TRIBUNE. Diffusé mardi 24 novembre 2020 par Arte, le documentaire “La face cachée des énergies vertes” démontre avec efficacité que le vert ne serait pas si vert que ça au pays des éoliennes et des voitures électriques. L’idée fondamentale est que les éoliennes, comme les panneaux solaires, utilisent des métaux rares dont l’extraction minière est source de pollution et de ravages environnementaux dans d’autres pays du monde, en Chine, en Bolivie ou au Chili par exemple.
Si l’on ne conteste pas les faits reportés, il aurait cependant été utile de porter à la connaissance des téléspectateurs d’Arte que la majorité des terres rares et des métaux rares sont utilisés dans les activités traditionnelles comme la fabrication du verre, la métallurgie, les lampes, les écrans, l’imagerie médicale, l’énergie nucléaire, la défense… et bien sûr dans le milliard et plus de téléphones portables vendus chaque année dans le monde.
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Mais il est vrai que les nouvelles activités comme la production de batteries de voitures, l’électronique, et les énergies renouvelables, concourent à une forte augmentation de cette consommation. Ce n’est pas vrai seulement des éléments dits “rares”, mais également du cuivre, de l’acier, de l’aluminium.
Des technologies peu gourmandes en terres rares
Faire des éoliennes et des panneaux solaires le bouc émissaire de la pollution mondiale due aux activités minières relève toutefois du sophisme.
C’est un peu comme si on disait d’un agriculteur bio que sa production est bien peu respectueuse de l’environnement parce que la teinture de son pantalon a pollué les eaux du Bangladesh.
L’allégation ne serait peut-être pas fausse, comme il n’est pas faux d’affirmer que la fabrication des éoliennes, ou de l’écran sur lequel vous lisez cet article, ont aussi des impacts environnementaux.
En ce qui concerne les éoliennes, dont les images sont associées par le reportage à de terribles pollutions à l’autre bout du monde, Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables, considère que cette association relève du mensonge car “l’utilisation de terres rares dans l’éolien est très marginal. Seule une faible part des éoliennes terrestres sont à aimants permanents et utilisent du néodyme et du dysprosium”.
Jean-Louis Bal fait aussi remarquer que ces éléments ne sont pas aussi rares que ça, et que, s’ils l’étaient, le recours au recyclage du néodyme (principalement utilisé dans les éoliennes en mer) serait compétitif, ce qui est loin d’être le cas.
L’Ademe a publié en octobre dernier un avis technique montrant que les énergies renouvelables n’utilisent que peu de terres rares, et qu’il existe des solutions de substitution pour les aimants permanents des éoliennes. Toujours selon l’Ademe, les technologies photovoltaïques n’utilisent pas de terres rares.
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Il faut préciser que le terme “terres rares” s’applique à un groupe de métaux bien précis qui ne comprend pas le lithium, le cadmium, l’indium ou l’argent par exemple, largement utilisés par l’électronique, et pour certains par les panneaux photovoltaïques. Ces métaux sont polluants, soit du fait de leurs procédés extractifs, soit par leur nature chimique. Le documentaire diffusé par Arte montre notamment les dégâts environnementaux de l’extraction du lithium qui exige de grande quantité d’eau.
Une pollution nouvelle, mais pas inéluctable
Entendons-nous bien, le documentaire d’Arte pose parfaitement le problème général de la pollution liée aux activités extractives, pas seulement des terres rares ou des métaux rares, mais aussi du cuivre dont la consommation augmente avec l’électrification de nombreuses activités (dont l’automobile) ; et il montre bien que la solution viendra aussi de la sobriété et de la reconsidération de nos modes de vies. On applaudit.
Mais encore une fois, montrer les dégâts environnementaux colossaux des activités extractives, les lier aux énergies renouvelables, sans les comparer à celles du charbon, du pétrole, du gaz, est incompréhensible.
