L’IMPOSSIBLE DÉBAT SUR L’ÉCONOMIE DES MATIÈRES ET DÉCHETS DU NUCLÉAIRE

Sur quelle base économique le gouvernement décide-t-il de conserver une filière recyclage du combustible nucléaire ? Combien coûterait la requalification des combustibles usés non valorisés en déchets ? Comment évaluer le coût réel du projet d’enfouissement géologique profond Cigéo ? Autant de questions cruciales à l’heure de la révision du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). Un débat public leur était consacré le 11 septembre à Paris. Déception.

Pire qu’un dialogue de sourds. Pas de dialogue du tout. Et les participants au débat public organisé mercredi 11 septembre à Paris par la Commission nationale du débat public (CNDP), sur le thème de l’économie de l’aval du cycle nucléaire dans le cadre de la révision du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), n’y sont pour rien. Pas d’ONG « extrémiste » à recadrer. Des acteurs du nucléaire tout disposés à expliquer leur position, faisant même un louable effort de pédagogie pour expliquer provision, actifs dédiés, coût du traitement des déchets par Français (13 euros par an pour un foyer moyen consommant 880 euros d’électricité par an).

Succession de points de vue

Non. Si le dialogue a été impossible, c’est que l’organisation même du débat et son animateur ne l’ont pas permis. D’une durée de trois heures – de 19 heures à 22 heures dans une grande salle au sous-sol d’un bâtiment religieux du 16e arrondissement de Paris -, le débat très technique avait pourtant attiré environ 130 personnes. Séquencé en quatre temps, il a d’abord permis à la Cour des Comptes de résumer son rapport de juillet sur « l’aval du cycle du combustible nucléaire« , très attendu par toute la profession. Mais le public n’a pas pu interagir sur ce sujet, les rapports de la Cour des Comptes ne pouvant être discutés. Seuls les termes pesés de la version écrite font foi. Le directeur adjoint de la Direction générale énergie climat (DGEC), Aurélien Louis, qui avait un temps de parole prévu par la suite, le commentera. Mais là encore sans vraiment dialoguer avec le public.

Pas d’interaction possible

Car si des temps d’échanges de 30 minutes, ramenés à 20 en cours de séance, étaient bien prévus pour les trois séquences suivantes, ils n’ont permis aucun réel débat. Certes, pour chacun des thèmes – cycle aval du combustible, requalification des matières en déchets et Cigéo -, la Commission particulière du débat public avait bien laissé place à la contradiction, en donnant à chaque fois la parole à la filière nucléaire et à des ONG écologistes (Global Chance, Greenpeace, et FNE). Mais impossible lors de la courte session de questions-réponses d’avoir de réels échanges sur un sujet. Les intervenants ayant quelques secondes pour répondre aux questions. Dans la salle, les participants n’avaient, eux, que de très courtes minutes pour évoquer un point de vue, qui ne pouvait en aucun cas faire l’objet d’un échange, ni avec les invités, ni avec le reste du public.

L’échange EDF – Greenpeace tronqué

Pire, alors qu’EDF et Greenpeace commençaient à engager un intéressant échange, dans le calme et le respect, sur le rapport “À quel prix ? Les coûts cachés des déchets nucléaires” que l’ONG écologiste avait publié le matin même, l’organisateur du débat les a immédiatement coupés, leur demandant d’écrire leurs arguments pour les porter au dossier consultable sur le site internet de la commission particulière du débat public (CPDP) du PNGMDR.  Et c’est sans parler des sujets qu’il était interdit d’aborder puisque déjà évoqués dans d’autres débats publics. Un débat sur les aspects techniques du cycle aval avait eu lieu à Saclay en juin dernier. Le débat public se tient du 17 avril jusqu’au 25 septembre.

Une filière qui campe sur ses choix

La CNDP n’est pas seule responsable de l’absence d’un réel débat sur l’économie des matières et déchets du nucléaire. Que ce soit les acteurs de la filière nucléaire française, EDF et CEA en tête, ou la DGEC, tous se réfèrent à des études datant de dizaines d’années, lorsque les choix ont été faits, sans jamais ouvrir la possibilité, ni de les mettre à jour, ni de les interroger à nouveau. Se contentant même de données imprécises, comme le différentiel de coût entre l’usage d’uranium neuf ou de combustible recyclé. On saura juste que le surcoût est jugé – ramené au coût du kilowattheure (sans chiffre cette fois) – suffisamment minime pour justifier le maintien d’une filière de recyclage en France. Repoussant à 2040, lorsque des investissements plus massifs devraient être réalisés dans les usines d’Orano de la Hague et Melox, le problème de l’aspect économique du choix.

Une étude étrangement ignorée 

On ne saura jamais pourquoi l’étude prospective de la filière nucléaire remise au Premier ministre en 2000 par les économistes Jean-Michel Charpin et Benjamin Dessus et l’astrophysicien René Pellat, seule à mettre tous ces enjeux économiques sur la table, n’a jamais même été ouverte.

Idem concernant la requalification des matières usées, potentiellement valorisables un jour, en déchets. Certes, EDF, dans le doute, provisionne en partie cette possibilité. Certes, Greenpeace a fait un laborieux travail pour en évaluer le coût réel. Mais impossible de mettre en regard ces coûts avec ceux des travaux de recherches menés par le CEA pour un jour recycler plus, voire à l’infini, les combustibles radioactifs usés. Comme si la question n’avait pas de sens.

Après deux heures de ce non débat économique, il était clair que la troisième séquence consacrée au budget de Cigéo ne serait probablement pas plus ouverte aux échanges. Il était déjà plus de 21 heures. Et je suis partie, déçue.

Par Aurélie Barbaux  (Usine Nouvelle), publié le 13 septembre  2019

Photo en titre : L’étude prospective de la filière nucléaire remise au Premier ministre en 2000 n’a jamais même été ouverte © abarbaux

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