NICOLAS HULOT, FLASH-BACK ET COME-BACK

Trois mois après sa démission qualifiée d’impulsive par la macronie, l’ex-ministre de la Transition écologique revient dans le débat public ce jeudi soir sur France 2. Et devrait réaffirmer la dimension politique de ses désaccords avec l’exécutif.

Nicolas Hulot aura mis trois mois à sortir de la diète médiatique qu’il s’est imposée après sa démission fracassante au micro de France Inter, fin août. Ce que dira l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire ce jeudi soir sur le plateau de l’Émission politique (France 2) sera analysé, décortiqué, ressassé. Revient-il en colère, plein de rancœur contre Emmanuel Macron et Edouard Philippe ? Ou déprimé, contrit d’avoir claqué la porte sur un coup de sang ? L’exécutif et la majorité répètent à l’envi que l’écologiste est un impulsif, que sa démission n’aurait rien à voir avec un désaccord de fond sur la politique du gouvernement. Mardi, à Bruxelles, le Président a assuré avoir eu son ancien ministre «il y a quelques jours au téléphone» : «C’est un ami, un homme libre […]. Il a démissionné pour des raisons personnelles que je respecte.»

Sauf que ce récit ne correspond pas à la réalité. Hulot est parti car il n’en pouvait plus de ne pas être entendu, de n’avoir ni autonomie ni pouvoir réel. De devoir se battre pied à pied contre tout le monde et sur tout face à l’Élysée, Matignon, Bercy ou le ministère de l’Agriculture. Même s’il ne revient pas à la télévision pour tout déballer car il ne veut pas «ajouter de la division à la division», comme il l’a dit le jour de sa démission, Hulot en a gros sur le cœur. Pas fâché contre Macron et Philippe. Juste triste. Quand ils se sont quittés fin août, le ministre et le Président étaient quasiment au bord des larmes. Parce qu’ils ne se sont pas compris. Selon ses proches, l’écologiste a le sentiment d’avoir poussé l’expérience jusqu’au bout, d’avoir donné mille occasions au duo exécutif de verdir sa politique. Il a fini par jeter l’éponge face à des personnes obsédées par des sujets de court terme, par le chômage ou la croissance. Des dirigeants dont l’intelligence a des angles morts et qui refusent, consciemment ou non, de poser le bon diagnostic. «Ils n’ont toujours pas compris l’essentiel. Le problème, c’est le modèle économique», avait affirmé Nicolas Hulot à Libération début août. Il l’a dit clairement lors de sa démission et il le martèlera de nouveau sur le plateau de France 2. Ce modèle, à son grand dam, épuise nos ressources, détraque le climat, ruine les écosystèmes et la biodiversité, ignore les mots «partage» et «solidarité».

«Coussin social»

L’ex-présentateur vedette devenu ministre populaire ne manquera pas non plus d’être interrogé sur la taxe carbone, lui qui porte cette mesure depuis plus de dix ans, dont la hausse provoque aujourd’hui la colère des «gilets jaunes». Une filiation que se plaisent à rappeler les membres du gouvernement. «Je ne doute pas qu’il assumera», a répété son successeur, François de Rugy, mercredi sur France Inter, avant de lui reprocher à demi-mot d’avoir démissionné. D’autres se plaignent en «off» et critiquent son silence face aux blocages qui ont lieu un peu partout en France depuis le 17 novembre.

Ce que se garde bien de dire l’exécutif, c’est que Nicolas Hulot a sonné l’alarme tout l’été sur les risques élevés de fronde sociale en cas de hausse brutale de la fiscalité écolo sans contrepartie pour les ménages modestes. Selon nos informations, l’ex-ministre a plaidé en vain auprès de Macron et Philippe pour un «coussin social» digne de ce nom. Il leur avait même adressé une note écrite sur ce thème lors de son dernier Conseil des ministres, le 22 août. Avant de relancer le Premier ministre, posant une sorte d’ultimatum pour le lundi suivant, via un SMS resté sans réponse. Une «grande déconvenue», disent les proches de Hulot. Des doutes et un silence qui ont sans doute contribué à sa démission.

Dans cette note listant une dizaine de points à ses yeux incontournables et sur lesquels il souhaitait avoir une réponse et des engagements écrits plutôt que de vagues promesses, Nicolas Hulot évoquait la révision de la politique agricole commune (PAC) ou la lutte contre l’artificialisation des sols, pour laquelle il réclamait un calendrier et un échéancier. Il demandait aussi des gages sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un texte majeur qui doit mettre en musique la loi de transition énergétique jusqu’en 2028. Il souhaitait que le texte ne mentionne pas la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et qu’il comporte les noms, le nombre et le calendrier de ceux que l’État allait fermer. Pour l’ex-ministre, deux scénarios devaient être sur la table : ramener la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2035 (contre 71,6 % en 2017) ou, plus ambitieux, se rapprocher de l’échéance déjà inscrite dans la loi, à savoir 2025. Mais le dada de Hulot consistait surtout à faire baisser «massivement» la consommation d’énergie. En août, il disait «beaucoup» négocier pour renforcer les ambitions de l’exécutif sur la rénovation thermique des logements. Un levier essentiel et une façon d’alléger les dépenses des ménages, surtout les plus modestes. Là encore, il n’a pas été entendu. Pire, le crédit d’impôt pour la transition énergétique a été divisé par deux.

