Pour se débarrasser des tonnes de déchets que produit chaque année l’énergie nucléaire, les scénarios se multiplient, mais à ce jour, aucun ne peut raisonnablement être validé, à moins de ne pas se soucier des générations qui suivront la nôtre.
Ces déchets sont là, pour longtemps, et ils s’accumulent chaque jour un peu plus, puisqu’une centrale nucléaire en produit chaque année des dizaines de milliers de tonnes, dont des milliers de tonnes de déchets très dangereux.
On pourrait légitimement s’interroger sur de tels choix énergétiques, en se disant qu’il fallait peut-être réfléchir avant de se lancer dans cette filière, sans avoir eu en même temps la solution pour gérer le démantèlement de ces centrales nucléaires et les déchets qu’elles ont produit.
Ce démantèlement avait été chiffré plutôt légèrement par EDF, qui dans un calcul très optimiste, l’avait fixé à 350 millions par réacteur, soit pour les 58 réacteurs français, la somme déjà coquette de plus de 20 milliards d’euros.
Sauf que dans le reste de l’Europe, on a provisionné entre 900 millions et 1,3 milliards d’euros par réacteurs…ce qui veut dire qu’il aurait fallu prévoir pour notre pays au moins 60 milliards d’euros.
D’ailleurs, un rapport parlementaire rendu en février 2017 n’hésite pas à évoquer une coupable sous-évaluation des estimations actuelles. lien
Pour réaliser l’évidence de cette sous-évaluation, il suffit de prendre l’exemple du démantèlement de Creys-Malville, qui coûte chaque année, juste en budget de fonctionnement, la coquette somme de 19 millions d’euros…qui a commencé en 2006 et qui devrait se terminer en 2029…si tout se passe bien…lien
Soit plus de 23 ans pour le démantèlement d’un seul réacteur, c’est à dire près de 450 millions destiné uniquement à assurer le salaire du personnel engagé dans cette longue opération.
Mais il y a plus grave, car à la lumière du démantèlement en cours au Japon, avec la centrale dévastée de Fukushima, on est encore très loin des évaluations européennes, puisqu’il est question de 60 milliards d’euros pour le démantèlement du site, soit 4 fois plus que ce qui était envisagé. lien
En faisant une simple règle de 3, le démantèlement des 58 réacteurs français devrait coûter donc au bas mot au moins 870 milliards d’euros… bien loin des 20 milliards envisagés actuellement par EDF.
Allons encore plus loin, car le démantèlement ne prend pas en compte la gestion des déchets les plus dangereux.
Il y a maintenant une polémique sur le prix de Cigéo de Bure, ce projet qui consisterait à enterrer 9000 tonnes de déchets à 500 mètres de profondeur, et ceci pour des milliers d’années, 100 000 ans au bas mot, voire un million d’années pour les plus dangereux, sans évidemment garantir la pérennité du stockage, mission impossible, ni la totale sécurité pour les habitants du secteur d’aujourd’hui…et de demain. lien
Alors que l’état fixe le prix de Cigéo à 28 milliards, d’autres contestent ce prix, d’autant que l’ANDRA l’avait estimé auparavant à 35,9 milliards d’euros. lien
Oublions ces chiffres qui donnent le tournis, et penchons-nous sur le projet d’enfouissement.
Comment imaginer ce que serait ce paysage dans mille ans, dans 10 000 ans, voire dans 1 million d’années ?
Il suffirait d’imaginer un simple glissement de terrain, une montée des eaux, voire un bombardement lors d’un conflit mettant à nu ces déchets enterrés à 500 petits mètres de profondeur.
Au-delà de l’insécurité géologique, il y a l’insécurité logistique : les déchets de haute activité ne pourraient être stockés dans un lieu confiné avant 2075, car ils nécessitent d’être ventilés pendant plusieurs années.
À ces 2 insécurités, il faut en ajouter 4 autres définies par Greenpeace : l’insécurité économique, l’insécurité scientifique, l’insécurité chronologique, et évidemment l’insécurité historique. lien
Une étude a été faite sur l’évolution du paysage sur une durée de 6000 ans dans le delta de l’Achéloos, en Grèce, démontrant que sur une période relativement courte, de profondes transformations s’opèrent. lien
On connait bien la théorie d’Alfred Wegener qui, se basant sur la tectonique des plaques, démontre l’écartement des continents sur une période finalement pas si longue, 174 millions d’années en l’occurrence comme on peut le constater sur cette animation. lien
Comment pourrait-on affirmer sérieusement que sur 100 000 ans, voire 1 million d’années, la région de Bure ne subirait pas la moindre transformation ?
