Amortir autant que possible les 56 réacteurs existants – 37 ans révolus en moyenne d’âge – s’inscrit dans la stratégie d’EDF. L’ASN espère se prononcer au plus tard en 2026.
La réflexion sur une éventuelle prolongation de réacteurs nucléaires français jusqu’à 80 ans « n’est pas un tabou du tout ». Du moins selon les propos très commentés de Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe EDF, l’exploitant du parc. « Le sujet est à mettre sur la table », a-t-il insisté, auditionné le 19 janvier, lors d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la souveraineté et l’indépendance énergétiques de la France.
Amortir autant que possible les 56 réacteurs existants – 37 ans révolus en moyenne d’âge – s’inscrit dans la stratégie d’EDF. Fort endetté, le groupe, en passe de redevenir à 100 % public, entend « faire le meilleur usage » de son « patrimoine industriel », rappelle-t-il au Monde. D’autant qu’il attend toujours la mise en service du réacteur EPR de Flamanville (Manche), malgré un premier « béton » coulé en 2007, tout en se préparant à la possibilité de nouveaux chantiers voulus par le gouvernement pour six « EPR 2 ».
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Dans le pays, les réacteurs fonctionnent sans limitation de durée a priori – au grand dam du mouvement antinucléaire, qui alerte sur la question des déchets radioactifs. Tous les dix ans, un réexamen approfondi pour chaque unité permet cependant de déterminer si elle est apte à opérer dix ans de plus. Une étape cruciale sous la supervision d’une entité indépendante, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Vieillissement des matériaux
En 2021, celle-ci a ouvert la « perspective d’une poursuite de fonctionnement » jusqu’à 50 ans pour les 32 réacteurs les plus anciens, ceux d’une puissance de 900 mégawatts (MW) chacun. Tout cela sous réserve de la quatrième visite décennale. Une étape d’autant plus importante qu’« une hypothèse de quarante années de fonctionnement » existait lors de la conception de ces réacteurs, souligne l’ASN.
EDF a déjà engagé des études en vue d’exploiter ces premières unités durant « soixante ans et plus ». Il s’agit, explique l’électricien, de « démontrer notamment la capacité des équipements tels que les enceintes de confinement et les cuves des réacteurs à assurer leur fonction ». Des équipements essentiels, souligne Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN, en raison du « consensus international sur le fait que ces deux composants ne sont pas remplaçables dans des conditions raisonnables ».
C’est au plus tard en 2026 que l’Autorité de sûreté nucléaire espère se prononcer sur le principe ou non d’une éventuelle prolongation au-delà de six décennies. « En 2016 [avant le cycle des quatrièmes visites décennales], ajoute M. Collet, nous avions demandé à EDF de transmettre également un dossier sur le fonctionnement des cuves de 900 MW jusqu’à 60 ans, mais EDF n’avait transmis que celui jusqu’à 50 ans. » Un « travail d’anticipation » à mener, « sachant que les réacteurs les plus anciens en France n’atteindront 60 ans que dans une vingtaine d’années ».
Le sujet du vieillissement des matériaux mobilise aussi le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). « Même si rien n’est acquis, nous n’avons identifié à ce stade aucun feu rouge scientifique et technique, aucun phénomène physique majeur qui remettrait en cause la perspective d’une prolongation de fonctionnement des réacteurs au-delà de 50 ans, c’est-à-dire jusqu’à 60 ans, voire au-delà », affirme Philippe Chapelot, responsable des recherches du CEA sur les réacteurs de deuxième et troisième générations. Précision : le phénomène de corrosion sous contrainte détecté, depuis fin 2021, pour certaines tuyauteries auxiliaires dans les centrales les plus récentes est « complètement à distinguer, à décorréler du sujet du vieillissement et de la durée de fonctionnement des réacteurs », insiste-t-il.
Raisons économiques
C’est, à ce jour, en Suisse que se trouve le plus vieux réacteur encore en exploitation commerciale dans le monde. Beznau 1 a 53 ans. Mais Cédric Lewandowski a plutôt évoqué les États-Unis, lors de son audition du 19 janvier. Le dirigeant d’EDF a fait mention des six réacteurs (en Floride, Pennsylvanie et Virginie) ayant déjà reçu une licence d’exploitation jusqu’à… 80 ans. « Il se trouve que nos technologies sont à peu près similaires », poursuit-il.
Outre-Atlantique, la durée initiale de quarante ans est renouvelable par tranche de vingt ans, selon l’aval de la Nuclear Regulatory Commission. Pour autant, plusieurs réacteurs y ont déjà fermé bien plus tôt que prévu pour des raisons économiques, à cause de la concurrence du gaz de schiste, notamment, malgré sa nocivité pour le climat.
« Face à ce constat, le gouvernement fédéral américain et certains États [de ce pays] ont mis en place des politiques de soutien pour préserver le parc nucléaire existant en valorisant sa contribution aux objectifs de décarbonation et de sécurité d’approvisionnement », indique Michel Berthélemy, économiste à l’Agence pour l’énergie nucléaire, rattachée à l’Organisation de coopération et de développement économiques. Depuis l’été 2022, par exemple, la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) « apporte une subvention de 15 dollars par mégawattheure pour les réacteurs nucléaires existants ».
Par Adrien Pécout, publié le 30 janvier 2023 à 11h30, mis à jour le 30 janvier 2023 à 15h02
Photo en titre : Le site de construction du projet de réacteur pressurisé européen (EPR), à Flamanville (Manche), le 16 novembre 2016.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/30/nucleaire-le-long-chemin-avant-une-eventuelle-prolongation-de-reacteurs-a-80-ans_6159844_3234.htm
NDLR: Le prix de revient du MWh qui sortira de ces futurs EPR (prix de revient prévisionnel qui sera certainement dépassé comme d’habitude) sera largement plus élevé que celui des énergies renouvelables (stockage inclus). De plus nous seront toujours dépendants de l’étranger pour notre approvisionnement en uranium. Donc rien à gagner mais tout à perdre avec cette « stratégie ».
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