Après bientôt deux décennies de travaux et 13 ans d’innombrables retards, la mise en service normal de la centrale nucléaire OL3 d’Olkiluoto en Finlande devrait être effective ce mardi 4 avril 2023. À Flamanville, le premier EPR français n’est toujours pas en service. Retour sur un casse-tête technique.
Le réacteur OL3 d’Olkiluoto, construit par le Français Areva et Siemens dans le sud-ouest de la Finlande, démarré en décembre 2021, a produit ses premiers mégawattheures en mars 2022. Il avait atteint sa pleine puissance de 1 600 mégawatts pour la première fois le 30 septembre 2022, dans le cadre d’essais réalisés pour atteindre sa mise en service normal.
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Le réacteur nucléaire d’Olkiluoto 3 a été fabriqué le consortium franco-allemand Areva-Siemens. Son exploitation régulière devrait commencer en décembre
La Finlande espérait pouvoir compter sur ce nouveau réacteur pour passer un hiver plus tendu que d’habitude sur le marché de l’électricité dans le pays et ailleurs en Europe. Tel n’aura pas été le cas.
Le 16 février 2023, une des trois valves de sécurité du réacteur de l’EPR finlandais s’étant avérée défectueuse lors des essais, sa mise en service normal a de nouveau été reportée au 4 avril 2023. Après bientôt deux décennies de travaux et treize ans d’innombrables retards, avec l’EPR de 1650 MWe, la centrale finlandaise d’Olkiluoto sera la centrale électrique la plus puissante installée en Europe
La centrale finlandaise d’Olkiluoto. AFP
Lancée en 1992 pour relancer l’énergie nucléaire en Europe au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl de 1986., la technologie EPR (pour European Pressurized Reactor – « réacteur pressurisé européen », en français), ou le nucléaire de troisième génération, est présentée comme le fleuron de la filière nucléaire française. Mais la construction de ce nouveau modèle s’avère être un casse-tête technique et pas uniquement en Finlande. En France, la construction de l’EPR de Flamanville, entamée en 2007, a elle aussi été affectée par de très importants retards. Deux réacteurs ont toutefois été mis en service en Chine.
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Flamanville, seize ans d’un calvaire industriel pour le nucléaire français
Depuis le début du chantier de Flamanville, il y a seize ans, les contretemps et les dérapages budgétaires n’ont cessé de s’accumuler.
L’EPR de Flamanville aurait dû à commencer à produire de l’électricité en 2012. Archives AFP
Le premier béton de la centrale est coulé en décembre 2007 pour une mise en service prévue initialement… pour 2012, avec des estimations des coûts de construction d’environ 3 milliards d’euros. Dès l’année suivante, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) fait état de fissures dans le béton de la plateforme, les travaux sont suspendus un mois.
Dès l’année suivante, l’ASN fait état de fissures dans le béton de la plateforme, les travaux sont suspendus un mois. En 2010, EDF annonce le premier report, à 2014, de la « première production commercialisable » de l’EPR. Le coût estimé est alors de 5 milliards d’euros (+52%).
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L’institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire a relevé des anomalies sur des soupapes de sûreté, un élément important pour la sûreté d’un réacteur
En avril 2015, découverte d’une anomalie dans la composition du couvercle et du fond de la cuve fabriqués par Areva en 2006 et 2007. Des défauts de soudure sont aussi détectés sur le réacteur. Fin 2015, l’ASN donne son feu vert à un programme d’essais d’Areva. Le dérapage financier s’accentue. Le coût estimé est de 9 milliards d’euros (+173%) et la date de mise en service est reportée de 2016 à 2018.
Le 23 septembre 2016, l’ASN publie la liste des irrégularités affectant certaines fabrications de l’usine Creusot Forge d’Areva NP (Saône-et-Loire) où a été fabriquée la cuve de Flamanville, qui lui ont été déclarées à ce jour, concernant les activités nucléaires civiles françaises. Ces irrégularités concernent des équipements sous pression de réacteurs d’EDF (cuves, générateurs de vapeur et tuyauteries du circuit primaire principal) et des emballages de transport de substances radioactives. Le coût estimé est de 10,5 milliards d’euros (+218%). La date de mise en service est maintenue à 2018.
