La France a remporté une petite victoire le 30 mars en réussissant à faire entrer le nucléaire dans l’accord trouvé entre les négociateurs du Conseil et du Parlement européen sur la nouvelle directive européenne sur les énergies renouvelables, RED III selon l’acronyme en anglais.
Cet accord, qui reste à valider par les deux institutions, inscrit l’objectif contraignant de porter à 42,5 % d’ici à 2030 la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie de l’Union européenne. Le précédent objectif, 20 % en 2020, a été atteint et dépassé (sauf par la France qui n’a pas tenu ses engagements nationaux).
L’objectif d’ensemble de la future directive RED III est décliné en objectifs sectoriels, également contraignants : transports, bâtiments, industrie. Dans ce dernier domaine, l’accord prévoit que 42 % de l’hydrogène utilisé par chaque État membre soit produit à partir d’électricité verte en 2030.
La France a obtenu que cette proportion puisse être abaissée à 33,6 % si la part d’hydrogène fossile ne dépasse pas 23 % en 2030, ce qui permet de faire de la place à l’hydrogène « bas carbone », autrement dit produit à partir d’électricité d’origine nucléaire. Mais, précise la directive, cette facilité sur l’hydrogène issu du nucléaire ne permettra pas pour autant à un État membre de réduire son objectif en matière d’énergies renouvelables.
Cette victoire est donc très relative, puisque l’hydrogène bas carbone, contrairement à ce qu’aurait voulu la France, ne pourra pas être pris en compte dans la part d’énergie renouvelable à atteindre en 2030 et au-delà. Et puisque, concrètement, aucun projet de « nouveau nucléaire » ne sera opérationnel avant la fin de la prochaine décennie.
Cette bataille pour faire entrer, avec beaucoup de mauvaise foi, l’hydrogène nucléaire dans un texte sur les énergies renouvelables, participe de la corrida à laquelle la France livre depuis plus de deux ans dans l’arène européenne. Son objet réel n’est pas tant la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre que de sécuriser le financement et les coûts du projet nucléaire tricolore.
La corrida a commencé par les attaques du picador, pour affaiblir et mettre en condition l’animal. Après un acharnement de coups de pique, sous la huée d’une large partie du public, la France a réussi à planter le nucléaire dans la « taxonomie verte », la classification européenne des investissements bons pour le climat. Mais depuis, la France n’en est toujours qu’aux banderilles.
En effet, ni la victoire française sur la définition de la taxonomie verte hier, ni la reconnaissance au niveau européen du rôle de l’hydrogène bas carbone dans la transition aujourd’hui, ni les discussions en cours sur la réforme du marché de l’électricité ne sont de nature à tuer la bête. À savoir permettre à la France de subventionner, et pas qu’un peu, son programme nucléaire, alors que les règles européennes sont claires et simples : s’il est permis aux États de soutenir un secteur économique (en l’occurrence le nucléaire), il est interdit de subventionner un acteur en particulier (en l’occurrence EDF).
Le programme nucléaire défendu par Emmanuel Macron – qui inclut un investissement de plus de 50 milliards d’euros pour six premiers nouveaux réacteurs hors frais de financement – n’a de pertinence économique que si le nucléaire neuf arrive à se financer à des conditions aussi avantageuses que les énergies renouvelables.
C’est entre autres ce qui ressort du rapport commandé par le gouvernement à RTE et publié fin 2021 sur le mix électrique du futur, qui examine différents scénarios techniques, avec ou sans sortie du nucléaire. Or ces conditions ne sont pas réunies aujourd’hui.
Pour que le nucléaire neuf produise à des coûts compétitifs, deux ingrédients sont cruciaux. D’une part, un apport d’argent public conséquent pour réaliser les travaux, ce que prévoit de faire le gouvernement. D’autre part, une garantie de rémunération de la production sur le long terme, assez solide pour attirer les investisseurs privés sans avoir à payer des primes de risque qui ruineraient l’intérêt du projet.
Sur le volet investissement public, la France bute frontalement sur le droit européen de la concurrence et l’exécutif est pris en étau. D’un côté, ses partenaires européens, à commencer par l’Allemagne, ne sont pas prêts à déroger aux règles. De l’autre, l’opinion publique française et les syndicats sont fermement opposés à une restructuration d’EDF, comme on l’a vu en 2021 avec le capotage d’un premier projet de réforme d’EDF appelé Hercule. Or une restructuration d’EDF est indispensable si la France doit à la fois se conformer aux règles européennes de la concurrence et subventionner le nucléaire. Nul doute, donc, que ce sujet va bientôt revenir sur la table.
Sur le volet de la garantie de rémunération à long terme, négocié actuellement dans le cadre des discussions sur la réforme du marché européen de l’électricité, le problème des règles de la concurrence se pose également. Il se lit entre les lignes de la proposition de règlement présentée par la Commission le 14 mars dernier au sujet des deux mécanismes envisagés.
Le premier, la garantie publique de rémunération, offerte aujourd’hui aux seuls producteurs d’électricité renouvelables et qui demain s’étendrait aux producteurs « bas carbone », devrait être réglé de telle sorte qu’elle ne fausse pas les conditions de la concurrence, juge Bruxelles.
Le second, les contrats de gré à gré d’achat d’électricité à long terme (Power purchase agreements, ou PPA, en anglais) entre un consommateur (une grosse entreprise par exemple) et un producteur, présente un risque de défaut qui appelle lui aussi une garantie publique, ce qui renvoie là encore aux conditions de la concurrence.
En clair, si la France a réussi à planter quelques banderilles dans l’échine du taureau, elle est encore très très loin d’avoir remporté les oreilles et la queue. Faut-il parier sur le taureau ou sur le toréador ? En tout cas, la corrida est encore longue et son issue incertaine.
Ces incertitudes sont de nature à retarder encore et encore le programme nucléaire. C’est un argument de plus pour accélérer vraiment sur les renouvelables, quitte à réduire l’effort ensuite au cas où le toréador viendrait au bout de son combat… qui sera encore loin d’être terminé quand tous les feux verts auront été obtenus dans l’arène Bruxelloise.
Par Antoine de Ravignan, (Rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Économiques) publié le 04/04/2023
https://www.alternatives-economiques.fr/antoine-de-ravignan/nucleaire-corrida-europeenne-de-macronie/00106498
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