NUCLÉAIRE : « QUI VA PAYER L’ARDOISE DE CES FUTURS EPR ? »

Pour l’expert critique du nucléaire Yves Marignac, le gouvernement privilégie la construction de nouveaux EPR sans se soucier de considérations économiques.

Yves Marignac, expert critique du nucléaire, est directeur de l’agence Wise-Paris et membre des groupes permanents d’experts de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il réagit à la publication par Le Monde d’une lettre envoyée par Élisabeth Borne et Bruno Le Maire au président d’EDF qui lui demande d’étudier la construction de six nouveaux réacteurs EPR en France.

Que vous inspire ce courrier dans lequel le gouvernement détaille sa feuille de route pour la construction de nouveaux réacteurs au PDG d’EDF ?

Yves Marignac : Cette lettre exprime clairement le souhait du gouvernement de s’orienter vers la construction de nouveaux réacteurs EPR. Jusqu’ici, l’exécutif avait laissé cette option ouverte. Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années, le gouvernement disait vouloir prendre la décision d’engager ou non ce nouveau programme. Aujourd’hui, on découvre qu’en réalité la question est déjà tranchée, sans prendre la peine de poursuivre l’instruction équilibrée de cette alternative.

Mais est-il raisonnable d’être en position d’attente sur un sujet comme celui-ci ? La filière nucléaire demande depuis longtemps une décision claire sur le sujet…

On était dans cette position pour de bonnes raisons : les difficultés sans fin du chantier de Flamanville 3, le projet Hercule de réorganisation complète d’EDF, l’évolution du système énergétique et le retard croissant de compétitivité du nucléaire vis-à-vis des énergies renouvelables, etc. Avec en toile de fond un sujet majeur : comment financer le coût très lourd de ces EPR ?

Une fois de plus, le nucléaire procède par fait accompli. Ce courrier ne vaut pas encore décision, mais il fait clairement pencher la balance, alors même que ces questions majeures restent en suspens.

Comment jugez-vous cette orientation ?

C’est évidemment contraire à l’esprit démocratique, puisque ce choix en faveur d’une option est posé sans aucune discussion ouverte sur le sujet.

Mais surtout, le courrier manifeste une confiance a priori dans la démonstration attendue que rien ne justifie au vu du retour d’expérience actuel. Les annonces désastreuses des dernières semaines concernant la dérive des chantiers de réacteurs EPR à Flamanville ou Hinkley Point, au Royaume-Uni, témoignent du peu de crédit que l’on peut encore accorder aux promesses d’EDF en termes de coûts et de délais.

Et même si EDF était en mesure de beaucoup mieux maîtriser industriellement et financièrement la construction de futurs EPR, ceux-ci auraient encore besoin d’un soutien public massif. Le gouvernement va devoir expliquer qui va payer l’ardoise de ces EPR.

Propos recueillis par Nabil Wakim, publié le 14 octobre à 22h20

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/14/nucleaire-qui-va-payer-l-ardoise-de-ces-futurs-epr_6015508_3234.html