« L’ARME NUCLÉAIRE NE DISSUADE PAS, MAIS ENCOURAGE D’AUTRES PAYS À NOUS ÉGALER »

Tribune : Rachel Lamy, qui a écrit « Addicte à l’espoir » et « Mon tour du monde de la non-violence » (Salvator, 2021), s’interroge sur la pertinence de la dissuasion nucléaire, et sur le fait qu’il soit besoin de justifier, par la peur, la possession d’une arme apocalyptique capable d’anéantir l’humanité.

Le 28 mars 2023, dans La Croix, le général Jérôme Pellistrandi justifiait la dissuasion nucléaire utilisée par notre pays, la France. Notre constat initial est identique : « La guerre en Ukraine a rappelé au monde la réalité de la bombe atomique, au risque d’une redoutable escalade. » Cependant, nos conclusions divergent. Précisons tout d’abord de quelle escalade nous parlons.

Dans le film paru en 2017 La Bombe et nous, de Xavier-Marie Bonnot, il est rappelé qu’une bombe nucléaire actuelle est plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de fois plus puissante que celles lancées sur Hiroshima et Nagasaki, qui ont provoqué à elles seules plus de 200 000 morts lors de leur explosion, et des dizaines de milliers au cours des années qui ont suivi. Aujourd’hui, l’utilisation de certaines d’entre elles anéantirait donc non seulement des villes comme Londres ou Paris, mais avec elles de nombreux pays.

Dans le livre En Carême avec Etty Hillesum, paru chez Salvator en 2016, Frère Michael Davide écrit : « C’est en nous qu’il faut résoudre la peur jusqu’à transformer l’intérieur de la fournaise en un espace de cœur et non le cœur en un espace de fournaise. » Ne laissons ni nos cœurs, ni notre monde, devenir une fournaise.

Stopper l’escalade

Pour ce faire, comment stopper l’escalade mimétique de la conquête de l’arme nucléaire ? Jusqu’où allons-nous répondre à la menace par la menace ? Une femme ayant vécu la guerre au Liban me confiait : « Je croyais être le Petit Chaperon rouge et j’ai découvert que j’étais aussi un loup pour l’autre. » Nous sommes nous aussi des loups pour d’autres nations. La possession de l’arme nucléaire ne dissuade pas, mais au contraire encourage d’autres pays à nous égaler dans cette défense, voire à nous dépasser. Nous contribuons à augmenter ce risque de chaos à l’échelle planétaire.

Aujourd’hui, l’ironie de l’Histoire veut que les pays qui détiennent l’arme nucléaire à des fins dissuasives soient les plus grands exportateurs d’armes dans le monde. Hypocrisie ou schizophrénie ? Comment prôner, d’une part, la dissuasion nucléaire pour ne pas être attaqués, et, d’autre part, alimenter en armes parfois même ceux que l’on craint ? Rappelons, par exemple, que la France a vendu des armes à la Russie jusqu’en 2020 et signe encore des contrats d’armements exorbitants avec l’Arabie saoudite (1). À qui donc profitent cette dissuasion et ce marché lugubre ?

 Sécurité collective

Quelle sécurité collective nos États nous garantissent-ils réellement ? Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, signé aux Nations unies et entré en vigueur en 2021, n’est pas conçu pour être populaire et nous donner bonne conscience. Il est fondamentalement un garde-fou de la démesure humaine, au même titre que les traités réalisés à ce sujet par le passé. Aucun des pays détenteurs de cette arme n’a voulu le signer. Nous devons ainsi nous reconnaître coupables de ne pas avoir comme priorité de protéger l’humanité et l’ensemble du vivant. Et nous avons le devoir, en tant que citoyens français, d’interpeller notre gouvernement. Au cœur de notre démocratie, comment justifier l’opacité et l’absence de contrôle parlementaire (2) sur ce sujet, laissant les dirigeants et les marchands d’armes dessiner sans concertation un avenir lugubre pour sa population ? La possession de l’arme nucléaire est amorale. Aucun argument ne peut la justifier.

En novembre 2019, à Hiroshima et Nagasaki, le pape François a qualifié la dissuasion nucléaire de « fausse sécurité » envenimant les relations entre les peuples. Il a affirmé que « l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires était un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune ». Voulons-nous contribuer par notre silence ou notre approbation à ce crime contre l’humanité, ou avons-nous d’autres chemins d’espérance à proposer ?

Pouvoir de la non-violence

Alors que des milliards d’euros sont consacrés à une arme censée ne jamais servir, et que les recherches sur la paix en France sont quasiment inexistantes, quel argent est dédié aujourd’hui à bâtir des civilisations empreintes de respect, de dialogue et de paix profonde ? Dans une étude dense présentée dans l’ouvrage « Pouvoir de la non-violence », deux chercheuses américaines, Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, questionnent les conditions de la construction d’une paix durable. Elles mettent en lumière le fait que le travail autour de la non-violence garantit davantage cette construction, à l’inverse de la réponse par la violence qui rend vulnérable à long terme nos sociétés.

Des domaines tels que l’intervention civile de paix, la défense civile non-violente, la diplomatie, la justice restauratrice, la médiation, l’éducation à la paix et la réconciliation ont déjà porté dans le monde de nombreux fruits, et attendent en France d’être valorisés. Cela nous permettrait d’offrir aux jeunes générations d’autres réponses d’avenir pour construire des sociétés plus sûres et apaisées. Chers évêques et amis de toutes obédiences, n’est-ce pas là que nous avons urgemment à œuvrer ?

 NOTES

(1) Revue Alternatives non-violentes, n° 203, juin 2022, « Vendre des armes et après ? ».

(2) Ventes d’armes, une honte française, d’Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle, Éd. Le passager clandestin, 2021.

Par Rachel Lamy, Membre de la commission Paix et Vivre-ensemble du CCFD, publié le 05/04/2023 à 15h39

https://www.la-croix.com/Debats/Larme-nucleaire-dissuade-pas-encourage-dautres-pays-nous-egaler-2023-04-05-1201262224