Tribune par le Collectif – Dans une tribune au « Monde » conduite par la secrétaire nationale d’EELV Marine Tondelier, le sénateur Daniel Salmon et la députée Julie Laernoes, un collectif s’indigne du prochain démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Que deviendrait la démocratie sans le concours des contre-pouvoirs qui la maintiennent face aux épreuves qu’elle traverse : les conflits armés, le dérèglement climatique, ou les risques d’accidents nucléaires ?
Qu’une relance nucléaire ait été décidée au plus grand mépris démocratique, faisant fi du fiasco industriel et financier de la filière est un fait. Qu’elle le soit au mépris de la sûreté et de la sécurité des citoyens en est un autre.
En effet, le processus d’affaiblissement des contre-pouvoirs – qui se déroule sous nos yeux alors que l’attention est ailleurs – se durcit avec un ultime fait du prince : l’annonce du démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Désormais toutes les expressions potentielles de contestation ont été contournées.
Dès lors, comment exprimer ses oppositions légitimes à une relance nucléaire massive, avec la construction de six nouveaux réacteurs, finalement déjà décidée ? Preuve d’une volonté d’un passage en force, le Conseil politique nucléaire du 3 février institue une méthode ad hoc : se réunir deux fois par an pour s’autosaisir de la politique nucléaire de la France.
De multiples dérogations
Ni le débat parlementaire ni le débat citoyen n’ont été respectés. En janvier, au Sénat – dont Daniel Salmon, sénateur écologiste, était le chef de file pour le groupe Écologiste-Solidarité et territoires –, la loi d’accélération du nucléaire a été votée, avant même que le débat public mené par la Commission nationale du débat public (CNDP) ait rendu ses conclusions.
De multiples dérogations administratives accordées, notamment à l’encontre du droit de l’environnement, posent désormais les jalons de la relance nucléaire et affirment que le développement des énergies renouvelables ne doit pas faire barrage à celui de l’atome. Maintenant, le gouvernement anticipe les éventuelles réserves des institutions chargées de l’expertise. Maintenant, c’est au tour des députés écologistes et leur cheffe de file, Julie Laernoes, de poursuivre le débat à la lumière de cette nouvelle configuration.
Quelle que soit la question posée et ses enjeux, que l’on soit pour ou contre le nucléaire, la maîtrise du risque majeur d’accidents nucléaires doit être un préalable à toute décision.
Dans ce cadre, s’il y a bien une institution que les écologistes défendent, c’est une institution qui fournit une expertise indépendante et hautement compétente en synergie avec la recherche, c’est-à-dire l’IRSN.
Une expertise indépendante
L’IRSN apporte une expertise indépendante de la décision qui relève de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Comme le déplore la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN dans son communiqué du 15 février : « La confusion entre expertise et prise de décision constituerait un recul considérable puisqu’il priverait d’indépendance cette expertise. »
Avec la disparition de l’institut, disparaissent un « garde-fou institutionnel » et « son expertise de haute qualité reconnue internationalement », d’autant que « l’IRSN n’a jamais failli dans ses missions au bénéfice de la sécurité et de la sûreté », comme l’a soutenu Daniel Breuiller, sénateur du groupe Écologiste-Solidarité et territoires, en interpellant la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors des questions au gouvernement du 15 février.
L’Institut fait bien plus encore : intrinsèquement, par son statut et sa charte, il préserve notre démocratie. Car la démocratie, c’est aussi l’accès à l’information, préalable à tous les débats. Sur des sujets aussi techniques, entremêlés d’intérêts colossaux au regard des sommes engagées, l’IRSN apporte une information brute, une « connaissance des risques sans biais ». Sa fusion programmée avec l’ASN et avec d’autres institutions risque fatalement de renforcer l’opacité, vers une opacité institutionnellement intégrée.
Les écologistes s’opposent à une relance nucléaire. Parce que la sûreté nucléaire doit impérativement être renforcée pour le parc existant, les écologistes s’opposent a fortiori à une relance nucléaire associée à une réduction des exigences de sûreté, dont l’indépendance de l’IRSN était garante. L’actualité rouvre de vives sources d’inquiétudes, parfois relayées par des lanceurs d’alerte en haut de la hiérarchie de la filière nucléaire.
Des énergies plus sûres, plus compétitives
Au-delà de la sûreté et de la sécurité, d’autres arguments pragmatiques confirment l‘opposition des écologistes. Si l’on compare l’énergie électronucléaire aux énergies renouvelables, ces dernières s’avèrent plus sûres, plus compétitives et plus créatrices d’emplois locaux non délocalisables. L’édition 2022 du « World Nuclear Industry Status Report » montre que l’évolution de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial suit une pente descendante presque verticale, passant de 20 % à moins de 10 % en moins de vingt ans et ce au profit des énergies renouvelables.
Et pour cause : le nucléaire est un gouffre financier. La dette d’EDF, annoncée le 17 février, s’élève à 64,5 milliards d’euros, avec des pertes record estimées à près de 20 milliards. Fiasco illustre, les coûts du projet de l’EPR de Flamanville ont été multipliés par six. De là s’explique la recherche de financements, au travers de laquelle se dessine un « quoi qu’il en coûte » dissimulé mais visiblement étranger aux questions de sûreté nucléaire.
Le gouvernement, prêt à toutes les transgressions, envisage d’utiliser le Livret A, l’épargne des Françaises et des Français, pour financer la relance nucléaire. Cela équivaut à un dévoiement d’une épargne solidaire censée financer en grande partie des logements sociaux et la rénovation énergétique, et non pas « les déchets des générations futures », comme l’a rappelé Marine Tondelier le 16 février (dans l’émission « Bonjour chez vous », Public Sénat).
Une conclusion d’étape de ces débâcles industrielles devrait nous conduire à l’extrême prudence. Pourtant, c’est exactement l’inverse qui a été décidé, au plus grand mépris démocratique. Même dans un monde idéal où ces dysfonctionnements n’auraient pas lieu, où le nucléaire serait une énergie sûre, les délais incompressibles de mise en œuvre des nouveaux réacteurs ne permettent pas de respecter nos engagements climatiques.
Les premiers signataires sont des élus écologistes, il s’agit de : Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale ; Daniel Salmon, sénateur de l’Ille-et-Vilaine ; David Cormand, député européen et coprésident de la délégation Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ; François Thiollet, secrétaire national adjoint d’EELV ; Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère et président du groupe Écologiste-Solidarité et territoires ; Julie Laernoes, députée de la Loire-Atlantique ; Marie Toussaint, eurodéputée de la délégation EELV ; Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV ; Michèle Rivasi, eurodéputée et coprésidente de la délégation EELV ; Noël Mamère, ancien candidat écologiste à l’élection présidentielle.
Retrouvez la liste complète des signataires à cette adresse.
Par le Collectif, publié le 02 mars 2023 à 09h30
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