés et le groupe s’engage à commencer à investir dans le solaire en France… mais seulement en 2020.

Schizophrénie gouvernementale

Que répond le gouvernement ? Tiraillé entre son rôle de pilote de la transition vers un modèle énergétique d’avenir et celui d’actionnaire majoritaire d’EDF, il semble incapable de parler d’une voix forte et unique et propose, comme ses prédécesseurs, de reporter à plus tard les décisions. Emmanuel Macron se fait pourtant l’avocat de la modernité en déclarant : « Ne pas freiner le changement car il est en marche (…) mais essayer d’être à l’avant-garde de ce changement (…). Le changement peut détruire des emplois à très court terme, mais en créer parallèlement de nouveaux dans d’autres secteurs. » Beau discours… malheureusement contredit dans les faits.

Le ministère de la transition écologique et solidaire a déjà fait son choix sur le nucléaire

Le ministère de la Transition écologique et solidaire a ainsi déjà fait son choix sur le nucléaire, sans même avoir précisé ses orientations en matière d’évolution de la consommation d’énergie ou de développement des énergies renouvelables : dans le dossier qu’il a remis au débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie, il précise que le gouvernement sera à l’écoute des retours du public sur les variantes des scénarios de RTE appelés « Volt » et « Ampère », ceux qui prévoient le moins de fermetures de réacteurs nucléaires (seulement 9 ou 16 réacteurs fermés sur les 58 actuels d’ici 2035) et des exportations massives d’électricité équivalentes à la production de 20 réacteurs nucléaires.

Les Français préfèrent les renouvelables au nucléaire

Les Français sont pourtant clairs. Selon un récent sondage BVA, ils sont très majoritairement favorables à des sources d’électricité renouvelables (à 90 % au solaire et à 84 % à l’éolien par exemple), mais en revanche défavorables au nucléaire à 57 %. Prolonger des réacteurs nucléaires, avec les risques et déchets associés, uniquement pour exporter hypothétiquement de l’électricité vers des pays voisins n’est donc pas une option acceptable. D’autant que les difficultés à exporter notre surplus d’électricité nous amèneraient à freiner le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergie, investissement pourtant les plus utiles et sans regret.

Le gouvernement ne peut pas laisser EDF ramener la France en arrière

Alors que le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est en cours, le gouvernement ne peut pas rester sourd aux attentes des Français et laisser EDF ramener la France une décennie en arrière. La baisse de la puissance nucléaire installée est inéluctable pour laisser la place aux alternatives plus durables et plus compétitives comme les énergies renouvelables.

Elle devra être actée dans la PPE dès 2023 avec une trajectoire chiffrée pour éviter des investissements inutiles dans la prolongation de réacteurs amenés à être fermés prochainement. Elle devra aussi préciser les moyens d’engager cette baisse du nucléaire comme une fiscalité sur le combustible nucléaire, ce qui permettra par ailleurs de dégager des moyens financiers pour accompagner les salariés et les territoires concernés par les fermetures de réacteurs vers des activités d’avenir. Alors que la Chine et l’Inde prennent le leadership dans les énergies renouvelables, la France d’Emmanuel Macron va-t-elle aggraver son retard en regardant sans cesse avec nostalgie vers son passé ?

Notes:

  • 1. Investissements entre 2018 et 2027 pour Hinkley Point, grand Carénage, Plan Cap 2030, EPR de Flamanville, réseau, gestion des actifs à l’étranger, plan solaire.
  • 2. Lire notamment cette étude http://www.iddri.org/Publications/L-Energiewende-et-la-transition-energetique-a-l-horizon-2030

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/anne-bringault/edf-saborde-transition-energetique/00084130