Julien Fosse est docteur vétérinaire, spécialisé en santé publique, et docteur en biologie. Il a travaillé dans le secteur public sur des questions de recherche, d’alimentation et d’agriculture avant de rejoindre le département développement durable et numérique de France Stratégie.
Rendu public le 28 octobre, le rapport d’audit confié à Jean-Martin Folz dresse un bilan sans appel du chantier de l’ »Evolutionary Power Reactor » – ou EPR – de Flamanville. Ce réacteur de troisième génération devait incarner le renouveau de la filière nucléaire française. Lancé en 2007 pour une mise en service prévue en juin 2012, il ne devrait fonctionner qu’à la fin de l’année 2022. Dans le meilleur des cas… Quant au budget de construction, il a presque quadruplé, passant de 3,3 à plus de 12,4 milliards d’euros. Malgré cet échec industriel, le lancement de nouveaux chantiers est étudié par les pouvoirs publics. De quoi s’interroger sur les voies d’élaboration de notre politique énergétique nationale.
Retards, surcoûts et perte de compétences
Le diagnostic de Jean-Martin Folz est sombre. Il pointe des estimations de coûts et de délais de construction irréalistes, mais alléchantes, ainsi qu’une succession de dysfonctionnements soulignant en creux l’hyper-complexité du projet. Un projet dont le pilotage reposait sur une gouvernance qualifiée d’inappropriée, ne permettant pas d’assurer des relations fluides entre les différents acteurs du chantier. Au-delà de ces observations, la perte de compétences de la filière nucléaire est également pointée du doigt. Elle s’explique par l’absence de construction de centrales depuis vingt ans. Un point noir : la réalisation des soudures, élément clef de la sécurité du réacteur.
Malgré cette analyse, les défenseurs du nucléaire plaident pour un nouveau programme de construction de réacteurs. Les arguments en faveur d’un tel projet sont bien connus : le nucléaire fournit une énergie décarbonée, pilotable, qui assure à la France une autonomie énergétique à coût réduit. L’effet falaise, correspondant à l’atteinte de la « date de péremption » initialement prévue pour de nombreux réacteurs, plaide également pour une relance. Mais des zones d’ombre, récurrentes, persistent : que faire des déchets nucléaires ? Quel est le coût complet de cette énergie, incluant le démantèlement des centrales vieillissantes et le stockage des déchets ? Et peut-on garantir une sécurité optimale à nos concitoyens dans un contexte de « perte de compétences » de la filière ? Autant de questions qui justifieraient un vaste débat public permettant d’éclairer les orientations futures du secteur. Mais ça n’est pas vraiment dans ses habitudes…
EPR : stop ou encore ?
Car le monde du nucléaire reste imprégné d’une culture héritée du passé, aux confins du secret défense et du secret industriel. Un monde de sachants, s’appuyant sur une vision techniciste du progrès, considérant qu’il suffit d’arguments scientifiques pour convaincre. Occultant en cela l’angoisse légitime face à des technologies dont l’histoire a démontré les failles, ce qui appellerait une transparence accrue pour lever les doutes. C’est dans ce contexte que « Le Monde » a révélé, le 12 septembre dernier, un courrier adressé au président d’EDF par les ministres chargés de l’Économie et de la Transition écologique. Un courrier invitant l’entreprise publique à « être en mesure de répondre à l’exécution d’un programme de construction de trois paires de réacteurs sur trois sites distincts« . Une hypothèse de travail, à considérer dès maintenant eu égard à la complexité de mise en chantier de ces mastodontes technologiques.
Mais une hypothèse qui ne peut être passée sous silence alors que le nucléaire fait débat depuis tant d’années. Et que les Français appellent à une plus grande co-construction des politiques publiques. La convention citoyenne pour le climat est à ce titre une première qui fera sans doute date et qui, je l’espère, verra émerger des propositions novatrices reprises par les pouvoirs publics. Un instrument de concertation qui pourrait être transposé au secteur de l’atome. Pour éclairer et co-construire, plutôt qu’imposer sans convaincre. Alors, à quand une convention citoyenne sur l’avenir du nucléaire ?
Par Julien Fosse, biologiste et vétérinaire, publié le 07/11/2019 à 11h00
Photo en titre : © Ludovic Dupin
https://www.usinenouvelle.com/blogs/julien-fosse/vers-une-convention-citoyenne-sur-l-avenir-du-nucleaire.N901539
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