L’approbation formelle de la directive sur les renouvelables par les États membres lors du COREPER mercredi (17 mai) a été reportée après une objection de dernière minute de Paris, qui souhaite des « garanties » supplémentaires concernant l’hydrogène issu du nucléaire.
La directive sur les énergies renouvelables, dans sa troisième version (RED3), était prête pour une approbation formelle mercredi (17 mai) après que les pays de l’UE et le Parlement européen soient parvenus à un accord politique provisoire le 30 mars.
Cet accord est intervenu après des mois de négociations tendues. La France, soutenue par les pays de l’Est de l’UE, a cherché à faire reconnaître que l’ « hydrogène bas carbone » produit à partir de l’énergie nucléaire devait participer, d’une manière ou d’une autre, aux objectifs de l’UE en matière d’énergies renouvelables.
Cet aspect de l’accord était inscrit à l’article 22b de RED3, qui fixe des objectifs en matière d’hydrogène propre pour décarboner l’industrie européenne.
Les ambassadeurs des 27 États membres de l’UE avaient prévu de travailler à l’adoption formelle de la directive mercredi lors du Conseil de l’UE, mais le point a été retiré de l’ordre du jour à la dernière minute, assure la Suède, présidente du Conseil de l’UE et chargée, à ce titre, des procédures d’approbation.
La présidence suédoise a refusé de commenter les raisons de ce retard, mais il semble qu’il n’y ait pas eu assez de soutien pour faire passer la loi. Plusieurs diplomates contactés par EURACTIV blâment la France.
Un diplomate européen a ainsi accusé Paris de « jouer les durs » pour obtenir des concessions. « La loi a été prise en otage par des intérêts nationaux très étroits », a déclaré un second, sous couvert d’anonymat.
Des sources françaises ont confirmé mercredi que le retard était lié à des préoccupations concernant l’énergie nucléaire et son statut dans la directive renouvelable, notamment pour la production d’hydrogène.
Les modifications belges et néerlandaises dans le collimateur
Certes, le compromis politique sur l’article 22b était « une victoire », car il « permet aux États membres qui disposent d’une part importante d’hydrogène bas carbone de limiter la part exigée d’hydrogène renouvelable », a reconnu une source française proche du dossier auprès d’EURACTIV France.
En revanche, les objectifs énergétiques de l’UE doivent « prendre en compte les réalités industrielles », a-t-elle ajouté, avant de préciser que « la France souhaite [donc] préciser les modifications apportées par la Belgique et les Pays-Bas sur la mise en œuvre des objectifs hydrogène ».
Les modifications consisteraient en une prise en compte des projets de capture et de stockage de carbone déjà existants dans l’article 22b.
Pour cela, la France serait « actuellement en discussion avec la présidence [suédoise], nos partenaires et la Commission », avance notre source, qui assure que « l’objectif est de conclure le texte très rapidement, sous la présidence suédoise, avec ces ajustements ».
Les inquiétudes françaises sur l’hydrogène s’ajoutent à celles exprimées par les pays d’Europe centrale et orientale, qui jugent la directive trop ambitieuse.
Des pays comme la République tchèque, la Slovaquie et la Bulgarie envisagent en effet de ne pas soutenir le texte de compromis final adopté le 30 mars dans le cadre du « trilogue » entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil.
En raison des positions de ces États membres, qui ont tous participé, mardi (16 mai), à la réunion de l’« alliance du nucléaire » à Paris, les résultats des trilogues sont « confrontés à de sérieux doutes », déclare une troisième source diplomatique européenne.
Mais comment sortir de l’impasse ? À Bruxelles, « c’est la pagaille », commente une quatrième source diplomatique, tandis qu’une autre, précédemment citée, fustige des négociations de « couloirs ».
Plus largement, Paris souhaite « obtenir des garanties sur les moyens mis en œuvre au niveau européen pour atteindre les cibles de la directive RED3 et construire un plan de décarbonation qui tienne la route », précise notre source française.
Le précédent allemand
Mais ce que la France cherche à obtenir n’est pas tout à fait clair. Quels sont ces « ajustements » qu’elle réclame ? Notre source proche du dossier évoque sa crainte que les objectifs de la directive, tels que négociés actuellement, entrainent la délocalisation des sites industriels hors d’Europe.
La France utiliserait plutôt ce délai supplémentaire dans la négociation de la directive pour répondre aux réserves des pays qui soutiennent l’énergie nucléaire et chercherait à obtenir son intégration plus étroite dans la directive, déclare à EURACTIV une cinquième source diplomatique.
Mais à ce stade du processus législatif, lorsque le texte est déjà accepté par les représentants des pays de l’UE et le Parlement européen, il est généralement admis qu’il ne sera pas rouvert et qu’il s’agit simplement d’un accord à approuver.
Toutefois, la situation actuelle rappelle étroitement celle autour des normes de CO2 pour les voitures, lorsque l’Allemagne a pesé pour revoir les règles après un accord politique final obtenu en trilogue.
Ainsi, une source diplomatique précédemment citée craint que ces deux situations successives ne créent un précédent dans lequel les « grands » pays de l’UE profitent de leur poids économique pour obtenir des concessions.
ReFuel EU pris entre deux feux
En outre, le report de l’accord sur les renouvelables a des conséquences sur le règlement ReFuelEU relatif aux carburants pour l’aviation. Certains États membres, dont l’Allemagne, ont clairement indiqué que leur soutien au dossier dépendait de l’adoption de RED3.
L’inclusion de carburants bas carbone, donc issus du nucléaire, a aussi été une pierre d’achoppement des négociations du texte ReFuelEU. L’inclusion de l’hydrogène dérivé du nucléaire dans la RED3 a calmé les ardeurs et mené à un accord sur ReFuelEU le 25 avril dernier.
Les carburants synthétiques bas carbone issus du nucléaire seront autorisés en tant que carburants durables pour l’aviation.
Laurent Donceel, directeur général par intérim de l’association commerciale des compagnies aériennes A4E, a déclaré à EURACTIV que la situation actuelle, reportant donc les suites de ReFuelEU, était « regrettable » et aurait dû être évitée.
« L’impasse actuelle entre la France et l’Allemagne, cette fois autour du rôle du nucléaire dans la directive renouvelables, est en train de torpiller les carburants durables pour l’aviation », a-t-il déclaré.
« Cela ne devrait certainement pas forcer les négociateurs à revenir à la table des négociations », a-t-il ajouté.
Si une solution est trouvée à l’impasse de RED3, ReFuelEU sera probablement également adopté. La présidence suédoise affirme que les négociations sont en cours.
Par Kira Taylor et Sean Goulding Carroll, (EURACTIV.com), [Paul Messad a édité et contribué à la rédaction de cet article.], publié le 18 mai 2023 à 11h42, mis à jour à 13h55
Photo en titre : Des sources françaises ont confirmé mercredi que le retard était lié à des préoccupations concernant l’énergie nucléaire et son statut dans la directive renouvelable, notamment pour la production d’hydrogène. [Conseil de l’UE / Union européenne]
https://www.euractiv.fr/section/energie/news/approval-of-eu-renewables-law-delayed-as-france-plays-hardball-on-nuclear/
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