EPR DE FLAMANVILLE : UN BAPTÊME DU FEU POUR LE « GENDARME DU NUCLÉAIRE »

Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN, a fait preuve de fermeté sur le dossier des soudures du réacteur normand.

Sa main n’aura pas tremblé. Sur le dossier brûlant des soudures de l’EPR de Flamanville (Manche) – le plus important qu’il ait eu à gérer depuis sa prise de fonctions –, Bernard Doroszczuk, nommé président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en novembre 2018, a indéniablement mis en avant les deux attributs majeurs de son poste : l’autorité, donc, mais aussi l’indépendance. Cet ingénieur général au corps des Mines, qui se trouve être également diplômé… de l’École supérieure du soudage, a su faire preuve en la circonstance d’une fermeté que ne laissaient pas forcément soupçonner son air affable, ses prises de parole toujours pesées et sa parfaite courtoisie.

Cette attitude est, bien sûr, conforme aux missions de l’ASN, qui assure, au nom de l’Etat, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, en même temps que l’information du public. Mais, par le passé, cette autorité administrative indépendante a pu être suspectée, par certaines ONG, de servir de caution à la filière nucléaire, voire de manifester à son égard une certaine complaisance, sinon connivence.

Tel a notamment été le cas sur le dossier de la cuve de l’EPR normand. Alors que des défauts avaient été décelés dans l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur – des excès de carbone susceptibles de fragiliser cette pièce dont la robustesse doit être à toute épreuve –, l’ASN, alors présidée par Pierre-Franck Chevet, a autorisé EDF, en juin 2017, à conserver cette cuve en l’état, sous réserve de remplacer son couvercle au plus tard fin 2024.

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Courroux

À l’époque, beaucoup d’observateurs s’étaient étonnés d’une décision mi-chèvre mi-chou, dont les fondements laissaient perplexes. Imaginerait-on un constructeur automobile dire à un client : « La carrosserie de votre voiture n’est pas totalement fiable, mais vous pouvez rouler quelques milliers de kilomètres avant de la changer » ?

En d’autres occasions, pourtant, le « gendarme du nucléaire » n’a pas hésité à hausser le ton. En février 2017, par exemple, M. Chevet avait réagi avec courroux à l’annonce par EDF que le démantèlement des six anciens réacteurs à uranium naturel graphite-gaz (ceux de la première génération du parc français) ne sera pas achevé vers 2040, comme initialement prévu, mais au début du siècle prochain. « Les difficultés techniques évoquées sont réelles, mais repousser l’échéance au début du XXIIe siècle ne nous paraît absolument pas raisonnable, ni très conforme à la doctrine du démantèlement immédiat. Ou alors, la notion d’immédiateté a changé », s’était-il fâché, sans s’opposer pour autant à ce nouveau calendrier.

De même, en septembre 2017, l’ASN n’a pas craint d’imposer la mise à l’arrêt provisoire de la centrale du Tricastin (Drôme), en exigeant le renforcement de la digue du canal de Donzère-Mondragon, jugée insuffisamment résistante aux séismes. Une demande que les dirigeants d’EDF qualifiaient, en privé, d’exagérément procédurière.

« Conséquences » lourdes

Mais l’affaire des soudures de l’EPR constitue le vrai baptême du feu pour le nouveau patron de l’ASN. Certes, celui-ci ne ferme pas complètement la porte à la possibilité qu’EDF ne fasse les réparations sur les tuyauteries qu’après la mise en service l’EPR, jusqu’ici prévue début 2020. Mais il affirme, très clairement, que la réparation avant le démarrage constitue « la solution de référence ». Il ajoute que « l’hypothèse d’une réparation différée n’est pas réaliste », car elle nécessiterait, pour que la sûreté du réacteur soit néanmoins garantie, « des études longues, complexes et au résultat très incertain ».

Bernard Doroszczuk en a conscience : la position de l’ASN est « lourde de conséquences », pour l’EPR, comme, plus largement, pour la filière nucléaire nationale. Il prend soin, du reste, de préciser qu’elle « ne remet à aucun moment en cause la conception de l’EPR ni les avancées indiscutables pour la sûreté que présente ce réacteur ». Façon de dire que la perte d’expérience et de compétences de l’industrie nucléaire ne vaut pas condamnation.

À chaque intervention, devant les journalistes comme devant les parlementaires, le président de l’ASN veille à s’entourer de son directeur général et de membres de son collège. Comme pour mieux partager la responsabilité des décisions d’une autorité qui, plus que jamais, tient entre ses mains l’avenir de l’atome tricolore.

Par Pierre Le Hir, publié le 21 juin 2019 à 09h18, mis à jour hier à 09h25

Photo : Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, à Paris, fin janvier. Charles Platiau / REUTERS

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