NUCLÉAIRE : 2022 A ÉTÉ MARQUÉE PAR DES « ALÉAS » INÉDITS

« L’année 2022 a été marquée par des aléas sur les installations nucléaires jamais rencontrés jusqu’alors. » Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) Bernard Doroszczuk n’a pas mâché ses mots, jeudi 25 mai, lors de la présentation du rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2022 aux députés et sénateurs de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

« Ces événements peuvent être illustrés par le nombre et la durée des arrêts de réacteurs d’EDF sans précédent durant l’hiver 2022-2023 et par les fragilités persistantes dans les installations du cycle du combustible », a-t-il poursuivi. En 2022, la production d’électricité nucléaire s’est établie à 279 térawattheures (TWh), son plus bas niveau depuis 1988, du fait de multiples déboires : arrêts liés au problème de corrosion sous contrainte, retard dans le programme de maintenance, effets combinés de la canicule et de la sécheresse.

Les représentants de l’ASN ont particulièrement insisté sur les conséquences de la sécheresse et de la canicule « exceptionnelles » de l’été 2022. Le gendarme du nucléaire a dû permettre à EDF de déroger aux règles de rejets thermiques dans les cours d’eau pour pouvoir continuer à exploiter ses centrales de Golfech, Bugey, Saint-Alban, Blayais et Tricastin. « La gestion des conséquences de ce type d’épisode extrême, dont la fréquence pourrait augmenter dans les années à venir, nécessite une consolidation des connaissances scientifiques sur l’impact environnemental cumulé des rejets ainsi qu’une réflexion sur les évolutions technologiques à intégrer », a estimé le président de l’ASN.

Parmi les solutions évoquées, la construction dans les centrales de nouveaux réservoirs d’entreposage des effluents, quand ces derniers ne peuvent être rejetés dans les cours d’eau pour cause d’étiage. Ou encore, la conception d’EPR2 pouvant être progressivement adaptés à de très fortes chaleurs, par exemple en laissant de l’espace pour des moyens de réfrigération supplémentaires dans les bâtiments réacteurs. En revanche, les représentants de l’ASN n’ont pas fait mention du souhait d’Emmanuel Macron de convertir les réacteurs à circuits ouverts en circuits fermés, un projet jugé peu réaliste par les acteurs de la filière.

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Enfin, le gendarme du nucléaire a alerté sur l’état préoccupant des installations du cycle du combustible, en particulier de l’usine de fabrication de combustible Melox et de l’usine de retraitement de La Hague, et sur un besoin urgent de leur « sécurisation industrielle ».

Risque de « mise en tension des industriels et des autorités de contrôle »

Autre sujet sur la table, la relance du nucléaire en Europe et la construction de six nouveaux EPR2 en France. « La crise énergétique en Europe a conduit les pays à revoir parfois substantiellement leur politique énergétique et à lancer des projets nucléaires, avec le souhait qu’ils avancent vite. Or, le nucléaire est un domaine du temps long, a rappelé le directeur général de l’ASN Olivier Gupta. Il y a un risque que cette situation mette en tension les industriels et les autorités de contrôle, au détriment de la qualité de la réalisation et de la sûreté. »

Des pastilles de Mox. Capture d’écran d’une vidéo d’Orano

Surtout que l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux acteurs représente un défi pour l’ASN. C’est le cas des petits réacteurs modulaires (SMR). Habitué à dialoguer avec de gros industriels expérimentés, le gendarme du nucléaire se retrouve à devoir contrôler voire orienter des start-up que M. Doroszczuk décrit comme « des vendeurs, qui ne sont pas avant tout des exploitants »« ambitieux et [qui] veulent que ça aille très vite »« Souvent, ils nous proposent des projets sans qu’il existe d’usine de fabrication, qui pourraient poser des questions de prolifération, sans se préoccuper du cycle aval et des déchets ni de la sécurité vis-à-vis des actes de malveillance, alors même qu’on ne sera pas dans le cas d’un site nucléaire entouré de barbelé », déplore le président de l’ASN. Qui réclame des « grands frères » pour accompagner ces porteurs de projet.

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L’année 2023 s’annonce elle aussi chargée. En janvier, l’ASN a reçu le dossier « colossal » d’autorisation de création du centre d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo. Celui du premier EPR2 de Penly devrait arriver en juin. Douze équivalents temps plein devraient être mobilisés l’an prochain sur les nouveaux réacteurs, embryon d’une équipe qui pourrait réunir jusqu’à trente personnes dans les années à venir. Un casse-tête organisationnel, alors que les dossiers en cours peinent à être refermés et les chantiers menés à terme. « Nous espérions redéployer les personnels affectés à l’EPR de Flamanville, mais nous devons attendre sa mise en service », a soupiré M. Gupta.

Publié le 25 mai 2023 à 18h22

Photo en titre : La présentation du rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2022 a eu lieu le 25 mai 2023. – Nitot / wikimedia commons

https://reporterre.net/INF-Bilan-2022-ASN

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