Analyse – Derrière l’échange musclé entre les PDG de Total et d’EDF, Patrick Pouyanné et Jean-Bernard Levy, lors du congrès de l’Union Française de l’électricité, le 3 décembre à Paris, il n’était pas seulement question de l’accès au nucléaire historique au tarif Arenh, mais aussi de la place du gaz et du nucléaire dans le mix électrique français et européen de demain.
Autant s’y préparer tout de suite. L’heure de la transition énergétique douce est passée. L’urgence climatique remet en cause les stratégies de long terme des acteurs de l’énergie, en Europe du moins. Le nucléaire français, porté par EDF, reste suspendu à une décision du gouvernement sur la construction de nouveaux réacteurs EPR. Or l’exécutif français a lié sa décision à la mise en service de l’EPR de Flamanville, soit au mieux en 2023… donc après la prochaine élection présidentielle. De son côté, la place du gaz comme énergie de transition, défendue par Total et Engie, fait de plus en plus débat. Surtout, exclus de la liste des investissements verts dans une nouvelle taxonomie bruxelloise, le nucléaire et le gaz se débattent pour y entrer.
Finalement, seules les énergies renouvelables sont à peu près sûres de leur avenir à moyen terme, malgré une saturation de l’éolien terrestre en Allemagne et un retard français dans l’offshore. Plébiscitées par les entreprises et les territoires pour verdir leur bilan carbone et affichant des prix de plus en plus compétitifs, les énergies renouvelables vont peu à peu s’émanciper des aides d’État.
La fébrilité des grands énergéticiens
Or, si les grands énergéticiens sont tous engagés de manière très volontariste dans les énergies renouvelables, cela reste marginal dans leur activité. De plus, rien n’énerve plus un patron d’industrie que le manque de visibilité et l’instabilité réglementaire. Pas étonnant donc que tant chez Engie, que chez Total et EDF, on sente une fébrilité grandissante. Une fébrilité que les patrons d’EDF et Total, Jean-Bernard Levy et Patrick Pouyanné, n’ont pas réussi à cacher lors du dernier colloque de l’Union française de l’électricité (UFE), le 3 décembre à Paris.
Lors d’un débat sur le thème de la compétitivité avec les PDG d’EDF, de Total, de la RATP et le président de France industrie Philippe Varin, on a assisté à un étonnant échange musclé entre les deux industriels de l’énergie. En cause l’éviction du gaz dans le mix électrique et surtout l’Arenh, ce mécanisme qui oblige EDF à vendre un quart de la production électronucléaire historique soit 100 TWh à ses concurrents, les fournisseurs alternatif ayant un tarif de 42 euros du mégawattheure. Or les concurrents d’EDF, Total en tête, en veulent plus, considérant que c’est un bien public, ce que bien sûr EDF récuse.
La question du nucléaire historique comme bien commun
« La rente nucléaire n’appartient pas à EDF, elle appartient à la collectivité comme l’a dit Jean-Bernard », a lancé Patrick Pouyanné dans une intervention sur le développement de la concurrence. Quelques minutes plus tard, Jean-Bernard Levy lui répondait : « Plutôt que de demander des TWh nucléaires, construis des centrales au gaz ! » « Mais ils ne t’appartiennent pas les TWh nucléaires, Jean-Bernard ! » « Ah bon, qui c’est qui les a construits ? », a répondu le PDG d’EDF. « Non ils appartiennent à la collectivité. Bon, on ne va pas être d’accord sur ce sujet-là, pas la peine d’insister. Ils appartiennent à la collectivité, c’est comme ça qu’on construit de la concurrence. » Mais quelques minutes plus tard, cherchant à abonder un peu dans le sens d’EDF, le patron de Total a expliqué que pour lui, effectivement, il n’était pas normal que les options d’Arenh soient gratuites. Pas de quoi clore le débat.
Interrogé sur le « bad buzz » qui entoure actuellement le nucléaire, Jean-Bernard Levy a expliqué qu’il n’y avait pas d’autres solutions que de renouveler le parc nucléaire, même si, avec les alternances politiques en France et en Europe, la fenêtre de décision « ce n’est pas tous les jours, ni tous les mois, ni tous les ans, malheureusement ». Mais pour lui la décision est indispensable, sinon « la France se recarbonera à travers des centrales au gaz ». Une option pour l’instant totalement écartée en France. La centrale à gaz de Total Direct Énergie en construction à Landivisiau (Bretagne) devrait bien être la dernière.
La place du gaz dans le mix
Sur ce sujet, pour Patrick Pouyanné, « la France fait une erreur de décider que le gaz naturel devrait être exclu de son mix. C’est une façon d’assurer de la base beaucoup plus flexible que d’autres. Et dans les pays du nucléaire, comme en Belgique, c’est une façon de compenser la saisonnalité de la demande. […] Ce n’est pas pour rien que la Californie, qui est verte, vient de décider de remettre des centrales à gaz dans son plan de développement ». Pour lui, les autres pays d’Europe « vont migrer du charbon vers le gaz et pas du charbon vers le nucléaire ». Ce que modère Jean-Bernard Levy pour qui « dans les pays d’Europe de l’Est, les projets nucléaires sont nombreux et avancés ». Patrick Pouyanné a rétorqué « qu’il faut regarder la totalité de l’impact écologique et environnemental du nucléaire », après avoir remarqué que « pour que le débat soit sain, il faudrait une vraie clarté sur les coûts des différentes filières ».
Reste que la PPE 2019-2028, dont on attend toujours la publication du texte définitif, demeure résolument électrique. Et la nouvelle réglementation thermique des bâtiments qu’elle contiendra, la RT2020, devra elle aussi pousser à favoriser le chauffage électrique au détriment du chauffage à gaz contrairement à la RT 2012. De quoi faire bondir Engie. Pourtant, ce jour-là, au colloque UFE, c’est dans un face à face très consensuel sur la transition énergétique avec le PDG de l’énergéticien suédois Vattenfall, Magnus Hall, qu’était intervenue Isabelle Kocher. La bataille entre pompes à chaleur et chaudières gaz n’est pas close pour autant.
Par Aurélie Barbaux , publié le 6 décembre 2019
Photo en titre : Face au nucléaire et aux EnR, le gaz tente de garder une place dans le mix énergétique français (en photo le départ de ligne de la centrales thermique à gaz d’EDF à Martigues, Bouches-du -Rhône) Matthieu Colin pour l’Usine Nouvelle
https://plus.lesoir.be/264976/article/2019-12-05/depenses-militaires-mondiales-quel-sens-encore-ce-gaspillage
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