PRIX DU NUCLÉAIRE POUR LES INDUSTRIELS : EDF FUSTIGE LE RAPPORT DARMAYAN

Selon nos informations, l’électricien historique émet de fortes réserves sur les conclusions du rapport de l’ancien président d’ArcelorMittal France, qui propose des pistes pour que les industries électro-intensives bénéficient d’un prix du nucléaire le plus attractif possible. EDF est en désaccord avec le niveau de tarif évoqué et s’oppose à la formation de nouveaux consortiums.

Systématiser les contrats d’approvisionnement de très long terme des industriels électro-intensifs tricolores pour leur permettre de rester compétitifs face à leurs concurrents internationaux. C’est l’une des principales préconisations du rapport que Philippe Darmayan, ex-président d’ArcelorMittal France, a récemment rendu au gouvernement. Si le document demeure confidentiel, son auteur en a partagé les principales conclusions devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 17 mai dernier. Or, selon nos informations, une grande partie de ces conclusions irrite profondément EDF.

Sur le fond, l’électricien historique, lui aussi, est favorable au déploiement de contrats de long terme noués directement auprès des industriels les plus gourmands en électricité, dans un contexte où les grands consommateurs, tout comme les producteurs d’électricité, ont un criant besoin de visibilité. EDF souscrit ainsi à la nécessité de sortir de la logique actuelle qui consiste à vendre l’électricité nucléaire soit au prix de marché, soit dans le cadre du mécanisme de l’Arenh, qui le contraint à céder un certain volume de son productible à 42 euros le mégawattheure. Un prix qui ne reflète plus ses coûts de production et qui a largement contribué à la dégradation de sa santé financière.

EDF prêt à négocier avec Engie et TotalÉnergies

Concrètement, il s’agit de développer des contrats à travers lesquels les consommateurs industriels s’engagent à soutenir les investissements nécessaires au parc nucléaire existant, en échange d’un prix de l’électron attractif. « Les consommateurs amènent du cash pour soutenir des investissements et bénéficier d’un prix qui soit déconnecté du marché », a résumé Philippe Darmayan lors de son audition.

Plus étonnant, selon une source proche du groupe, EDF est également disposé à négocier avec Engie et TotalÉnergies pour qu’ils puissent, eux aussi, vendre de l’électricité nucléaire dans le cadre de contrats de long terme, comme le recommande l’ancien président du géant de la sidérurgie. Une option que n’écarte pas non plus le ministère de la Transition énergétique. Les deux grands fournisseurs alternatifs achèteraient ainsi une partie de la production nucléaire d’EDF à un prix préférentiel pour le revendre à des industriels qu’ils ont en portefeuille. Ce schéma d’intermédiation permettrait notamment de décrocher le feu vert de Bruxelles, très à cheval sur le respect des règles de la concurrence.

Désaccord majeur sur le prix

Mais cette vision commune s’arrête ici, EDF émettant de fortes réserves sur plusieurs points clés du rapport. En premier lieu, l’électricien s’agace de ne pas avoir été consulté dans le cadre de la mission Darmayan, où seuls les consommateurs industriels, dont l’intérêt est d’obtenir un prix du mégawattheure le plus bas possible, ont été interrogés. Ainsi, le prix privilégié dans le cadre de ces contrats serait proche de celui de l’Arenh. Un niveau inenvisageable pour EDF, pour qui le montant doit être significativement plus élevé.

Le groupe fustige également les prix de référence évoqués par Philippe Darmayan devant les députés. « En Norvège, en Russie et au Québec, les industriels ont accès à des tarifs extrêmement avantageux entre 15 et 25 euros le mégawattheure », a assuré le 17 mai dernier l’ancien président d’ArcelorMittal France. Or, selon une source proche d’EDF, toutes les valeurs de comparaison évoquées dans le rapport seraient antérieures à 2021, et donc à la crise énergétique.

Autre grand point de désaccord : l’idée de développer de nouveaux consortiums, inspirés du consortium Exeltium né en 2008. À l’époque, une trentaine d’industriels très gourmands en électricité avaient versé à EDF quelque 1,75 milliard d’euros en échange de droits de tirage sur le parc nucléaire à un tarif préférentiel sur 25 ans. Philippe Darmayan plaide ainsi pour la mise en place de différents groupements homogènes d’industriels qui achèteraient en commun de l’électricité nucléaire via des contrats de long terme. Il préconise d’inclure dans ce dispositif des fonds d’infrastructures afin que ces derniers prennent en charge une partie de la garantie et du financement. Objectif affiché : permettre à toutes les entreprises, mêmes les moins vaillantes, de bénéficier de ce type d’outil.

Les consortiums redoutés

De son côté, EDF craint que ces regroupements et cette intermédiation se fassent à ses dépens. L’entreprise, qui sera contrôlée à 100% par l’État dès le 8 juin prochain, souhaite, au contraire, privilégier les contrats de gré à gré afin d’éviter que les prix ne soient trop tirés vers le bas. L’électricien redoute également que les consortiums se délitent au fur et à mesure des années, à l’image d’Exeltium, qui a perdu de grands consommateurs au fil du temps.

Alors que l’exécutif souhaite mettre sur les rails la réindustrialisation verte du pays, ce dossier est surveillé comme du lait sur le feu par Bercy et le ministère de la Transition énergétique. Les négociations à venir entre EDF, les grands consommateurs, Engie, TotalÉnergies et le gouvernement s’annoncent déjà complexes. Toutefois, la France devra rapidement trouver un consensus pour profiter du calendrier européen et espérer intégrer ces modalités dans la directive sur le nouveau market design actuellement en préparation. Le temps presse d’autant plus que le mécanisme de l’Arenh prendra fin en 2025. Or « pour les industriels, 2025 c’est demain », a souligné Philippe Darmayan, pour qui il y a « urgence à se mettre autour d’une table ».

Par Juliette Raynal, publié le 25 mai 2023 à 07h17

Photo en titre : Ancien président d’Arcelor Mittal France, Philippe Darmayan a remis son rapport au gouvernement sur le développement des contrats d’approvisionnement de long terme pour les entreprises électro intensives. Objectif : permettre aux industriels de bénéficier du nucléaire d’EDF à un prix très attractif afin de rester compétitifs sur la scène internationale. (Crédits : DR)

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