Après l’adoption à une large majorité du texte sur le nucléaire au Sénat, les parlementaires ont trouvé un accord, mardi, en commission mixte paritaire sur le projet de loi sur les énergies renouvelables.
Un accord transpartisan sur les énergies renouvelables, une adoption à une large majorité du texte sur le nucléaire au Sénat… En quelques heures, le gouvernement est parvenu, mardi 24 janvier, à franchir une série de haies au Parlement sur ses deux projets de loi consacrés à la question énergétique.
Si l’adoption en première lecture par le Sénat du texte relançant la filière nucléaire ne faisait guère de doute – avec 239 voix pour, 16 contre et 78 abstentions –, l’équation paraissait moins évidente pour l’exécutif en vue de la commission mixte paritaire (CMP) consacrée au projet de loi d’accélération des énergies renouvelables.
C’est finalement vers 21 h 40 que la fumée blanche est sortie de cette instance qui réunit à huis clos sept députés et sept sénateurs et où la droite dispose d’une courte majorité. Cinq heures de négociations auront permis à la coalition présidentielle de parvenir à ses fins : trouver un compromis avec les élus Les Républicains (LR) et centristes qui dominent le Sénat, tout en conservant l’appui, au Palais-Bourbon, des socialistes et du groupe centriste Libertés, indépendants, outre-mer et territoires qui avaient voté le projet de loi, le 10 janvier.
À l’issue de cet accord trouvé en CMP – sans le député LR de l’Orne Jérôme Nury, qui s’est abstenu, et ses collègues Rassemblement national du Gard Pierre Meurin et « insoumis » de Seine-et-Marne Maxime Laisney, qui ont voté contre –, les deux chambres doivent désormais adopter cette ultime version du projet de loi lors d’un vote solennel, le 31 janvier.
« C’est le fruit de mois de dialogue pour lutter contre le dérèglement climatique, construire notre indépendance énergétique et protéger le pouvoir d’achat des Français », a salué, mardi, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Quelques heures plus tôt, cette dernière s’était aussi félicitée de l’adoption de son projet de loi sur le nucléaire au Sénat, y voyant une « nouvelle étape pour concrétiser la relance d’une politique nucléaire ambitieuse et durable ».
Prééminence des communes
Si ces deux textes ont obtenu des soutiens politiques assez disparates, leurs visées sont sensiblement les mêmes : simplifier certaines procédures administratives en réduisant notamment les voies de recours afin de développer les projets nucléaires et renouvelables pour permettre à la France de sortir des énergies fossiles d’ici à 2050.
La pression est d’autant plus grande pour l’exécutif, qu’en matière d’énergies renouvelables il a une nouvelle fois été épinglé, mardi, pour avoir failli à ses engagements. D’après le baromètre Observ’ER, la France ne respectera pas son objectif de production d’électricité renouvelable d’ici à la fin de 2023, si elle reste à son rythme actuel – soit 20 gigawatts contre 24,1 gigawatts attendus.
Lors de la CMP, mardi soir, les parlementaires ont fini par s’entendre sur le principe d’une planification des projets d’énergies renouvelables grâce à la définition de zones d’accélération et d’exclusion qui pourront être délimitées après un avis conforme des communes, comme le souhaitaient les sénateurs de droite.
« Avec ce texte, on fait des maires des acteurs de la transition énergétique. C’est presque une nouvelle compétence pour eux », estime la présidente (LR) de la commission des affaires économiques au Sénat, Sophie Primas. Une prééminence des communes déplorées par les parlementaires socialistes, qui privilégient l’échelon des intercommunalités, déjà chargé du cycle de l’eau ou de l’urbanisme. « Il ne faudrait pas créer de la conflictualité, là où on veut créer de l’acceptabilité », met en garde le sénateur socialiste de Gironde, Hervé Gillé.
