LE PROCÈS « BURE » S’OUVRE SUR FOND DE LUTTE POLITIQUE

Le président du tribunal correctionnel de Bar-le-Duc a suspendu l’audience, mardi 1er juin après-midi, alors que les sept prévenus étaient partis manifester contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires en Meuse.

Les bancs des prévenus sont vides au tribunal correctionnel de Bar-le-Duc, dans la Meuse. Et pour cause : au premier jour de leur procès, mardi 1er juin, pour « association de malfaiteurs » et « détention de substances ou produits incendiaires ou explosifs en bande organisée », les sept opposants au projet d’enfouissement, à l’horizon 2035, de déchets radioactifs sur la commune de Bure sont partis manifester dans les rues du centre-ville avec plusieurs centaines de membres du mouvement de contestation antinucléaire.

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Manifestement embarrassé, le président du tribunal, Sylvain Roux – après avoir lu l’épaisse ordonnance de renvoi de 180 pages – s’est résolu à suspendre les débats jusqu’au lendemain plutôt que d’attendre le retour des prévenus. Il est alors 15 h 30 dans la salle d’audience quasiment déserte du petit palais de justice.

« M. le président, il me semble que l’on prend quand même en otage votre juridiction, assène, agacé, le procureur de la République de Bar-le-Duc, Sofian Saboulard. Maintenant, il faut attendre le retour des prévenus pour les interroger. Ce n’est pas le cours normal de la justice. »

« État policier »

Dans la matinée, le président n’avait pas autorisé les prévenus à prolonger leur pause méridienne pour participer au cortège avec leurs avocats : « Ce n’est pas l’extérieur qui doit dicter ce qui se passe dans un tribunal. Nous avons fixé un calendrier : l’audience est prévue sur trois jours. »

À l’ouverture du procès, les débats ont donc été complètement éclipsés par le rassemblement festif, au pied du palais de justice, des opposants à l’installation par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’un centre industriel de stockage géologique de déchets radioactifs (Cigéo). Dans une ambiance de kermesse, les prévenus, le poing levé, ont été ovationnés par les militants antinucléaires massés sur la place Saint-Pierre, où des stands étaient dressés. Vêtue de violet, la couleur des opposants au projet Cigéo, la foule a dénoncé « l’État policier » et réclamé « la fin du nucléaire ».

« Attaché à la sérénité des débats », le président du tribunal a émis en vain le souhait, dans son préambule, que l’audience ne se transforme « ni en spectacle ni en tribune politique ». Stoïque derrière son masque, M. Roux a menacé de « procéder à l’expulsion de la salle des éventuels éléments perturbateurs ». « Nous sommes là pour débattre de qualifications pénales et pas de nucléaire ou du projet Cigéo », a insisté, pour sa part, le représentant du ministère public.

Tour à tour, les sept prévenus (trois femmes et quatre hommes âgés de 28 à 48 ans) ont défilé à la barre pour planter le décor. S’ils ont lu une courte déclaration, les opposants ont annoncé qu’ils garderaient le silence durant l’audience, adoptant ainsi la même attitude que lors de l’instruction, ouverte à l’été 2017 et marquée par la mise en place d’un imposant dispositif d’écoutes téléphoniques.

« Pièce de théâtre »

Coprésident de l’association Bure Zone Libre au moment des faits incriminés et figure de l’opposition au projet d’enfouissement des déchets radioactifs, J.D., 38 ans, s’est livré à une charge virulente contre « le système judiciaire ». « La mouvance anti-Cigéo est présumée coupable », a lancé le trentenaire, soupçonné d’avoir organisé une manifestation illicite le 15 août 2017, lors de laquelle des affrontements ont éclaté entre les militants antinucléaires et les forces de l’ordre.

« Un représentant de l’État m’a dit un jour : “On n’a pas droit de lutter en France contre le nucléaire, s’attaquer au nucléaire, c’est s’attaquer à l’État” », a clamé de son côté F.L.M., 32 ans, pilier de la Maison de la résistance de Bure, le quartier général du mouvement. « Cette instruction n’a ni queue ni tête. Je n’ai aucune envie d’assister à cette pièce de théâtre », a fulminé K.F., 33 ans, placé en détention provisoire « durant sept mois » pour avoir violé son contrôle judiciaire. « Dehors, il s’en joue une plus joyeuse à laquelle j’aimerais participer. »

Au pied du palais de justice, sous un soleil de plomb, la foule galvanisée a demandé au tribunal de « relaxer » les sept prévenus.

Par Rémi Dupré (Bar-le-Duc, envoyé spécial), publié le 2 juin 2021 à 09h51, mis à jour à 11h04

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