DIMINUER LA PART DU NUCLÉAIRE ? EMMANUEL MACRON TENTÉ PAR L’IMMOBILISME

Le président de la République doit donner la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années le 27 novembre.

C’est l’histoire d’une décision qui ne cesse d’être repoussée, tant elle est difficile à prendre pour Emmanuel Macron. Après plusieurs mois de tergiversations, le président de la République va présenter, mardi 27 novembre, la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années. Dans le sobre vocabulaire administratif français, cela s’appelle la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE.

Ce texte doit présenter une trajectoire précise pour que la France diminue ses émissions de CO2, réduise sa consommation d’énergie et développe les énergies renouvelables. Il doit aussi résoudre une équation politiquement ardue : comment diminuer la part du nucléaire en France, et donc respecter la loi de transition énergétique votée en 2015 et les engagements de campagne du candidat Macron ?

L’objectif de la loi était clair : passer de 75 % à 50 % de nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025. Quelques mois après son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a poussé Nicolas Hulot – alors ministre de la transition écologique et solidaire – à renoncer à cet objectif. La PPE devrait acter noir sur blanc le report à 2035 de cet horizon.

Après le départ de Nicolas Hulot, l’Elysée se sait très attendu sur les questions environnementales. À l’inverse, l’exécutif doit faire face au mouvement des « gilets jaunes », qui illustre les difficultés de la transition écologique. La ligne de crête est donc étroite pour Emmanuel Macron, qui pourrait être tenté par l’immobilisme.

Faut-il arrêter de manière anticipée des réacteurs ?

Le dossier nucléaire se concentre maintenant autour de deux questions principales : faut-il arrêter de manière anticipée des réacteurs ? Et faut-il lancer la construction de nouveaux EPR, à l’image de celui de Flamanville (Manche) ?

Le premier sujet sur la table est le plus délicat. L’arbitrage présidentiel n’est pas encore pris, mais tout porte à croire que l’exécutif va choisir la voie la plus prudente. Autrement dit : aucun calendrier précis de fermetures de réacteurs ne sera arrêté dès maintenant.

« On ne va pas dire ce qui va se passer dans sept ans », explique un conseiller de l’exécutif, qui précise : « On va donner un chemin, un objectif politique, décrire les contraintes et évoquer des options. » En clair, le gouvernement va évoquer des scénarios qui, s’ils se réalisent, permettront de s’engager plus tard sur la fermeture de tel ou tel réacteur. L’un des avantages de cette orientation est qu’elle permettrait aussi d’éviter de verser des indemnisations conséquentes à EDF pour des fermetures anticipées de réacteurs.

Depuis plusieurs semaines, c’est une guerre sourde qui se livre à ce sujet au sein du gouvernement. « C’est le grand écart entre les ministères », euphémise un conseiller ministériel. D’un côté, le ministère de la transition écologique milite pour obtenir la fermeture de six réacteurs nucléaires dans les dix prochaines années – en plus des deux de la centrale de Fessenheim, qui doivent s’arrêter avant 2020. C’est le chiffre qu’avait obtenu Nicolas Hulot au moment de sa démission, mais qui a depuis été remis en cause.

Risque de déstabiliser EDF

De l’autre, Bercy colle au scénario défendu par EDF, qui ne voudrait fermer aucun réacteur avant 2029. Il faudrait pour cela obtenir de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le droit de prolonger la durée de vie des réacteurs. EDF assure ensuite qu’une douzaine de réacteurs devront être débranchés sur la période 2029-2035.

« La tentation de se dire “on va régler les problèmes en les renvoyant à plus tard” existe malheureusement », déplore un conseiller ministériel. « Il est de toute façon impossible de rendre tout le monde content avec cette PPE », résume François Dos Santos, de la CGT-Énergie.

Emmanuel Macron le sait bien, lui qui a largement restructuré la filière nucléaire pour faire face à la déroute d’Areva, lorsqu’il était à Bercy. Réduire la part du nucléaire en France, c’est prendre le risque de déstabiliser EDF – qui se trouve déjà dans une situation économique fragile. Ne rien faire, c’est repousser le problème à plus tard : alors que certaines centrales atteignent l’âge vénérable de 40 ans, c’est aujourd’hui qu’il faut prendre les décisions pour l’avenir. C’est aussi prendre le risque d’une crise politique avec les écologistes de la majorité, dont le ministre de la transition écologique François de Rugy, militant antinucléaire depuis de longues années.

L’autre sujet majeur à résoudre est tout aussi épineux : le gouvernement va-t-il lancer la construction de nouveaux réacteurs ? Un consensus émerge sur un point : une telle décision ne peut être prise avant la mise sur le réseau de l’EPR de Flamanville – a priori en 2020, si le chantier ne connaît pas de nouveau décalage.

Mais là aussi, les interprétations sont divergentes. « Je ne vois pas comment on pourrait décider aujourd’hui de commander de nouveaux EPR », a assuré François de Rugy sur Europe 1 dimanche, en estimant que « l’avenir de la filière nucléaire n’est pas garanti ». Son ministère plaide pour repousser la décision sur d’éventuelles constructions au prochain quinquennat, après 2023.

Ligne prudente

À l’inverse, Bercy et EDF plaident de concert pour une annonce rapide après la mise en service de Flamanville et pour un plan de construction de plusieurs EPR – entre deux et six. L’objectif : faire baisser les coûts de l’EPR en misant sur l’effet de série. Le sujet est vital pour la filière : « Si les constructions ne reprennent pas, la perte de compétences peut être mortelle pour le nucléaire français », estime un patron français du secteur.

Pour se sortir de cet imbroglio politique, l’Élysée et Matignon veulent minimiser le sujet du nucléaire dans le débat. « Au sein de la PPE, les sujets les plus importants sont ceux qui concernent les transports et le logement », évacue un conseiller de l’exécutif. Une manière d’insister sur le fait que la priorité est de réduire les émissions de CO2 de la France – en hausse en 2017 – alors que la production d’électricité nucléaire ne contribue pas au réchauffement climatique.

Mais cette ligne prudente risque de ne pas satisfaire au sein même de la majorité. « C’est la crédibilité de notre politique écologique qui se joue. C’est le moment clé du quinquennat », prévient le député LREM Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot. D’autant que le maintien du parc nucléaire en l’état rend moins urgent le développement des énergies renouvelables. Le gouvernement pourrait ainsi attendre 2028 et le début des fermetures de réacteurs pour accélérer sérieusement dans le domaine.

Les associations écologistes n’ont pas attendu les annonces de Macron pour marquer leur désaccord. « Le gouvernement plie sous le poids des lobbys », estime ainsi Anne Bringault, du CLER, une fédération d’ONG soutenant la transition énergétique, alors que Greenpeace accuse Emmanuel Macron de vouloir « défendre bec et ongles le nucléaire, vieux et neuf, peu importe les coûts astronomiques, les dangers et les déchets ».

Par Nabil Wakim et Virginie Malingre, publié le 21 novembre à 11h44

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