Goutte d’eau

Autre anecdote disant le désamour entre le sommet de l’État et l’ex-ministre : début juillet, alors qu’il présentait le plan biodiversité sur fond d’effondrement des populations d’insectes, d’oiseaux ou autres espèces encore communes il y a peu, Hulot a été agacé par les plaisanteries d’Édouard Philippe dans son dos, qui faisaient rire ses secrétaires d’État, Brune Poirson et Sébastien Lecornu. «C’est dire le peu de cas qu’ils font de ce sujet», souffle à présent le retraité de la politique à ses amis, déplorant que ce plan n’ait pas été assez financé. La réunion avec les chasseurs à l’Élysée, la veille de sa démission, Hulot l’a vécue comme une «provocation», l’ultime goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors que le ministre avait demandé que le conseiller politique de la Fédération nationale des chasseurs, Thierry Coste, ne soit pas présent, celui-ci se pavanait dans les locaux – Macron l’embrassant comme si c’était son meilleur ami -, tendait à Hulot un document clamant que «les chasseurs sont les meilleurs protecteurs de la biodiversité» et réclamait une loi pour les protéger de tout droit de poursuite de la part de ceux qui s’opposent à la chasse.

Le poids des lobbys, qu’il a dénoncé le jour de sa démission, Hulot l’a aussi senti en observant les précautions qu’il fallait prendre avec la Malaisie et l’Indonésie au sujet de l’huile de palme car il fallait pouvoir leur vendre des armes. En voyant l’exécutif s’entêter sur le grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg, un projet de Vinci. Ou en constatant la lenteur dont celui-ci fait preuve pour engager une réelle transition écologique de l’agriculture permettant de se désintoxiquer des pesticides.

Depuis son départ, Nicolas Hulot constate de loin que ces lobbys sont toujours aux premières loges. Son ministère accueille même désormais l’ancienne lobbyiste en chef de Danone Emmanuelle Wargon, qui a vanté cet été les vertus de l’huile de palme dans les laits infantiles. Moins d’une semaine après sa prise de poste, le nouveau ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a suscité la colère des ONG en demandant aux scientifiques de «faire la preuve qu’il y ait des conséquences sur la santé à l’usage des pesticides». Confidence de Hulot à un ami : «Si j’étais resté, j’aurais peut-être démissionné un ou deux mois après à l’aune de ce type de connerie.»

«Petit signal»

Sur le plateau de France 2 ce jeudi soir, il aura face à lui au moins deux représentants des lobbys : le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, et la vice-présidente des Jeunes Agriculteurs, Céline Imart, proche de la très productiviste et propesticides FNSEA. Mais Hulot ne vient pas avec des gants de boxe. Plutôt avec un bleu de travail et une volonté de construire, de «faire» et de rassembler ceux qui veulent en faire de même. Celui qui reste la personnalité politique suscitant le plus de sympathie en France – 45 % des interrogés selon un sondage Odoxa publié mardi – avait planifié cette émission avant la fronde des gilets jaunes. Il est sorti plus tôt que prévu de sa réserve, se désolant de constater que tous les maux qu’il dénonçait n’étaient toujours pas pris au sérieux. Désormais, même s’il a quitté la politique, il veut aider à choisir le bon remède. «Si je te dis que tu as une angine ou que tu as un cancer, tu ne prendras pas le même traitement», explique-t-il à ses amis. Son rêve : construire un nouveau modèle de prospérité sans croissance, inspiré des travaux de l’économiste britannique Tim Jackson.

Ce jeudi soir, Hulot dira donc aux Français qu’il n’abandonne pas. Depuis sa démission, il reçoit 60 lettres par jour, rien qu’à son domicile, dont l’écrasante majorité lui disent qu’ils sont prêts à répondre à son appel au sursaut. Malgré la colère actuelle contre la hausse du prix de l’essence, l’ancien ministre dit à qui veut l’entendre qu’il sent que «quelque chose est en train de se passer» dans la société. Une sorte de réveil citoyen sur les questions écologiques qu’il veut accompagner. Pour lui, l’émission de France 2 est «un petit signal pour dire qu’on réfléchit et qu’on va travailler ensemble». Ces dernières semaines, celui qui refuse d’être l’homme providentiel («une illusion») a donc cherché le moyen de coordonner les énergies et de créer un collectif. Malgré l’urgence, il voulait prendre le temps d’essayer d’inventer quelque chose de neuf, comme une plateforme numérique fédérant les bonnes initiatives. Depuis sa retraite de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), il a parlé à des «gens nouveaux» et beaucoup écouté, comme l’astrophysicien Aurélien Barrau ou Raphaël Glucksmann, des gens «intéressants».

Par Coralie Schaub — 21 novembre 2018 à 20:06

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