ÉNERGIE. POURQUOI LE GENDARME DU NUCLÉAIRE ALERTE SUR LE CAP DES 60 ANS POUR LES CENTRALES D’EDF

Pas question d’autoriser un prolongement des vieilles centrales parce qu’on ne pourrait pas s’en passer. L’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) veut imposer à EDF que la question du prolongement des réacteurs au-delà de 60 ans soit réglée dans les trois ans.

En 2043, dans vingt ans, 25 des 56 réacteurs nucléaires français d’EDF auront 60 ans ou plus. Or à cette date, et dans le meilleur des cas, seulement six nouveaux réacteurs EPR2 seront entrés en service. Ceux dont la commande est souhaitée par le président de la République (mais non encore validée).

Or, même si EDF commence à revendiquer que ses réacteurs puissent fonctionner jusqu’à 80 ans, comme cela vient d’être acté aux États-Unis, rien ne dit que l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) jugera que c’est techniquement sûr, ni qu’elle donnera son feu vert.

C’est l’« effet falaise » du parc nucléaire français, construit au pas cadencé dans les années 1970-1980 à une époque où l’on a mis en service jusqu’à 8 réacteurs dans la même année.

Tous vieillissent au même rythme et, en 2050, 47 réacteurs auront 60 ans ou plus, dont 11 auront 70 ans ou plus.

Et si l’ASN disait « non » au dépassement des 60 ans ?

« Le prolongement des réacteurs ne peut pas être une variable d’ajustement d’une politique énergétique mal anticipée », a martelé, le 23 janvier 2023, lors d’une conférence de presse, le président du gendarme du nucléaire, Bernard Doroszczuk.

Il a alerté : on ne peut pas se contenter du rythme actuel par lequel, tous les dix ans, l’ASN donne son feu vert pour dix ans de plus, réacteur par réacteur.

Autoriser un âge… déjà atteint

D’ailleurs, pour les plus anciens en service – les 32 unités de 900 mégawatts -, l’ASN a donné, en 2021, son accord de principe, chose inédite, au principe du prolongement de leur activité au-delà de 40 ans pour l’ensemble d’entre eux. Avant, de procéder à l’examen de leurs cas individuels, en cours. Mais en 2021, plusieurs avaient déjà atteint les 40 ans…

« Il faut absolument anticiper davantage le principe d’un prolongement jusqu’à 60 ans et au-delà », a répété, le 23 janvier, Bernard Doroszczuk. Car si, dans une centrale, de nombreuses pièces peuvent être changées au cours des décennies, il n’en est pas de même de la cuve du réacteur, de l’enceinte de béton, de certaines parties de circuits soudées sur la cuve, etc. Et quid des centaines de kilomètres de câbles électriques ?»

« Ce n’est pas une étude de coin de table »

L’ASN souhaite donc qu’EDF lui transmette tous les éléments techniques nécessaires pour qu’un prolongement à 60 ans ou plus « soit étudié et justifié par anticipation d’ici fin 2024 », afin que l’ASN puisse prendre position avant la fin 2026. C’est-à-dire dans trois ans.

Il ne s’agit pas d’une étude de « coin de table », prévient Bernard Doroszczuk, « mais un travail très approfondi, consistant à analyser le comportement de pièces non remplaçables et d’autres difficilement remplaçables ».

Pour cette raison, le président de l’ASN avait déjà demandé l’an dernier une telle anticipation de l’analyse, en plusieurs étapes, d’une prolongation à 60 ans et au-delà. Cette fois il suggère que l’obligation d’étudier la question dans ces délais rapides soit inscrite dans la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit être examinée par le Parlement avant la fin de l’été.

Des urgences à inscrire dans la PPE

Bernard Doroszczuk souhaite que l’avenir de la filière du cycle du combustible, « avec ses différents futurs possibles », soit lui aussi examiné au sein de la PPE. L’un des points clés est notamment – le président de l’ASN l’a déjà dit – de décider si la France poursuit ou non dans sa politique spécifique de retraitement des déchets.

Cette filière est engorgée par le manque d’anticipation d’EDF et Orano sur la création de nouvelles piscines à La Hague, par les dysfonctionnements de l’usine Melox, à Marcoule (Gard) qui produit le combustible Mox à partir de combustibles usagés, tandis qu’il faut penser à une nouvelle solution au retraitement de l’uranium sous-traité à la Russie.

Or, a déjà prévenu l’ASN, même si des « parades » pour un entreposage temporaire sont à l’étude, on ne peut pas exclure qu’un niveau supérieur d’engorgement conduise à un moment donné à arrêter certains réacteurs, faute de pouvoir gérer leurs déchets.

Quel impact du réchauffement climatique ?

Le président de l’ASN souhaite également que l’impact du réchauffement climatique sur l’activité des centrales soit étudié « sur le long terme » et de manière globale.

« Les événements climatiques qu’on a connus récemment ne seront plus exceptionnels, leur fréquence va doubler, tripler, nous dit le Giec. Le nucléaire s’inscrit dans la longue durée. On doit donc examiner à cette échelle de temps les conséquences du réchauffement climatique sur le fonctionnement des centrales, » estime Bernard Doroszczuk.

Parmi les points les plus critiques, l’impact des sécheresses sur le refroidissement des centrales, le réchauffement des cours d’eau qu’elles provoquent, les rejets de biocides utilisés pour assainir certains équipements de réfrigération. Le Rhône, où sont implantées pas moins de cinq centrales, est particulièrement concerné.

Bernard Doroszczuk indique qu’en 2022, « pour la première fois depuis 2003 », l’ASN a dû accorder pour cinq réacteurs des dérogations aux limites thermiques des rejets.

Enfin, plusieurs objectifs de démantèlement de centrales – parfois arrêtées depuis plus de 30 ans – étant « non atteints », l’ASN va mettre en place un « observatoire du démantèlement », qui traitera aussi des déchets. Ses conclusions seront rendues publiques.

Par André THOMAS, Ouest-France et AFP, publié le 23/01/2023 à 20h06

Photo en titre : Lorsque l’ASN a donné son feu vert de principe au prolongement d’activité des plus anciens réacteurs français (ceux de 900 MW) au-delà de 40 ans, certains avaient déjà atteint cet âge, dont ceux de la centrale de Gravelines (Nord). AFP

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