Le gouvernement envisagerait de nationaliser le très coûteux secteur nucléaire et de le séparer des autres activités de l’électricien, en perte de vitesse
Après la programmation de l’énergie pour les cinq prochaines années, l’État s’attelle à un deuxième chantier d’ampleur dans le domaine de l’électricité : la réforme du mastodonte EDF. Pressentie depuis des mois, une scission du groupe en deux entités serait sur la table des négociations. Ces projets, révélés par Le Parisien, n’ont pas tardé à raviver toutes les interrogations et tensions autour de ce dossier. En effet, un tel démantèlement de l’entreprise, dénoncé par les syndicats, impacterait tout l’équilibre du secteur.
Le problème majeur d’EDF, c’est son endettement : ce dernier s’élevait à 33,4 milliards d’euros en 2018. Certains craignent qu’il n’atteigne bientôt 3 fois le résultat d’exploitation, seuil jugé critique pour maintenir cet endettement sous contrôle. Surtout que le groupe doit faire face à « mur d’investissement » pour mettre à niveau son parc nucléaire, un chantier estimé à 100 milliards d’euros d’ici 2030. L’entreprise est par ailleurs empêtrée dans les chantiers de construction du nucléaire dit de « nouvelle génération », les fameux EPR. Que ce soit le chantier français de Flamanville qui enchaîne les déconvenues et dont le coût a déjà triplé, ou le projet d’Hinkley Point (Royaume-Uni), pour lesquels l’entreprise publique s’est engagée sur ses fonds propres à hauteur de 16 milliards d’euros, l’électricien est loin, très loin d’avoir fait ses preuves.
Des clients qui s’en vont
Pour couronner le tout, EDF continue de perdre des clients. S’il fournit encore 77% des ménages, l’opérateur historique a perdu pas moins de 900 000 clients en 2018 au profit de ses concurrents, qui bénéficie du marché ouvert totalement à la concurrence depuis 2007, règles européennes obligent.
Investissements colossaux, dette gigantesque, fuite des clients : l’entreprise est dans une situation financière impossible. Mais du fait de sa taille et de son caractère stratégique, une faillite est tout aussi inenvisageable !
La stratégie du gouvernement, telle qu’elle a fuité dans différents médias, consisterait à séparer les activités nucléaires du reste. Ou, plus exactement, à créer une structure qui regrouperait les activités de production d’électricité d’origine nucléaire (77 % de la production totale d’EDF) et éventuellement hydraulique (7 %). L’État, pour l’heure actionnaire à hauteur de 83% d’EDF, pourrait acquérir à terme 100% de cette structure.
Vers une nationalisation du nucléaire
Cette holding serait par ailleurs actionnaire majoritaire d’une filiale qui, elle, regrouperait les autres activités d’EDF : commercialisation, production d’énergie renouvelables (éolien, solaire), biomasse et géothermie (via sa filiale Dalkia), distribution d’électricité (Enedis) et enfin transport (RTE). Cette filiale pourrait être ouverte aux investissements privés, faisant naître chez certains la crainte d’une possible privatisation.
Le chemin de l’électricité
- FacebookL’enjeu de cette scission est avant tout d’établir des financements différenciés selon l’activité, en particulier pour le nucléaire. Car dans ce secteur, il faut tenir compte non seulement du coût de la production d’électricité, mais aussi de celui, majeur, de l’avenir du parc, dont le maintien à niveau nécessite des frais fixes importants, celui du démantèlement, dont les modalités et le montant restent largement inconnus, en y ajoutant pour finir les investissements pour mettre à niveau les centrales et leur permettre d’être en activité une décennie de plus.
En isolant le nucléaire et en l’intégrant davantage dans son giron, l’État devrait donc assumer financièrement les coûts futurs du parc nucléaire, notamment des chantiers du nouveau nucléaire, avec les EPR. D’aucuns ne manquent pas d’accuser le gouvernement de vouloir « nationaliser les pertes et privatiser les profils ». Car parmi les activités regroupées dans la filiale qui pourrait accueillir des investissements privés, se trouvent des activités très rentables comme l’activité de distribution d’électricité, opérée par Enedis (ex-ERDF), qui est actuellement une véritable pompe à finances pour l’électricien. Toutefois la puissance publique devrait rester majoritaire dans cette filiale, et la part ouverte aux investisseurs privés n’est pas encore précisée. Autre point déterminant à régler : la répartition de la dette entre les deux entités. Et là encore, le projet de scission suscite le scepticisme.
Qui va se prendre la dette ?
« Ces projets ne règlent en rien la question de la dette », estime Jean-Luc Magnaval, secrétaire suppléant CGT du CCE d’EDF. « D’ailleurs, cette dette n’est pas due au nucléaire, mais à des cours de marché qui ont été inférieurs aux coûts de revient pendant plusieurs années, ainsi qu’à des acquisitions internationales qui ont coûté très cher ». Le seul rachat de British Energy en 2008 a effectivement fait bondir la dette de 13,5 milliards d’euros !