Douze ans de retard, un surcoût de 10 milliards d’euros
En 2018, l’ASN demande le remplacement du couvercle de la cuve. Le coût estimé est 11 milliards d’euros (+233%), la date de mise en service estimée est reportée de 2018 à 2020. La même année, nouveaux problèmes de soudures : EDF annonce des « écarts de qualité » sur des soudures du réacteur situées dans la traversée de l’enceinte de confinement, la grosse structure de béton qui doit retenir les éléments radioactifs en cas d’accident. Début juin 2019, l’ASN juge nécessaire de réparer les huit soudures avant la mise en service. Le 26 juillet, EDF annonce que, compte tenu de ces exigences, la mise en service du réacteur « ne peut être envisagée avant fin 2022 ».
EDF estime que le réacteur nucléaire de type EPR de la centrale de Flamanville pourra produire de l’électricité sur le réseau d’ici à 2023. Une date impossible à tenir selon l’ONG Greenpeace.
Les conseillers de la Cour des comptes évoquent « un échec opérationnel, des dérives de coûts et des délais considérables ».
Le 29 septembre, le ministre de l’Économie Bruno le Maire fustige des « dérives inacceptables » et dit attendre un « audit totalement indépendant sur la filière nucléaire et sur le choix de l’EPR » pour le 31 octobre. La facture du chantier devrait encore s’alourdir de 1,5 milliard d’euros pour atteindre la bagatelle de 12,4 milliards d’euros. La facture prévue était jusqu’à présent de 10,9 milliards – soit quand même trois fois plus que l’estimation initiale. Avec un retard sur la mise en exploitation de 7 ans sur la prévision initiale. Elle devrait encore s’alourdir de 1,5 milliard d’euros pour atteindre la bagatelle de 12,4 milliards d’euros pour une mise en service reportée en 2023.
En juillet 2020, la Cour des comptes considère que le coût total du chantier s’élèverait à plus de 19 milliards d’euros, en tenant compte d’autres dépenses s’intercalant avant toute mise en service industrielle, notamment celles liées aux pièces de rechange ou à des procédures administratives ou fiscales. Les conseillers de la Cour des comptes évoquent un « un échec opérationnel, des dérives de coûts et des délais considérables ».
À Flamanville, les déboires continuent
Décembre 2022, les déboires continuent. Alors que le précédent remaniement du calendrier amenait la mise en service de l’EPR de Flamanville à la fin 2023, elle est désormais repoussée à la mi-2024.
Un nouveau retard qui tombe bien mal, au moment où le président de la République relance la filière nucléaire à la faveur de la crise énergétique avec la mise en chantier de 6 nouveaux EPR dont le premier espéré dès 2035. Et qui implique un nouveau surcoût du programme, à hauteur de quelque 500 millions d’euros, liés pour l’essentiel au maintien des personnels et entreprises sur place.
Ces six mois supplémentaires, qui portent à douze ans le retard par rapport à la date de démarrage initialement prévue, et font passer le coût total du projet, en chantier depuis 2007, de 12,7 à 13,2 milliards d’euros. Soit plus de 10 milliards par rapport aux premiers chiffres avancés en 2007. Le délai est lié à quelque 150 soudures dites « complexes » dans le réacteur, qu’il va falloir réviser.
Deux réacteurs mis en service en Chine
La centrale nucléaire de Taishan (Chine). CGN
Pendant ce temps, deux EPR ont toutefois été mis en service en Chine, à Taishan, dans le sud du pays, au sud de Canton. Le premier a été raccordé au réseau en 2018, le second en septembre 2019. Leur design, signé Areva, est pourtant similaire à celui de Flamanville.
Certes, ce chantier n’a pas été non plus une sinécure : les deux tranches de la centrale, exploitée par la CGN (China General Nuclear Power Generation, 70 % des parts) et EDF (30 %), ont été livrées avec quatre ans de retard et un surcoût de 60 %, un dérapage qui s’expliquerait pour moitié par l’augmentation rapide des salaires dans l’empire du Milieu.
Un problème d’étanchéité avait mis à l’arrêt d’un réacteur EPR de la centrale nucléaire de Taishan en Chine, censé être un fleuron technologique pour EDF et la France
Par ailleurs, l’EPR numéro 1 de la centrale nucléaire de Taishan, a été mis à l’arrêt fin juillet 2021 en raison d’un incident provoqué par un problème d’étanchéité, avant d’être reconnecté en août 2022 au réseau électrique. CGN, l’exploitant local, écarte tout danger et assure faire de la sécurité « une priorité ».
Par Cathy Lafon, publié le 04 avril 2023 à 12hOO
https://www.sudouest.fr/environnement/nucleaire/nucleaire-l-histoire-mouvementee-de-l-epr-14678835.php
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