D’autres évoquent une hypothétique « transmutation » qui devrait permettre de réduire la quantité de déchets très dangereux…mais comme on voit, c’est du conditionnel, (lien) et personne n’a oublié le fiasco technique et financier de « Superphénix », à Creys-Malville, lequel était justement destiné à utiliser comme combustible des déchets radioactifs que le réacteur fabriquait, d’où l’idée de Phénix, cet oiseau qui renaissait de ses cendres.
Sauf que le refroidissement des circuits était à base de sodium liquide, produit instable, qui brûle au contact de l’air, et explose au contact de l’eau, sachant qu’il y en avait 6000 tonnes, et que personne à ce jour ne peut éteindre un feu de plus d’une tonne. vidéo
D’autres imaginent de charger les combustibles les plus dangereux dans une fusée et de les envoyer dans le soleil…
Pourquoi pas ?…
Mais sachant qu’une fusée classique ne peut transporter qu’un peu moins de 5 tonnes, et quelle coûte entre 70 et 150 millions d’euros (lien) alors qu’il faudrait se débarrasser d’au moins 9000 tonnes de déchets dangereux, il faudrait donc envoyer dans le soleil près de 2000 fusées, pour un minimum de 200 milliards d’euros…lien
Sauf que dans ce cas-là, il ne s’agit pas d’aller dans la banlieue de la Terre, mais dans celle du soleil.
Une fusée destinée à aller près du soleil coûte évidemment beaucoup plus cher, s’il faut en croire la mission Parker, consistant pour la NASA à faire un tour du côté du soleil, puisque l’opération a couté 1,5 milliard de dollars, soit quasi dix fois plus qu’une fusée « traditionnelle ». lien
Il faudrait donc engager une dépense de près de 2000 milliards d’euros pour envoyer dans le soleil une partie de nos déchets nucléaires.
Finalement la « moins pire » des solutions serait de vider les centrales fermées, et de les recouvrir de terre pour l’éternité, après les avoir vidé des déchets les plus dangereux…
L’addition commence à être lourde si on essaye d’ajouter à cette facture, celle du démantèlement de tous nos réacteurs nucléaires, de quoi finalement se dire que le nucléaire est largement plus cher que toutes les énergies propres, et non fossiles.
S’il faut en croire le nouveau patron du nucléaire en France, il faut renoncer d’envisager que le nucléaire soit compétitif avec les énergies propres, et il déclarait en 2017 : « l’idée de produire une électricité meilleur marché que les énergies renouvelables a clairement disparu ». lien
On comprend mieux le découragement qui a dû gagner l’ex-ministre de l’environnement, Nicolas Hulot, pour ne pas le nommer, lorsqu’il a appris que son 1er ministre préparait dans son dos le lancement de 6 nouveaux EPR, d’autant que ces réacteurs « nouvelle génération » sont loin de tenir leurs promesses, en coût et en temps de mise en œuvre. lien
Celui que l’on tente d’ouvrir à Flamanville a vu son prix tripler…et devait être inauguré en 2012…il est question maintenant de 2020. lien
On en vient à se dire, devant l’entêtement de ce gouvernement, et de ceux qui l’ont précédé, que rien ne changera tant qu’un accident majeur ne se sera pas produit sur le territoire national…d’autant que de nombreuses centrales, parmi les plus vieilles du pays ne se trouvent qu’à quelques kilomètres des grandes métropoles nationales.
Bugey, par exemple, n’est qu’à 30 petits kilomètres de Lyon, et cette vieille centrale se délabre chaque jour un peu plus.
Ajoutons pour faire bonne mesure que la centrale nucléaire de Nogent n’est qu’à 94 km de Paris…
L’ASN (autorité de sûreté nucléaire) multiplie les mises en garde, en vain.
La centrale de Bugey fuit de tous les côtés, elle manque d’effectifs, elle a dépassé la limite d’âge, et ses canalisations rouillées se dégradent chaque jour un peu plus. lien
Et ce n’est pas la seule en France : elles sont nombreuses à afficher un délabrement grave, mais ça ne semble pas inquiéter nos dirigeants. lien
En effet, il y a longtemps que le bon sens semble avoir quitté les décideurs de tout poil, et comme dit mon vieil ami africain : « qui crache en l’air reçoit tout sur la figure ».
L’image illustrant l’article vient de « le grand changement »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel, le mardi 2 octobre 2018
https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/le-nucleaire-nous-enterrera-tous-208169
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