POURQUOI JEAN-BERNARD LÉVY RECULE LE PROJET HERCULE DE REFONTE D’EDF

ANALYSE: Jean-Bernard Lévy a annoncé le 4 octobre qu’il ne présenterait pas comme prévu le plan de refonte d’EDF « Hercule » à la fin de l’année 2019. Le PDG invoque les négociations avec l’Europe sur la régulation du nucléaire. Une fausse bonne raison.

Ce n’était pas initialement dans les plans du gouvernement.

Mais, pour tenter de limiter l’augmentation des tarifs de l’électricité en misant sur la concurrence, les parlementaires ont ajouté à la loi énergie climat adoptée le 26 septembre un article portant de 100 MW à 150 MW le volume d’électricité d’origine nucléaire qu’EDF doit vendre aux fournisseurs alternatifs qui le demandent au prix Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), soit 42 euros du mégawattheure.

Négocier une nouvelle régulation du nucléaire

Ce mécanisme a été installé en 2010 par la loi Nome (organisation du marché de l’électricité), au moment de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie, pour faire accepter à l’Europe le fait qu’EDF reste à la fois producteur et fournisseur d’énergie. Il est applicable pendant 15 ans à partir du 1er juillet 2011, soit jusqu’au 1er juillet 2026. Il donnait ainsi accès aux nouveaux entrants à un avantage concurrentiel et cassait le monopole de fait d’EDF.

Tant que le prix de l’électricité était bas, notamment après la chute du cours du pétrole en 2014, EDF n’avait que peu souffert de cette obligation. Mais maintenant que les prix remontent, EDF dit pâtir de l’Arenh, d’autant plus que ses concurrents, comme Engie ou Total Direct Énergie, n’ont pas eux d’obligation à lui acheter son électricité nucléaire et se fournissent, tout comme EDF d’ailleurs, sur le marché aux meilleurs prix.

Gagner du temps sur la refonte

Jean-Bernard Lévy demandait déjà depuis quelque temps une révision de ce mécanisme, lui imputant une partie des difficultés financières que rencontre le groupe. Et il savait déjà, lorsque qu’il a promis de dévoiler le plan de refonte du groupe EDF, baptisé Hercule, à fin 2019, qu’il faudrait passer par une renégociation de la régulation du nucléaire français avec l’Europe.

Ce plan Hercule, dont les grandes lignes ont été dévoilées aux syndicats d’EDF au printemps, va conserver l’intégrité du groupe (pas question de scission immédiate), a promis Jean-Bernard Lévy. Il prévoit néanmoins de casser la structure actuelle, avec EDF SA (production et vente) et des filiales (EDF Renouvelables, Enedis, RTE, Framatome et à l’internationale), en créant d’un côté un « EDF bleu » renationalisé comprenant le nucléaire, l’hydroélectrique et le transport de l’électricité de RTE (dont EDF ne détient plus que 49,9%), et de l’autre un « EDF vert » avec les activités soumises à la concurrence, soit la distribution d’électricité (Enedis n’a pas de monopole), les renouvelables et les activités commerciales, notamment de fournitures d’électricité et de gaz. Environ 35% du capital de cet EDF Vert pourraient être introduits en Bourse, sachant que 16,5 % du capital d’EDF est déjà ouvert.

Détourner l’attention 

Jean-Bernard Lévy explique aujourd’hui que la régulation du nucléaire est sa priorité et que c’est elle qui justifie une refonte d’EDF, oubliant que la dette de plus de 30 milliards d’euros, le mur d’investissements pour prolonger le parc français actuel, l’incapacité d’EDF à financer de nouveaux gros projets, sans parler des problèmes de retard sur les chantiers actuels en France et maintenant aussi au Royaume-Uni qui plombe leur rentabilité, n’y sont pas liés, ou si peu.

Invoquer désormais un décalage du calendrier de la réforme de la régulation nucléaire et la mise en place d’une nouvelle Commission européenne qui ne pourrait donner son avis que d’ici quelques mois pour repousser la présentation de son plan Hercule au gouvernement ressemble donc beaucoup à un nouveau bras de fer qu’entamerait Jean-Bernard Lévy avec l’État, actionnaire majoritaire d’EDF. Le 29 septembre, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, avait déclaré que le nucléaire ne devait pas être « un état dans l’État ». Suite aux surcoûts et retards sur les chantiers des nucléaires d’EDF, il a commandé un audit indépendant qui doit lui être remis le 31 décembre. Jean-Bernard Lévy a promis des « décisions concrètes » pour la filière nucléaire. On ne pensait pas qu’il parlait de geler le projet Hercule.

Par Aurélie Barbaux, publié le 07/10/2019 à 06H58

Photo en titre: Jean-Bernard Lévy fait de la réforme des règles de ventes du nucléaire historique (Arenh) une priorité, voire un préalable, à toute refonte d’EDF.

https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-jean-bernard-Lévy-recule-le-projet-hercule-de-refonte-d-edf.N891514

(NDLR : quelques raisons électorales n’expliqueraient-elles pas aussi ce report ?)