AUCUN DOUTE N’EST PERMIS: NOUS VOICI REVENUS À LA GUERRE FROIDE. LE MOMENT EST VENU DE RENOUER LE DIALOGUE AVEC POUTINE

Une opinion de Michel Carlier. Ambassadeur honoraire de S.M. le Roi des Belges

En cette fin d’été plutôt automnale l’attention des medias se porte sur les États-Unis en proie à des excès de toutes sortes, sur Hong Kong en pleine effervescence quasi révolutionnaire et sur l’Italie en grave crise politique. Mais, il semble que les faiseurs d’opinion passent à côté, volontairement ou non, d’un fait essentiel et lourd de conséquences. Je veux parler de l’enterrement, rendu officiel en ce début d’août 2019, par les deux puissances signataires en 1987 – l’URSS et les États-Unis – du traité INF (pour Intermediate-range Nuclear Forces treaty). 

Le 11 février dernier, j’écrivais : « Ce traité fut l’un des accords conclus entre les deux grandes puissances de l’époque pour permettre le passage en douceur à un monde nouveau et pacifique. Deux ans avant la chute du mur de Berlin, l’Europe cessait d’être le théâtre d’un affrontement qui menaçait ses populations, depuis des générations. Nos enfants enfin n’allaient plus vivre avec la peur au ventre d’une guerre nucléaire programmée par leurs aînés. C’était le vivre ensemble et sans peur, dans toute l’Europe ». Mais, depuis octobre 2018, Moscou et Washington s’accusent mutuellement de violer l’accord de 1987 qui interdit la production de missiles à portée intermédiaire (de 500 à 5.500 km) munis de têtes nucléaires. Ces accusations sont assorties de menaces précises d’abolir purement et simplement ce traité dans un délai de six mois. Le 1er février 2019, ces menaces sont mises à exécution à Washington et puis à Moscou. Le secrétaire d’État Mike Pompeo confirme que les États-Unis se retireront du traité dans un délai de six mois, soit début août. Ce à quoi, Poutine réplique, dès le lendemain, qu’il suspendra aussi l’exécution du traité de 1987, tout en laissant entendre qu’il demeure prêt à négocier sur des bases équitables. Il faut sous-entendre que le Kremlin accuse les Américains d’avoir violé le traité que ceux-ci veulent abolir. Notamment, en installant des bases de missiles en Pologne et en Roumanie et en produisant des drones comparables aux missiles de croisière prohibés depuis 1987.

Le premier août 2019, le délai de six mois étant passé, Washington confirme officiellement l’abolition du traité INF. Dès le lendemain, Poutine préside une réunion de son Conseil de Sécurité et fait publier une déclaration solennelle par laquelle il met en garde contre une course aux armements illimitée, appelle Washington à un « dialogue sérieux » pour « éviter le chaos » et affirme que les actes de Moscou seront posés exclusivement sur une base de réciprocité.

Mais les Américains n’ont cure de cet appel. Le nouveau ministre de la défense, Mark Esper annonce, le 2 août 2019, que les États-Unis vont poursuivre le développement de nouveaux missiles conventionnels. Moscou suggère aussitôt un moratoire sur le déploiement d’armes de portée intermédiaire. Ce qui est immédiatement rejeté par l’Otan. Et, le 5 août, Poutine rejette la responsabilité de ce qui se passe sur les Américains et leurs alliés.

Aucun doute n’est permis. Nous voici revenus à la guerre froide qui vient s’ajouter à la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine et à d’autres problèmes moins médiatisés mais non moins lourds de dangers.

L’exemple de Macron

Le 8 août, survient un accident gravissime. Une explosion chimique se produit sur la base militaire de Nyonoksa, près de la ville de Severodvinsk, dans le grand Nord russe au bord de la mer blanche. Il s’agirait d’une explosion liée au développement du Burevestnik (oiseau de tempête), missile expérimental russe à propulsion nucléaire que Poutine avait présenté, le 1er mars 2019, comme une arme invincible. Cet accident, qui fait au moins 5 morts et un nombre inconnu de blessés, est sans doute à inscrire dans le triste catalogue des prétendus exploits scientifiques de la course illimitée aux armements à laquelle se livrent les deux hyperpuissances nucléaires.

Tout cela ne me paraît ni raisonnable, ni rassurant. Le moment est venu pour les États de l’Union européenne de se remettre à dialoguer avec Moscou. La réunion de Brégançon entre Macron et Poutine qui doit avoir lieu ce lundi 19 août 2019 est une bonne nouvelle. Une autre est l’article d’Hubert Védrine publié le 17 août par Le Figaro et qui s’intitule : il est temps de revenir à une politique plus réaliste avec la Russie. Les lecteurs de cet article, dont Macron lui-même, retiendront sans doute des phrases telles que celles-ci : nous avons des rapports plus mauvais avec la Russie d’aujourd’hui qu’avec l’URSS pendant les trois dernières décennies de son existence !… L’Occident a été pris d’une telle arrogance depuis 30 ans, d’une telle hubris dans l’imposition de ses valeurs au reste du monde, qu’il faut réexpliquer le b.a.b.a des relations internationales. Constat sans concession que Védrine conclut par cette phrase : il faut réarrimer la Russie à l’Europe. Donc corriger la politique occidentale inconséquente des dernières années et qui a poussé la Russie vers la Chine. Enfin, Védrine ajoute qu’il espère que la rencontre Macron-Poutine du 19 août pourra déclencher un processus de réinvention pragmatique des relations entre l’UE et la Russie. Cela fait des mois que je dis et écris la même chose, notamment dans des rubriques de La Libre. J’espère que, ce lundi à Brégançon, il soit tenu le meilleur compte de ce que vient de déclarer Hubert Védrine. Je voudrais, pour terminer, rappeler que notre premier ministre, Charles Michel, se trouvait en visite officielle en Russie du 29 au 31 janvier 2018. Il fut, à cette occasion, longuement reçu par Poutine. La rencontre qui porta sur les sujets bilatéraux et ceux qui fâchent entre la Russie et l’UE, fut dit-on, franche, utile et prometteuse.

Le 28 janvier 2019, j’étais invité au palais d’Egmont, à la séance d’ouverture des journées diplomatiques. Le premier ministre et le ministre des affaires étrangères que j’écoute au cours de cette séance parlent durant près de deux heures. À aucun moment, ils ne mentionnent les relations belgo-russes. Comme si leur voyage en Russie un an plus tôt avec, comme point d’orgue, un entretien de deux heures avec Poutine n’avait tout simplement pas eu lieu.

Un ambassadeur étranger présent et avec lequel je m’entretiens durant la pause-café, m’en fait la remarque. Il me paraît maintenant nécessaire que l’UE commence à reprendre son indépendance. L’exemple donné par Macron sera-t-il suivi ? Je le souhaite. La perspective d’un Brexit éventuel pourrait être l’occasion de ce renouveau. Je voudrais ne pas devoir en douter.

Le titre est de la rédaction. Titre original: Russie et Union européenne. Le temps du dialogue près de revenir?

Contribution externe, publié le lundi 19 août 2019 à 10h46 – mis à jour le lundi 19 août 2019 à 12h04

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