ÉLECTRICITÉ : APRÈS LE NUCLÉAIRE, L’ALLEMAGNE ACCÉLÈRE LA SORTIE DU CHARBON

Les sociaux-démocrates allemands, arrivés en tête aux élections législatives, les Verts et les Libéraux veulent avancer la sortie du charbon à 2030 « dans l’idéal », au lieu de 2038, selon un accord préliminaire de coalition publié vendredi. Si rien n’est encore gravé dans le marbre, cet objectif fort pose la question de la trajectoire pour y parvenir, alors que la production allemande d’électricité reste dépendante du gaz. 

Alors que les dernières centrales nucléaires de l’Allemagne s’arrêteront de tourner en 2022, dix ans après son choix de renoncer à l’atome, c’est la sortie du charbon qui fait désormais débat outre-Rhin. Pour cause, l’extraction de ce combustible fossile se heurte aux objectifs climatiques ambitieux fixés par Berlin : le pays entend réduire de 65% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990, et devenir neutre en carbone en 2045 – cinq ans avant l’échéance fixée par la Commission européenne pour tout le continent.

Pour y parvenir, la nouvelle coalition au pouvoir (SPD, Verts et libéraux) a ouvert la porte à un engagement fort. Celui d’avancer « dans l’idéal » à 2030 la sortie du charbon, contre 2038 aujourd’hui, selon un accord préliminaire pour former un gouvernement tripartite publié vendredi. Si rien n’est encore gravé dans le marbre, le défi est de taille, après que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a jugé en avril dernier que les efforts de Berlin en la matière étaient insuffisants.

Dépendance au gaz

Car l’Allemagne reste fortement engluée dans cette source d’énergie très polluante. En témoigne l’image, toujours prégnante, de la destruction de l’église de Sant-Lambertus en 2018 pour permettre l’extension d’une mine de lignite à ciel ouvert. Ainsi, au global, « bien que la consommation de charbon en Allemagne ait été divisée par trois depuis 1990, 23% de l’électricité générée dans le pays provient encore de centrales à charbon, contre 13% en moyenne dans l’Union européenne », peut-on lire dans une note de l’Institut Jacques Delors publiée en septembre sur le sujet.

Le grand enjeu résidera donc dans la manière de se passer de cette houille et de ce lignite. « Il faudra que le gouvernement montre concrètement comment les remplacer par des énergies renouvelables, et non par du gaz », fait valoir Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Énergie de l’Institut Jacques Delors. Pour cause, la part du gaz, un combustible certes moins polluant que le charbon mais loin d’être neutre en carbone, ne faiblit pas dans le mix énergétique allemand. Si l’on se concentre sur la production d’électricité, c’est même l’inverse : celle-ci en était dépendante à hauteur de 9% en 2000, contre 16% aujourd’hui.

« La question de la place du gaz dans la transition allemande n’est pas claire. Il y a une multitude d’acteurs qui mettent en avant des points de vue très divergents. Dans tous les cas, il sera compliqué de se débarrasser rapidement du gaz pour produire l’électricité », estime Thomas Pellerin-Carlin.

D’autant que la dépendance allemande au gaz naturel importé de Russie persiste, et ne devrait pas faiblir avec la prochaine mise en service du gazoduc géant Nord Stream 2. Déjà en service depuis plusieurs années, le premier projet Nord Stream 1, qui passe sous la Baltique, assure déjà à lui-seul 2/3 des approvisionnements gaziers outre-Rhin. Une consommation qui « devra être réduite pour que l’Allemagne puisse atteindre ses objectifs climat », prévient l’institut Jacques Delors.

Accélération spectaculaire des renouvelables

Cependant, le tournant énergétique allemand (« Energiewende ») ne s’est pas résumé à accroître la part de gaz dans le mix électrique, loin de là, rappelle Thomas Pellerin-Carlin. Car depuis vingt ans, le pays a massivement investi dans les énergies renouvelables (éolien, solaire et biogaz) – bien plus que tous ses voisins européens. Ce qui s’est traduit par une progression spectaculaire de ces sources d’électricité décarbonée : alors qu’elles ne représentaient que 7% du mix électrique en 2000, le chiffre a bondi à 45% en 2020. 20% de plus que le charbon, et environ 30% de plus que le gaz, donc. En comparaison, ce chiffre s’élève à environ 25% en France (même si l’Hexagone fournit une énergie bas carbone du fait de son parc nucléaire).

« La sortie du nucléaire a permis la construction d’un consensus politique autour des renouvelables. Ce qui a également entraîné une diminution de l’activité dans le charbon, qui représentait en 2000 quasiment 50% du mix électrique du pays », développe Thomas Pellerin-Carlin.

Choix politique

Et le mouvement devrait se poursuivre : amendées en 2021, la loi sur l’énergie éolienne en mer (WindSeeG) et la loi sur les énergies renouvelables (EGG) visent toutes deux à atteindre jusqu’à 65% d’énergie renouvelable dans la consommation d’électricité allemande d’ici à 2030, en augmentant drastiquement la capacité de production solaire et éolienne.

Mais en plus de résistances locales, un débat interne secoue le parti vert allemand, au sujet de leur développement massif. « Il y a des arbitrages à faire entre, à quel point aller vite pour le climat, et lentement pour protéger la biodiversité », précise Thomas Pellerin-Carlin. Car l’implantation d’immenses parcs éoliens nécessite de mener des mesures d’impacts poussées, pour éviter notamment une surmortalité des oiseaux et des chauves-souris, qui peuvent être heurtés par les pales. « Techniquement, l’Allemagne peut essayer de viser 75 à 80% d’énergie renouvelable dès l’année 2030. Mais c’est un choix qui est politique », conclut le spécialiste.

Par Marine Godelier, publié le 15 octobre 2021 à 19h20

Photo en titre : La centrale au lignite de Niederaussem (Crédits : EPA-EFE/SASCHA STEINBACH)

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/electricite-apres-le-nucleaire-l-allemagne-accelere-la-sortie-du-charbon-894495.html