NUCLÉAIRE : FAUT-IL RAISONNABLEMENT AVOIR PEUR ?

Alors qu’un séisme plus puissant que prévu a frappé la Drôme et l’Ardèche, deux centrales nucléaires sont sous surveillance. L’une d’elle est à l’arrêt. Faut-il raisonnablement avoir peur d’une possible catastrophe, comme le recommandent les “catastrophistes éclairés” ?

À 11h52, ce lundi 12 novembre, un séisme a secoué la Drôme et l’Ardèche. Ses effets ont été ressentis jusqu’à Lyon et Montpellier. Deux centrales nucléaires se situent dans la région : à 23 kilomètres de l’épicentre pour le site de Cruas-Meysse et à 26 pour celui du Tricastin. Le mouvement Sortir du nucléaire a réagi, appelant à prendre le risque sismique “au sérieux dans la vallée du Rhône”.
 
Si l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) ne signale “aucun dommage apparent”, les réacteurs ont néanmoins été arrêtés à Cruas-Meysse, afin de mener des examens. Au Tricastin, en revanche, la centrale reste en activité. Or la magnitude de la dernière secousse (5,4) a pourtant dépassé l’indice du “séisme majoré de sécurité”, soit le séisme de référence d’une magnitude 5,2, retenu par l’ASN pour mesurer les risques.
 
Aujourd’hui, alors que nous sommes conscients qu’une menace sérieuse pèse sur l’Hexagone, nous semblons cependant ne pas vraiment y croire. Attendons-nous qu’une catastrophe se produise pour réagir ?

C’est la crainte des “catastrophistes éclairés”, dont participe Jean-Pierre Dupuy. Pour ce philosophe, il faut distinguer deux conceptions du temps : le temps de l’histoire, qui permet d’appréhender les événements rétrospectivement, et le temps du projet, qui permet d’envisager les événements à venir.

Comme il l’écrit dans Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain (Seuil 2002 ; rééd. 2004) : “une redoutable incertitude affecte donc les menaces qui occupent nos esprits : sont-elles très peu probables ou quasi certaines ? Il nous semble qu’elles sont l’une et l’autre chose : très peu probables, sans doute parce que nous n’imaginons pas qu’une catastrophe puisse être à la fois d’une ampleur considérable et fortement probable, l’invraisemblance compensant l’énormité de l’enjeu ; mais, simultanément, quasi certaines, du fait de leur caractère de fatalité. […] Cette configuration inédite, loin de constituer une vision pessimiste de notre situation, représente peut-être notre unique possibilité de salut. C’est parce que nous nous fixons sur cet événement inéluctable qui, peut-être, ne se réalisera pas, que nous trouverons, peut-être, les moyens de faire qu’en effet l’inéluctable ne se produise pas.”
 
S’appuyant sur l’accident de Tchernobyl, il montre qu’une peur rationnelle pourrait prévenir la catastrophe. Ni pessimisme ni fataliste, le raisonnement de Jean-Pierre Dupuy invite à l’action. Selon lui, le catastrophisme éclairé propose de faire comme s’il s’agissait d’une fatalité, tout en sachant que nous en sommes responsables. C’est une ruse prudentielle que nous mettons en place pour sortir de l’inconscience et de l’inaction.” Dont acte ?

Par Cédric Enjalbert, mis en ligne le 11/11/2019, mis à jour le 14/11/2019

Photo en titre : Centrale de Cruas de nuit (cc) Wikimedia Commons

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