« Oui, j’ai lu l’interview de François de Rugy. Elle est… pfffff« . Le député en perd ses mots. Ce matin-là, à la questure, cet élu LREM reçoit, en compagnie de ses collaborateurs, une poignée de journalistes pour parler de la loi Climat sur laquelle il planche, depuis plusieurs jours, en commission. Les journées sont longues. La veille, les débats se sont prolongés jusqu’à minuit. Les cernes sont visibles sur les visages de la petite équipe. Malgré cet emploi du temps surchargé, le jeune député a pris le temps de lire attentivement l’interview de l’ancien ministre de l’Écologie parue dans le journal Le Point quelques jours plus tôt. Une petite bombe, d’autant qu’elle sort alors que l’Assemblée entre au cœur des discussions sur la loi Climat qui doit être, à en croire l’Élysée, l’un des marqueurs du quinquennat d’Emmanuel Macron.
À contre-courant, l’ancien ministre de l’Écologie affirme : « J’ai une conviction : ce n’est pas une « révolution écologiste » qui permettra de résoudre les problèmes, mais le progrès technologique et économique« . Et il défend deux des tabous des écologistes : le nucléaire et les OGM. À propos du premier, il affirme : [quand j’étais ministre] « J’ai regardé au fond des choses et j’ai approfondi les dossiers. J’ai pu vérifier que l’enjeu de sécurité nucléaire était extrêmement maîtrisé en France, avec des outils de contrôle de sûreté extrêmement resserrés« . Et d’ajouter : « Le stockage en grande profondeur, tel qu’il est préparé à Bure, est une solution sûre« .
À propos des OGM, sujet ultrasensible en France, l’ancien ministre, ancien Vert, assure : « Il faut absolument sortir d’une approche religieuse« . Pour François de Rugy, « les scientifiques savent que la génétique végétale peut apporter des solutions à des problèmes environnementaux essentiels. Les techniques d’édition du génome permettraient, par exemple, d’accéder beaucoup plus vite à des variétés de betterave résistantes à la jaunisse« . « Vingt pays dans le monde cultivent des OGM depuis plus de quarante ans, et nous avons en France des laboratoires de pointe dans le domaine de la génétique. Le moment n’est-il pas venu de faire un état des lieux des connaissances et d’évoluer ?« , lance-t-il avec verve.
L’ancien militant d’Europe Écologie-Les Verts prend ainsi le contre-pied des convictions de son ancien parti : « Nous devons changer d’échelle, affirme-t-il. Pour cela, – c’est totalement étranger à la culture des Verts –, la question du rendement est centrale. L’idée qu’il faudrait en revenir aux pratiques agricoles d’antan est absurde, car l’écologie, c’est améliorer le rendement pour moins puiser dans les ressources naturelles« . Il se dit, en outre, déçu du résultat de la Convention citoyenne pour le climat.
Il n’est pas très Pompili compatible
Pas de quoi réjouir l’Élysée qui tente, depuis des mois, de présenter cette convention comme une innovation majeure du président de la République, presque une révolution démocratique qu’Emmanuel Macron imagine peut-être reproduire au sujet de l’euthanasie.
De plus, en choisissant de parler alors que débutent les discussions sur la loi Climat, l’ancien ministre de l’Écologie porte un coup à la tentative de la majorité de se parer de vert en vue de la prochaine présidentielle. De quoi agacer, même les plus modérés : « Il n’est pas très Pompili-compatible. Or, quand une ligne majoritaire s’impose, vous vous devez d’être solidaire« , assure, à La Dépêche, un député proche de l’Élysée qui ajoute, afin de relativiser : « Sa voix compte mais il est aujourd’hui redevenu un simple député. Elle ne pèse pas plus que celle d’un autre« .
Mais qu’elle mouche a bien pu piquer l’ancien ministre ?
Pour comprendre, il faut observer le paysage politique dans Les Pays de la Loire. Lors des prochaines élections régionales, l’ancien ministre y affrontera Mathieu Orphelin, bras droit de Nicolas Hulot, mais aussi Guillaume Garot, ministre de l’Agroalimentaire de Jean-Marc Ayrault qui s’est engagé dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, et le représentant du Rassemblement National qui prône la relocalisation. François de Rugy cherche donc à se démarquer de ses trois rivaux. Mais sa démarche va plus loin car il vient aussi de monter un think tank, le Cercle Orion, afin de peser lors de la prochaine élection présidentielle. « Contribuer à nourrir le projet politique du prochain quinquennat, c’est l’ambition du Cercle Orion« , écrit-il dans une tribune. Car, le député fait un constat simple : « En Marche ! n’a jamais su développer sa propre vision de l’écologie, et c’est à quoi je veux m’atteler« .
Mais si nombre de députés lui reprochent de brandir ainsi des sujets hautement inflammables au moment même où la majorité cherche le consensus, sa vision de l’écologie est loin d’être aux antipodes de celle de l’Élysée. Il y a quelques semaines, un membre du G7, la cellule au sein de LREM chargée de commencer à réfléchir à la présidentielle, affirmait à La Dépêche : « Quand le président parle des Amishs, il met un mot sur quelque chose de réel. Il montre qu’il y a deux sortes d’écologie. Nous, nous défendons une écologie réconciliée avec l’économie contre une écologie punitive. Nous refusons de mettre des pierres dans le sac à dos des entreprises« .
Alors, François de Rugy est-il le caillou dans la chaussure verte d’Emmanuel Macron ou bien le précurseur d’un recentrage ? La campagne de 2022 apportera la réponse.
Par Christelle Bertrand, publié le 21/03/2021 à 05h08 , mis à jour à 06h59
Photo en titre : François De Rugy, DDM
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