Derrière la sortie du nucléaire et les nobles objectifs, la population d’outre-Rhin rechigne à changer ses habitudes polluantes.
Au lendemain de la catastrophe de Fukushima, survenue le 11 mars 2011, Angela Merkel décidait qu’il était temps pour l’Allemagne de sortir du nucléaire – un choix validé par son cabinet, par le Conseil fédéral et le Parlement en juin de la même année. Depuis lors, quand je voyage à l’étranger avec mon mari, on nous parle souvent du rôle précurseur de notre pays en matière de politique climatique : «Vous, les Allemands, vous faites quand même beaucoup d’efforts.» Tant que ça ? Notre gouvernement a formulé de nobles objectifs, mais quid de leur mise en œuvre ? Les habitants de ce pays sont-ils vraiment prêts à changer leurs habitudes ?
Du haut de ses 16 ans, la Suédoise Greta Thunberg (lire page 3) a réussi à mobiliser la jeunesse également de ce côté-ci du Rhin. Des manifestations ont lieu chaque vendredi dans toutes les villes, déclenchant des réactions qui vont de la bienveillance au blâme. Attitude typiquement allemande, dirait-on, que celle de nombreux professeurs et inspecteurs de l’enseignement qui, au lieu de venir grossir les rangs des enfants et des ados, fustigent cette «école buissonnière». Dans ces conditions, même les applaudissements de la chancelière semblent fades. Et où sont les parents de ces enfants ? Délaissent-ils eux aussi leur travail chaque vendredi pour descendre dans la rue et défendre notre avenir – l’avenir de leurs enfants ? Ce serait trop beau.
Ils viennent chercher leur progéniture en 4 × 4 après la manif et leur tapent sur l’épaule pour les féliciter de leur engagement, déjà prêts à réserver les billets d’avion pour les prochaines vacances. C’est tout particulièrement dans le domaine des transports, de l’agriculture et de la consommation privée que l’Allemagne ne se montre pas à la hauteur de ses objectifs. Si les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 27,6 % entre 1990 et 2016, les émissions liées aux transports ont, elles, augmenté, quand la consommation d’énergie n’a pas affiché une baisse significative. Et si les appareils électriques sont devenus plus efficaces et économes, ils se multiplient dans les foyers, où on les laisse de plus en plus souvent en veille au lieu de les éteindre. Il en va de même de la petite préférée des Allemands – leur voiture. Il existe des moteurs plus performants, moins polluants, mais les innovations dans ce secteur ne peuvent rivaliser avec le désir de s’afficher avec des carrosses toujours plus imposants, symboles de réussite sociale. Et les grands groupes allemands, comme le gouvernement, ont pour l’instant laissé filer les chances de l’électromobilité.
Voilà des années que l’expansion de l’agriculture industrielle est soutenue par la politique allemande et celle de l’Union européenne. Au cours des trois dernières décennies, 76 % de la biomasse des insectes a disparu rien qu’en Allemagne, et d’autres espèces sont promises au même sort, les oiseaux les premiers. Difficile de se priver quand on cultive des standards de vie élevés. Plus les hommes sont riches, plus leur empreinte carbone est lourde, et nous sommes tous prompts à trouver de bonnes excuses à nos petits péchés environnementaux. L’un des arguments qu’on entend le plus fréquemment : à quoi bon nous démener, nous Allemands, pour sauver la planète, si tous nos efforts sont réduits à néant dans d’autres parties du monde ?
L’Allemagne compte parmi les premières puissances économiques de ce monde. Il nous revient d’endosser ce rôle de modèle, de même pour la sortie du nucléaire. Mais cela ne fonctionnera pas par la concertation avec la population, quand on sait que la plupart des gens feront passer leur confort personnel avant la raison environnementale. Afin de faire avancer la protection de la nature et du climat par des actes, et non seulement par des mots, nous devons exiger de la sphère politique davantage de réglementations : un impôt sur les émissions de CO2 et les produits de luxe, comme certains pays scandinaves l’ont inauguré avec succès ; un changement de paradigme en matière de transport, afin de viser plus de politiques publiques et moins de politiques privées ; une agriculture davantage tournée vers les pratiques écologiques et respectueuses de la nature, loin de l’élevage de masse et des monocultures chimiques.
L’Allemand est un mouton de Panurge. Pour que la protection de l’environnement puisse être menée avec succès, nous allons devoir redéfinir nos représentations du «cool» : fini, la grosse voiture, le dernier smartphone et le dernier écran plat, les 100 m2 de surface habitable, le vol au bout du monde – et ce, malgré les efforts de l’économie pour orienter nos envies en ce sens. Tout le monde est capable de faire changer les choses, chacune et chacun devrait s’y employer dès maintenant, sans attendre d’emboîter le pas aux autres. Il s’agit avant tout de considérer la situation sous l’angle éthique. Les rares fois où mon mari et moi mangeons de la viande, nous veillons à ce qu’elle provienne d’un élevage respectueux des animaux ; nous achetons en grande majorité des produits bios et durables, et nous habitons un petit appartement. Si nous n’avons pas encore mis la voiture au rebut, nous avons décidé que ce serait notre dernier véhicule, et nous ne prendrons plus l’avion. Contribution certes modeste, mais c’est la nôtre – et c’est un bon début.
Par Alex Berg traduit de l’allemand par Alexandre Pateau, publié le 13 mars 2019 à 19h06
https://www.liberation.fr/planete/2019/03/13/nous-allemands-pouvons-faire-beaucoup-plus_1714889
NDLR : dans le titre, remplacer « nous, allemands » par « nous, français » et mettre en pratique nous aussi !
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