La production minière actuelle de terres rares et de l’ordre de 150 000 tonnes. En comparaison, 8 milliards de tonnes de charbon sont extraites chaque année pour fabriquer de l’électricité, libérant dans l’environnement 150 millions de tonnes de cendres, des centaines de tonnes de mercure, des milliers de tonnes d’arsenic, du plomb, du cadmium, de l’antimoine, ainsi que des éléments radioactifs et ce, pas seulement au cours de l’extraction mais au cours de l’utilisation dans les centrales électriques.
N’oublions pas les 22 milliards de tonnes de CO2 relâchées chaque année, toujours pour le seul charbon dans l’atmosphère. Les énergies renouvelables permettent de tirer un trait sur cette gigantesque pollution : charbon, pétrole, et gaz.
Bien sûr, elles créent de nouvelles pollutions, mais les échelles sont incomparables. Et ces pollutions ne sont pas inéluctables. Ces terres rares, et autres métaux, rares ou non, destinés à la fabrication des éoliennes, ne sont pas destinés à être brûlés dans une chaudière, mais deviennent des composants de machines qui pourraient, en théorie, être recyclées, et pour lesquelles il existe, ou existera, des alternatives.
Tirer enfin un trait sur les énergies fossiles
Ce que le documentaire ne mentionne pas en revanche, c’est le signal d’alerte qui est lancé par l’Agence Européenne de l’Énergie (A.E.E.). Selon un rapport publié mardi 8 septembre 2020, 13 % des morts en Europe chaque année seraient liées à la pollution, soit 630 000 morts prématurées.
Alors faut-il continuer à rouler au Diesel et se priver des énergies renouvelables, ou avoir recours au tout nucléaire ?
Rappelons qu’aujourd’hui encore plus de 80 % de l’énergie consommée dans le monde provient du pétrole du charbon ou du gaz. Que faire quand l’Europe, la Chine, le Japon, maintenant les États-Unis appellent à la neutralité carbone en 2050 ou 2060 ?
Curieusement, parmi les autres solutions du Pacte vert pour l’Europe, le reportage d’Arte ne cite pas la capture et le stockage du CO2 produit par les centrales à charbon – qui n’enlève rien aux pollutions gigantesques que nous venons de citer.
Idem pour le recours au nucléaire, dont il serait intéressant de considérer aussi les impacts issus de la construction des réacteurs, de leur fonctionnement, depuis l’extraction de l’uranium dans des pays lointains jusqu’à la production d’effluents radioactifs et de déchets à la toxicité invisible, ingérable et terrifiante.
Dans le monde, en 2019, 282 milliards de dollars ont été investis dans les nouveaux moyens de production électriques renouvelables dont 138 milliards pour l’éolien et 131 pour le solaire. C’est plus que les investissements dans les moyens de production électriques au gaz et au charbon. C’est neuf fois plus que les investissements dans le nucléaire.
Les renouvelables sont le chantier du siècle. Ils produisent désormais de l’électricité moins chère que celle produite avec le charbon le moins cher, en même temps que nous apprenons à gérer l’intermittence.
Et la baisse continue. Pour donner une idée, le coût de l’électricité produite par les deux réacteurs nucléaires que EDF construit au Royaume-Unis sera de 14,5 cts de dollar le kWh (sur la base du contrat passé en 2012 réactualisé aujourd’hui). Le même EDF produira de l’électricité éolienne au large de Dunkerque à 5,3 cts de dollar ; et aux Émirats arabes unis, avec un consortium d’entreprises chinoises, de l’électricité solaire à 1,35 cts de dollars.
Outre l’appel à une déconsommation généralisée souhaitable, ce documentaire ne nous a pas dit comment faire pour arriver à la neutralité carbone en 2050, objectif aujourd’hui repris par de plus en plus de pays dans le respect des Accords de Paris, ou comment réguler l’empreinte énergétique de ce qui représente encore aujourd’hui plus de 80 % de l’énergie produite dans le monde : le charbon, le pétrole et le gaz.
Par Yves Heuillard, journaliste environnemental, et François Siegel, directeur de publication de WE DEMAIN, publié le 27/11/2020
Photo en titre : Crédit : Shutterstock
https://www.wedemain.fr/dechiffrer/les-energies-renouvelables-sont-le-chantier-du-siecle/
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