Les élus socialistes ont, en revanche, obtenu satisfaction sur l’article 4 du projet de loi qui vise à donner à toute installation de projets d’énergies renouvelables « une raison impérative d’intérêt public majeur » pour limiter les recours et accélérer leur déploiement. Alors que le gaz et l’hydrogène bas carbone figuraient parmi la liste des projets dans la version adoptée à l’Assemblée nationale, ces deux énergies ont été supprimées en CMP pour n’avoir que « du 100 % EnR », a salué le député (Parti socialiste) de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, qui assure que son groupe votera le texte en dernière lecture. « C’est beaucoup mieux que la jungle actuelle. Ce texte permet de créer des espaces de dialogue et d’arbitrage mais on est loin d’être dans un jardin à la française », résume-t-il.
« Changement de paradigme » sur le nucléaire
A contrario, c’est avec la droite et le centre que le gouvernement a vu, mardi après-midi, son projet de loi sur le nucléaire adopté au Sénat assez largement malgré l’abstention des socialistes et des communistes.
Sur la base d’un texte « horriblement technique », de l’aveu de Mme Pannier-Runacher, les sénateurs ont souhaité politiser les débats et bousculer le gouvernement sur ses futures orientations énergétiques. « Le nucléaire doit être le fer de lance de la politique énergétique française pour les trente années à venir », a soutenu, mardi, la sénatrice centriste du Pas-de-Calais Amel Gacquerre.
Si ce texte visait, en premier lieu, à raccourcir les démarches administratives et environnementales pour faciliter la construction de nouveaux réacteurs sur des sites nucléaires déjà existants, les sénateurs de LR et centristes en ont profité pour supprimer l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité « à l’horizon 2035 ». Dans le texte adopté au Sénat, il s’agit désormais de « maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50 % à l’horizon 2050 ». « Nous passons du principe d’un plafond à celui d’un plancher. (…) Ce changement de paradigme nous engage dans un futur particulièrement incertain », a déploré le sénateur (écologiste) d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon, dont le groupe est le seul à avoir voté contre le texte.
Les sénateurs sont également revenus sur la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires – dont les deux de Fessenheim (Haut-Rhin) fermés depuis 2020 – qui figurent dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée en 2020.
Ce texte, qui détermine les orientations en matière de politique énergétique, est en partie obsolète depuis que le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé, en février 2022, depuis le Territoire de Belfort, son intention de prolonger toutes les unités au-delà de cinquante ans – sous réserve des conditions de sûreté –, ainsi que de relancer la filière nucléaire avec la construction de six nouveaux EPR (réacteurs de troisième génération) et l’étude de huit autres chantiers en option.
Politique en pointillé du gouvernement
Par l’adoption de ces amendements, les sénateurs ont voulu anticiper le débat sur la prochaine programmation, qui doit être dévoilée avant l’été. Un choix de calendrier et de méthode critiqué par les élus, qui reprochent au gouvernement d’avoir présenté au Parlement deux projets de loi d’exécution pour accélérer la production des énergies renouvelables et du nucléaire avant d’avoir exposé sa stratégie énergétique pour les prochaines années dans le cadre de cette PPE. « C’est symptomatique du rôle du Parlement aux yeux de votre gouvernement. (…) Ce n’est pas le débat qui vous intéresse », a tancé le sénateur (communiste) de Seine-Saint-Denis Fabien Gay.
Devant l’« impatience » exprimée, Mme Pannier-Runacher a rappelé qu’elle souhaitait « respecter » les débats publics sur la consommation énergétique et sur la relance du nucléaire qui doivent se tenir jusqu’à fin février. « Il n’appartient pas au gouvernement de porter aujourd’hui une vision de la future PPE », a-t-elle déclaré.
Un propos qui vient confirmer pour ses détracteurs la politique en pointillé du gouvernement sur les questions énergétiques, malgré ces dernières avancées parlementaires.
Par Mariama Darame et Jérémie Lamothe, publié le 25 janvier 2023 à 04h15, mis à jour à 09h15
Photo en titre : Lors du vote du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables à l’Assemblée nationale, en présence de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le 10 janvier 2023. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
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