LA TRANSMUTATION LASER CONTRE LES DÉCHETS NUCLÉAIRES ? « L’INTÉRÊT EST LIMITÉ »

Le débat public sur le 5ème Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs touche à sa fin. L’Express a interrogé David Sylvain, directeur de recherche CNRS.

Comment traiter les résidus radioactifs les plus dangereux ? Faut-il les enterrer en profondeur ou les stocker en surface, en espérant que la science trouve une solution ? Selon Gérard Mourou, professeur à l’école de Polytechnique et prix Nobel de physique 2018, cette dernière option serait possible avec la transmutation directe, une technologie qui fait appel au laser pour réduire drastiquement la durée de vie des principaux déchets appelés « actinides mineurs » (neptunium, américium, curium et plutonium) les faisant passer de plusieurs millions d’années à quelques décennies. À l’approche de la fin des cinq mois de débat public du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), le 25 septembre, cette technique suscite un intérêt certain. 

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Mais si elle est envisageable en théorie, elle doit encore être démontrée sur le plan technique et économique. Et ce n’est pas une mince affaire. David Sylvain, directeur de recherche CNRS à l’institut national de physique nucléaire et de physique des particules et professeur chargé de cours à l’école Polytechnique, explique pourquoi. Entretien. 

L’Express : Que pensez-vous de la proposition de Gérard Mourou ?  

David Sylvain : Pour comprendre l’intérêt de la transmutation, il faut d’abord rappeler que la stratégie actuelle de l’industrie nucléaire consiste à conserver le plutonium [principalement dans les piscines des réacteurs, NDLR.] dans le but de l’utiliser comme combustible dans les potentiels futurs réacteurs de quatrième génération. Il servirait alors à pallier un éventuel manque d’uranium, le combustible qui alimente nos réacteurs actuels. La solution de transmutation avec un laser, si elle existait, ne s’appliquerait pas au plutonium et ne concernerait que les autres actinides mineurs. 

La transmutation directe ne pourrait-elle pas se montrer utile face aux trois autres actinides ? 

Oui, mais comme ils ne pèsent pas grand-chose par rapport au plutonium, l’intérêt serait limité tant que nous n’avons pas décidé de la façon dont on gère le plutonium. De plus, nous savons déjà comment transmuter certains actinides dans des réacteurs dédiés. Ces derniers, appelés « réacteurs sous-critiques » peuvent utiliser des actinides comme combustibles. Comme ils sont instables et ne permettent pas de maintenir une réaction nucléaire auto-entretenue, ce type de réacteur utilise donc une source externe de neutrons. 

Le prototype belge MYRRHA est censé démontrer la faisabilité de cette solution. L’option privilégiée pour la production de neutrons demeure aujourd’hui un accélérateur de protons qui tire sur une cible de plomb placée dans le réacteur. Là où l’idée de Gérard Mourou est intéressante, c’est qu’il propose, de remplacer cet accélérateur à proton par un accélérateur laser, potentiellement plus compact et beaucoup moins cher. Mais nous restons très loin de la transmutation directe, qu’on imagine volontiers comme un laser qui tirerait sur un gros bloc de déchets et réduirait leur durée de vie de plusieurs millions d’années à quelques décennies.  

Pourquoi cette technique est-elle critiquée ? 

Parce que son efficacité énergétique est aujourd’hui insuffisante. En caricaturant, il faudrait un réacteur nucléaire pour alimenter le laser qui traiterait les déchets. Un bilan énergétique à ce point négatif ôte beaucoup d’espoir quant à sa faisabilité. Le projet de Gérard Mourou a l’intérêt de proposer des solutions innovantes pour augmenter l’efficacité énergétique de l’accélération laser. 

Faut-il comprendre que son intérêt sera plus que limité au-delà de la démonstration scientifique ? 

Gérard Mourou propose en réalité une technologie de rupture pour produire des neutrons externes qui pourrait remplacer les accélérateurs plus classiques basés sur des cavités supraconductrices. Cela ne remet pas en cause l’ensemble des discussions sur l’intérêt de la transmutation des actinides mineurs elles-mêmes. L’avantage de la technologie prônée par Mourou consiste à retirer des déchets ultimes des éléments radioactifs, mais nécessite dans tous les cas de les manipuler et de les transporter dans les installations du cycle nucléaire. 

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L’arbitrage entre les avantages et les inconvénients d’une telle stratégie semble aujourd’hui en défaveur de la transmutation. D’autant plus qu’il s’agit d’une solution à long terme, qui ne peut s’envisager qu’une fois décidée l’avenir du plutonium, élément radioactif majeur du cycle nucléaire. Or, si le projet des réacteurs de quatrième génération est relancé, il sera utilisé comme combustible. Et s’il est définitivement arrêté, le plutonium sera probablement enterré en profondeur, dans des sites comme Cigéo, à Bure, où il deviendra inaccessible.  

Pourquoi la France a-t-elle décidé de suspendre le projet Astrid, qui visait à développer des réacteurs de quatrième génération capable de consommer du plutonium ? 

Cette décision a été prise parce que le nucléaire ne se développe pas massivement à l’échelle mondiale. Les réserves actuelles d’uranium sont donc suffisantes pour au moins cinquante, voire cent ans. La nécessité d’une quatrième génération n’a manifestement pas été jugée urgente. 

Mais son intérêt reste identique : les réacteurs de quatrième génération consomment uniquement de l’uranium 238 alors que les réacteurs actuels utilisent de l’uranium 235. C’est un net avantage étant donné que l’uranium naturel se constitue à 99,3 % d’uranium 238 contre 0,70 % d’uranium-235. Résultat, les quatrièmes générations consommeraient 200 fois moins d’uranium. Sachant que nous possédons 300 000 tonnes d’uranium, à raison d’une tonne par an par réacteur, nous pourrions tenir 6 000 ans avec 60 réacteurs. La question des ressources ne serait plus un paramètre. Le plutonium, lui, ne serait alors plus considéré comme un déchet mais comme un combustible précieux, puisqu’il en faut de grandes quantités – environ 20 tonnes par réacteurs – pour démarrer cette technologie. 

Par Victor Garcia, publié le 24/09/2019 à 1537, mis à jour à 18h40

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