Avec un budget de plus 86 millions d’euros par an, c’est une véritable armée de lobbyistes qui gravite autour des fonctionnaires de la Commission européenne pour obtenir le label d’investissement vert de l’Union européenne, dénonce dans son dernier rapport l’ONG Reclaim Finance.
C’est en décembre 2020 que devront entrer en vigueur les règles européennes des investissements durables concernant le climat. Ce qu’on appelle la taxonomie verte, soit un outil de classification des activités économiques non polluantes. Dans les recommandations finales émises en mars dernier par le groupe technique d’experts auprès de la Commission européenne, le gaz et le nucléaire n’y figuraient pas. Une décision qui avait été saluée par les écologistes mais dans la dernière ligne droite de son élaboration, les ONG comme Reclaim Finance craignent que le gaz et le nucléaire, exclus au printemps ne réapparaissent sur la liste en hiver.
Des milliards de financements publics et privés sont en jeu avec la taxonomie. Pas étonnant que les lobbies du gaz et du nucléaire viennent frapper à la porte des décideurs européens tous les trois jours et dépensent des millions d’euros par an pour en faire partie, assure Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance.
Le risque est en effet à la hauteur des enjeux pour les industries gazières et nucléaires. Sorties de la taxonomie européenne, elles pourraient être privées de milliards d’euros de financement. Car pour répondre aux objectifs de réduction d’émission carbone d’ici 2050 dans la lutte contre le réchauffement climatique fixés par l’ONU, la finance mondiale est en train de basculer vers des investissements plus propres.
Un domaine qui est devenu la spécialité de la jeune ONG Reclaim Finance. Affiliée aux Amis de la Terre, elle s’est donnée pour mission de surveiller et de dénoncer les flux financiers qui vont aux activités les plus polluantes.
86 millions d’euros par an
Depuis 2018, elle analyse notamment le registre de transparence de l‘Union européenne où sont consignées les activités des représentants d’intérêts. Dans son dernier rapport, Reclaim Finance relève pas moins de 310 réunions avec des décideurs politiques européens, ce qui représente déjà un rythme élevé de près de 3 réunions par semaine pour défendre les intérêts des industries gazières et nucléaires. Mais depuis le mois de mars, date de la sortie du rapport des experts, l’ONG note une nette accélération du lobbying, soit 52 réunions en 4 mois. Et les moyens mobilisés sont encore plus significatifs, on dénombre au moins 825 personnes salariées par des cabinets de conseil ou des grands groupes qui gravitent autour des décideurs européens.
Le groupe pétrolier anglo-néerlandais Shell emploie par exemple 16 personnes pour son lobbying à Bruxelles. Les Français ne sont pas en reste : 10 personnes pour EDF, 6 pour Total. Le budget alloué est également considérable, c’est au total au moins 86,6 millions d’euros par an qui sont consacrés au lobbying par ces entreprises : 4,7 millions d’euros pour Shell, 2,5 millions pour EDF, 2 millions pour Total.
Et tout ce jeu d’influence n’a pas été fait à fonds perdus soupçonne Paul Schreiber, de Reclaim Finance. La Commission européenne vient de lancer une expertise sur le nucléaire qu’elle a confié à son service scientifique interne. La question est de savoir si l’énergie nucléaire qui n’est pas émettrice de gaz à effets de serre peut être réintroduite dans la taxonomie verte. La question des déchets radioactifs qu’elle produit reste tout de même un obstacle de taille dans l’opinion publique mais les intérêts économiques pour certains pays comme la France et la Finlande, pays grands producteurs pourraient primer sur l’intérêt écologique.
Se libérer des lobbies
Le gaz aussi fait l’objet d’une nouvelle étude. Une nouvelle plate-forme européenne de financement durable prendra le relais en tant que conseiller de la Commission européenne pour la taxonomie le mois prochain – et les deux industries se bousculent pour être incluses dans le panel des experts. Leur objectif : faire figurer le gaz dans la taxonomie comme une activité dite de transition. Certains États membres de l’Union Européenne notamment l’Allemagne envisagent d’utiliser les centrales à gaz pour sortir de leur dépendance au charbon.
De leur côté les militants pour le climat ont exhorté l’UE à ne pas céder à la pression de l’industrie pétrolière et gazière.
Si les institutions européennes et les États membres de l’Union sont sérieux dans leur volonté de bâtir une Europe durable qui adresse l’urgence climatique, ils doivent se libérer des lobbies. Nous avons besoin d’un pare-feu climatique pour protéger notre planète et les intérêts des citoyens.
Mais quelle chance les ONG ont-elles d’être écoutées à Bruxelles ? Si elles aussi pratiquent le lobbying, c’est presque sans aucune comparaison avec les industries des énergies fossiles. Les deux plus puissantes ONG que sont WWF et Greenpeace ne totalisent pas plus de 7 réunions avec des décideurs européens au sujet de la taxonomie et seule WWF affiche un budget de 2 millions d’euros pour l’ensemble de ses activités de lobbying à Bruxelles. Seul le poids de l’opinion publique peut aider à faire la différence.
Par Annabelle Grelier, publié le 27 août 2020
Photo en titre : La taxonomie européenne a exclu les usines à gaz et pipelines de ses activités considérées durables
https://www.franceculture.fr/economie/les-lobbyistes-du-gaz-et-du-nucleaire-se-dechainent-a-bruxelles
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