77 ans après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, les puissances nucléaires continuent à se doter d’armes nucléaires. Une mise en danger de l’humanité que cette prolifération prolonge.
Entretien avec Patrice Bouveret (Patrice Bouveret est le cofondateur de l’Observatoire des armements, centre d’expertise indépendant et membre de l’ICAN, la campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (prix Nobel de la paix 2017). L’Observatoire a publié plusieurs études sur les conséquences des essais nucléaires.)
Reporterre — Les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki ont frappé le Japon les 6 et 9 août 1945, provoquant de 103 000 à 220 000 morts et des dégâts écologiques irréparables. Soixante-dix-sept ans plus tard, les armes nucléaires continuent-elles de circuler ?
Patrice Bouveret — Oui. Malgré l’insécurité majeure qu’elles créent sur notre planète, elles continuent de proliférer.
Aujourd’hui, on observe deux dynamiques :
- Les neuf puissances nucléaires [1], celles qui possèdent déjà des armes nucléaires, se lancent dans des procédures pour renouveler leur arsenal, dans l’objectif de le rendre plus performant. C’est la prolifération verticale.
- De nouveaux États cherchent à maîtriser l’ensemble du cycle nucléaire, comme l’Iran qui affirme avoir désormais les « capacités techniques » pour fabriquer la bombe. C’est la prolifération horizontale.
En revanche, le volume global d’armes nucléaires a diminué : de 70 000 durant la Guerre Froide, nous sommes actuellement autour de 13 000 armes nucléaires, détenues à 90 % par les États-Unis et la Russie. Mais en matière d’armes nucléaires, il suffirait d’une bombe pour créer des dégâts sans commune mesure avec tous les autres explosifs utilisés en cas de conflit. Les stocks actuels sont suffisants pour détruire la Terre, et à plusieurs reprises.
Comment les armes nucléaires influent-elles le déroulement de la guerre en Ukraine ?
Le nucléaire est central dans ce conflit. Cette guerre est menée par la Russie, qui est l’une des neuf puissances nucléaires et pourrait tout à fait s’en servir : soit que Vladimir Poutine se sente dans l’impasse, soit qu’il y ait un accident, une erreur d’interprétation, un tir de riposte face à une menace invérifiable compte tenu des délais extrêmement courts de réaction.
Par ailleurs, la Russie a attaqué l’Ukraine, un pays qui compte énormément de centrales nucléaires. Et en situation de guerre, toutes ces installations sont autant de bombes qui, si elles étaient touchées, pourraient détruire une partie du territoire et ses habitants.
Cette guerre renverse, également, un paradigme très répandu : celui de la dissuasion nucléaire, qui consiste à croire que la possession de l’arme atomique, dont la communauté internationale a mesuré les conséquences désastreuses, dissuade de faire la guerre. Dans le cas présent, c’est tout le contraire : plutôt que de préserver la paix, la Russie s’en sert pour menacer les États qui souhaiteraient intervenir, afin de poursuivre ses attaques comme elle le souhaite sans crainte de riposte importante.
L’essai nucléaire Bravo commis par les États-Unis sur l’atoll de Bikini. Domaine public / United States Department of Energy
Dans ce contexte, la dynamique internationale de désarmement parvient-elle à progresser ?
Elle s’est accélérée le 22 janvier 2021, avec l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Les armes nucléaires sont désormais considérées comme illégales au regard du droit international, puisque le TIAN — adopté par 122 États à l’ONU en 2017 — interdit la possession, la fabrication, l’usage et la menace d’utilisation des armes nucléaires.
Malheureusement, les neuf puissances nucléaires et leurs alliés refusent de considérer ce traité et lui font barrage. Parmi elles, les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni s’étaient pourtant engagés, dès 1970 et l’entrée en vigueur le Traité sur la non-prolifération (TNP), qu’elles avaient ratifié, à « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ». Elles n’ont jamais rempli leur promesse. La Conférence d’examen du TNP, qui se déroule actuellement au siège de l’ONU, à New York, du 1ᵉʳ au 26 août, ne devrait malheureusement rien y changer.
Du 6 au 9 août, des organisations [2] proposent des actions et des jeûnes dans plusieurs villes de France [3] et dans six autres pays [4]. Dans quel but ?
Nous nous réunissons en solidarité avec les victimes des bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Celles, également, des plus de 2 000 essais nucléaires, dont 210 par la France, qui ont eu et ont encore des conséquences à long terme dramatiques sur les populations, comme en Polynésie française ou en Algérie.
Nous nous engageons aussi pour que la France adhère au traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Ce n’est pas gagné. Dans son discours du 7 janvier 2020 sur la stratégie de défense, Emmanuel Macron se prononçait en faveur du désarmement mais, dans le même temps, faisait de l’arme nucléaire et du renouvellement de l’arsenal français la clé de voûte de sa stratégie militaire.
Il évoquait même la possibilité d’user d’« un avertissement nucléaire », c’est-à-dire de frapper en premier en cas de danger. Il vient d’ailleurs d’annoncer une nouvelle augmentation des dépenses militaires, dont 13 % [5] sont consacrées à la maintenance et au renouvellement de l’arsenal nucléaire, soit 5,3 milliards d’euros en 2022. C’est donc à nous, mouvements citoyens, de contraindre les dirigeants des puissances nucléaires à s’engager réellement dans le processus de désarmement.
Par Alexandre-Reza Kokabi, publié le 6 août 2022 à 09h04
Photo en titre : À Nagasaki, six semaines après le bombardement atomique du 9 août 1945. – Domaine public / Cpl. Lynn P. Walker, Jr. (Marine Corps)
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