En plus de la perte de compétitivité du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables, la trésorerie exsangue de l’entreprise ne lui permet ni de financer tous ses investissements ni de se désendetter.
EDF, un sauvetage impossible
Tribune. Hercule, Apollon, Bleu, Vert… Depuis 2016, la presse multiplie les informations sur le projet de réorganisation capitalistique d’EDF, rendant publics les divers noms de code dont sont affublées les différentes structures qui seraient créées par ce plan d’urgence. Pour autant, personne ne pose la seule véritable question qui vaut : EDF peut-il encore être sauvé ? L’actualité démontre, quotidiennement ou presque, la perte de compétitivité du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. L’attribution de l’appel d’offres pour le parc éolien offshore de Dunkerque a ainsi débouché sur un tarif garanti inférieur à 50 euros par MWh, alors que le coût complet du nucléaire en exploitation ressort autour de 63 euros par MWh (chiffrage de la Cour des Comptes). Le coût du MWh que devrait produire l’EPR de Flamanville (le jour où il serait enfin en fonctionnement…) est supérieur à 100 euros. Enfin, pour sa prochaine génération d’EPR que l’électricien national compte construire, il prévoit un prix du MWh compris entre 60 et 80 euros.
Il faut avoir en tête ces quelques chiffres pour comprendre l’ampleur du problème. L’entreprise est dans une situation financière inextricable. Une dette financière de 59 milliards d’euros, une trésorerie exsangue et des marges bénéficiaires insuffisantes pour financer tous ses investissements et se désendetter. Sans compter qu’il faudra bien reconstruire un appareil de production (le parc nucléaire est en fin de vie) : une facture que l’on peut évaluer autour de 200 milliards d’euros si le complexe politico-nucléariste persiste dans sa stupide volonté de remplacer les centrales existantes par des EPR. L’État a-t-il les moyens de prendre en charge tout ce passif ?
Des acquisitions surpayées
Comment cette grande entreprise a-t-elle pu se retrouver dans cette situation alors que sa rente nucléaire aurait dû lui permettre de constituer d’abondantes provisions ? Très simple : elle a dilapidé sa fortune dans des acquisitions surpayées et, généralement, non rentables un peu partout dans le monde entre 1998 et 2009. C’est ce qui explique l’explosion de sa dette financière : en 1998, au moment où EDF termine la construction de son parc nucléaire, son endettement s’élève à 22 milliards d’euros. Depuis, plus de 30 milliards ont été gaspillés dans des opérations inutiles, qui n’ont jamais généré l’argent suffisant pour rembourser le coût de leur acquisition.
Deuxième cause des difficultés
Nous n’avons jamais payé le vrai prix de l’électricité nucléaire ! Trop longtemps, les dirigeants gouvernementaux et ceux de l’entreprise ont fait croire que le nucléaire était une énergie bon marché, moins chère que toutes ses concurrentes. Pour sauver EDF, il faudrait faire passer, le plus rapidement possible, la part du tarif qui rémunère la production au moins au niveau du coût complet. Mais qui est prêt à accepter une augmentation de près de 50%, alors que tout le monde s’empaille déjà pour une «petite» hausse de 5,9% ? Surtout, cette hausse est-elle possible, alors que les prix de marchés sont inférieurs au coût complet d’EDF ? La concurrence aurait un boulevard pour casser les prix et piquer par millions des clients à l’ex-monopole public…
Fini le vieux monde
Troisième cause de cette impasse mortelle : longtemps identifiée comme «le» service public de l’électricité, EDF a perdu de vue sa mission pour n’être qu’un producteur d’atomes. Or la croissance exponentielle des énergies renouvelables impose un nouveau modèle. Fini le vieux monde vertical, centralisé et hiérarchisé dont EDF fut le parfait exemple, l’heure est à la déconcentration, à la décentralisation, à l’énergie collaborative et à l’efficacité énergétique. Comme pour le bio, l’énergie est rentrée dans le monde des circuits courts, celui des producteurs-consommateurs et de la frugalité. C’est une révolution qui est en cours. Si Bruxelles évitera, peut-être, de s’opposer à Paris sur la question du sauvetage financier (les centrales nucléaires d’EDF sont encore nécessaires pour équilibrer l’offre et la demande sur toute la plaque européenne, notamment la nuit), croire qu’il suffira de nationaliser les pertes d’EDF pour sortir l’entreprise du fossé constitue une erreur majeure. Nous ne ferons que perdre quelques dizaines de milliards supplémentaires sans régler le problème.
Par Thierry Gadault, journaliste, publié le 19 juin 2019 à 11h16
Thierry Gadault est l’auteur de Nucléaire, danger immédiat (avec Hugues Demeude, Flammarion, 2018) et du documentaire Nucléaire, la fin d’un mythe (avec Hugues Demeude et Bernard Nicolas), diffusé par Public Sénat en septembre 2018.
Photo : Le chantier de construction du réacteur nucléaire européen à eau pressurisée de troisième génération à Flamanville, en 2016. Photo Benoit Tessier. Reuters
https://www.liberation.fr/debats/2019/06/19/edf-un-sauvetage-impossible_1734600
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