LOI D’ACCÉLÉRATION DU NUCLÉAIRE : « C’EST UN DÉNI DE DÉMOCRATIE »

Le projet de loi d’accélération du nucléaire a été voté ce 24 janvier au Sénat. Ce texte scelle « en catimini » l’avenir énergétique des Français, selon le sénateur écologiste Daniel Salmon. (Daniel Salmon est sénateur d’Ille-et-Vilaine et chef de file du groupe écologiste au Sénat.)

Reporterre — Ce mardi 24 janvier a été voté solennellement au Sénat le projet de loi d’accélération du nucléaire, qui vise à simplifier le développement des nouveaux réacteurs nucléaires EPR2. Ce texte supprime notamment l’objectif de réduction du nucléaire dans le mix électrique. Que vous inspire cette orientation du texte ?

Daniel Salmon — Elle m’inspire beaucoup d’amertume. Cette loi d’accélération du nucléaire nous avait été présentée comme une loi technique. Dès le départ, nous avions pointé qu’elle n’arrivait pas au bon moment, puisqu’un débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie est prévu en juillet 2023. Nous aurions dû en débattre après.

Et voilà que les choses se sont empirées. Un amendement du rapporteur est passé en commission, visant à faire exploser le plafond de 50 % du nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2035. Ce pourcentage est devenu un plancher. Cet amendement fait également sauter le plafond de 63,2 gigawatts de puissance installée en nucléaire. C’est extrêmement grave.

Au Sénat, « c’est open bar pour le nucléaire », estime Daniel Salmon. © P-O. C./ Reporterre

Venant de la droite sénatoriale, c’était une demi-surprise. On sait qu’ils n’ont plus aucune lucidité concernant le nucléaire. Ils ont une croyance absolue dans cette énergie. Mais ce qui nous a estomaqué, c’est le revirement de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Elle nous avait assuré que l’objectif de cette loi était seulement de gagner quelques mois dans le processus de construction des nouveaux réacteurs, et qu’elle ne préjugerait aucunement de ce qui serait décidé concernant le mix énergétique.

Elle a pourtant accompagné en séance cette position prise par la droite en commission. Le gouvernement a déposé un amendement qui ne parle plus du tout de plafond ni de plancher. Il évoque simplement un « meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables ». Autrement dit, c’est open bar pour le nucléaire.

D’autres dispositions du texte vous semblent-elles problématiques ?

L’ensemble l’est. Cette loi a pour vision d’accélérer le développement du nouveau nucléaire en contournant les compétences des collectivités territoriales. Elle permet à l’État de prendre la main par le biais du Conseil d’État. On contourne le droit à l’environnement, puisqu’un article permet de s’affranchir de la loi Littoral pour ces constructions.

On crée également un droit d’expropriation accélérée pour jouir plus rapidement des surfaces nécessaires à la construction des ouvrages annexes, comme les installations de pompage. Les bâtiments qui ne recevront pas de combustible nucléaire pourront également être construits très rapidement, avant même l’autorisation de constructions des réacteurs.

« L’aspect économique et financier prend le pas sur l’aspect sécurité »

Ça n’a pas beaucoup de sens. En l’état, ce qui met du temps pour construire un réacteur, ce ne sont pas les procédures d’urbanisme ou celles liées au droit de l’environnement. Ce sont les compétences et la capacité de la filière à construire. On l’a vu avec l’EPR de Flamanville : les plans ont commencé à être faits en 1989, et il n’a toujours pas produit le moindre mégawattheure. Et tout cela pour un coût de 20 milliards d’euros, au lieu des 3,5 annoncés.

Avec cette loi, on s’affranchit également d’un certain nombre de contraintes relatives à l’ancien nucléaire. L’aspect économique et financier prend le pas sur l’aspect sécurité. Normalement, au-delà de 35 années de fonctionnement, l’exploitant d’un réacteur doit fournir un rapport intermédiaire sur les problématiques rencontrées.

Cette mesure passe à la trappe. Nous avons des réacteurs vieillissants qui ont besoin de toute l’attention de la sûreté nucléaire, et on édulcore toutes les procédures de contrôle. C’est vraiment problématique.

Ce texte est par ailleurs discuté alors que le débat public sur la construction de six EPR2 n’est pas encore terminé…

En effet. On est devant un choix de société très engageant, et tout se fait en catimini. C’est honteux. Même la Commission nationale du débat public (CNDP) s’est insurgée contre cette position du gouvernement, chose très rare venant de cette institution.

On fait mine de consulter, mais on voit bien que Jupiter a déjà décidé de tout avec son discours de Belfort, que Bruno Lemaire emboîte le pas, et que tout se fait à marche forcée. On veut aller vers le fait accompli : lancer les affaires, et dire après coup que c’est trop tard, qu’il n’est plus possible de débattre.

« Ce qui est patent dans cette loi, c’est le déni de démocratie »

Ce qui est patent dans cette loi, c’est le déni de démocratie. Le nucléaire a toujours fonctionné dans l’opacité, le manque de transparence. Les Français n’ont jamais été mis devant tous les éléments. Je suis persuadé que si 150 personnes travaillaient sur ce sujet, comme cela a été le cas pour la Convention citoyenne pour le climat, il n’y aurait pas besoin de six mois pour voir que c’est une gabegie et un non-sens complet. Le mix énergétique est quelque chose d’éminemment impactant pour les décennies à venir. La nation entière doit pouvoir en discuter, en prenant le temps qu’il faut.

Des avancées écologiques ont-elles pu malgré tout être décrochées ?

La récolte est pour le moins faible. On est contents d’une chose : Monique de Marco, ma collègue sénatrice de Gironde, a réussi à faire passer, contre toute espérance, un amendement sur l’impossibilité de construire des réacteurs en zone inondable ou submersible. Elle l’a fait pour impacter la constructibilité de la centrale nucléaire du Blayais, mais il pourrait également affecter celles de Penly et de Gravelines.

Ce projet de loi doit encore passer devant l’Assemblée, au printemps. Gardez-vous un espoir d’amélioration ?

J’aurais dit oui s’il n’y avait pas eu cet amendement traître de la ministre du gouvernement, qui vient corroborer les volontés de la majorité sénatoriale de droite. Si le gouvernement s’y met, je ne pense pas que l’on puisse attendre grand-chose de l’Assemblée.

Au Sénat, nous ne sommes que douze écologistes, sur 348 sénateurs. Les députés auront davantage de capacité à peser. Mais il n’empêche, si vous additionnez les écologistes et la France insoumise, — qui ont un programme à peu près similaire en termes de nucléaire — ça ne fait pas la majorité.

Le Parti socialiste est un peu marri de voir que leur grande loi de transition énergétique de 2015 [qui actait le plafond de 50 % pour le nucléaire] est passée à la trappe. Ça va sûrement justifier pour eux de monter un peu au créneau, mais je ne vois pas chez eux beaucoup de virulence. Même avec eux, cela ne ferait de toute façon pas la majorité. On peut avoir quelques petites surprises. Mais à mon avis, ce ne seront pas des changements d’ampleur.

Par Hortense Chauvin, publié le 24 janvier 2023 à 16h30, mis à jour le 25 janvier 2023 à 09h51

Photo en titre : Daniel Salmon au Sénat en octobre 2020. – CC BY-SA 4.0 / Rpjl / Wikimedia Commons

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