« La question principale est celle de la régulation », pense le syndicaliste. Le marché de l’électricité est en effet traversé par de multiples dispositifs et taxes visant à soutenir différents acteurs et activités du secteur comme les énergies renouvelables (critiquées pour leur coût) ou l’opérateur de distribution Enedis.
Guerre de prix
En ce qui concerne le nucléaire, le principal dispositif de financement est l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, ou Arenh. Mis en place en 2010 pour respecter les règles européennes, il a pour objectif de permettre aux autres fournisseurs d’électricité, comme Direct-Énergie ou Engie, d’avoir accès à une énergie d’origine nucléaire à un tarif réglementé.
L’idée est de permettre que s’exerce une concurrence sur ce secteur, malgré le fait que la production soit en situation de quasi-monopole. Surtout, le parc nucléaire a maintenant plusieurs décennies d’activité et ses investissements pharamineux de départ ont été amortis et il produit une énergie abondante et compétitive. L’Arenh permet donc à n’importe quel acteur d’avoir accès à cette rente nucléaire. Concrètement, EDF doit permettre l’accès à un quart de sa production nucléaire (100 TWh annuels) aux autres fournisseurs à un tarif fixé par décret : 42 € le MWh. Ce prix est censé refléter le coût réel du nucléaire pour le parc amorti.
Or EDF veut mettre à bas ce dispositif. Raison invoquée : le prix fixé est trop faible, ce qui met à mal la situation financière de l’opérateur, et donc sa capacité à rembourser sa dette. L’Arenh est en effet très rigide pour l’électricien : dès que les prix sur le marché de gros passent en dessous du tarif de l’Arenh, les autres fournisseurs se détournent naturellement d’EDF pour aller se fournir ailleurs. Or les marchés ont été globalement orientés à la baisse ces dernières années, notamment en 2015 et 2016. Au cours de cette dernière année, aucun fournisseur n’a demandé l’accès à l’Arenh ! Résultat : EDF a dû alors écouler sa production à un prix inférieur. EDF subit donc les baisses du marché, sans profiter des hausses, puisque le tarif est réglementé.
La Cour des comptes a également critiqué le dispositif dans un rapport fin 2017 sur le sujet, et appelé à sa révision. « La « rente nucléaire » est moins avantageuse après plusieurs années où les prix de marché ont été inférieurs à l’Arenh », écrit l’auteur du rapport, ajoutant que « la croissance des énergies renouvelables (EnR) modifie la structure du parc de production électrique et la rentabilité des moyens de production nucléaire », rentabilité également entamée par les lourds investissements nécessaires à la mise à niveau des centrales. De plus comme il régule une part importante de la production nucléaire française, l’Arenh « joue (…) le rôle d’un prix de référence de long terme pour les marchés de l’électricité, élément important au vu de la durée de vie des investissements associés à la production électrique », ajoute la Cour des Comptes.
Un marché à part
Selon la loi, la part de l’électricité nucléaire est amenée à diminuer, si bien que ce plafonnement de l’Arenh à un quart de la production nucléaire paraît pour certains surdimensionné. Ce que contestent cependant fortement les fournisseurs concurrents d’EDF qui, alors qu’ils gagnent continuellement des parts de marché, plaident au contraire pour qu’il soit relevé afin de pouvoir répondre à la demande de leurs clients.
« Ce sont les contribuables qui ont permis à ce parc nucléaire d’exister, chacun doit donc pouvoir avoir accès à une énergie nucléaire compétitive quel que soit son fournisseur d’électricité, demande Naïma Idir, président de l’Association nationale des opérateurs détaillant en énergie (Anode). Or le volume de l’Arenh n’est aujourd’hui plus suffisant. » Cet organisme regroupant les principaux concurrents à EDF demande à porter le plafond accès à minimum 150TWh annuels, soit plus d’un tiers de la production nucléaire
Le litige révèle la structure très particulière du secteur de la fourniture et de la production d’électricité, où de nombreux fournisseurs en concurrence s’approvisionnent sauf exception au même producteur : EDF. En effet, étant donné les coûts de ces technologies, il est quasiment impossible pour d’autres acteurs d’investir dans le nucléaire et difficile dans l’hydraulique. Les marges de manœuvre sont donc très limitées.
Le mix électrique toujours en débat
Conséquence : la quantité d’électricité produite par EDF détermine les possibilités des autres acteurs dans la production. D’autant plus que la demande globale tend à stagner. « Tant que le nucléaire est à ce niveau, comment pouvons-nous développer de nouvelles capacités de production et les rendre compétitives ? », s’interroge Naïma Idir de l’Anode, il n’y a pas de place pour la production de base.» L’électricien devrait donc continuer d’occuper une place centrale dans le secteur électrique.
Ainsi, cette restructuration de l’entreprise n’est que la première étape d’une réforme, la bataille de fond est celle des mécanismes de régulation, dont l’Arenh. Derrière c’est donc bien le financement du nucléaire et donc son évolution, qui est déterminante pour l’évolution du secteur électrique.
Par Justin Delépine, publié le 19/04/2019
https://www.alternatives-economiques.fr/gouvernement-veut-scinder-edf/00089039
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