Xavier Piechaczyk, le président du directoire de Réseau de transport d’électricité, détaille la nouvelle mise à jour des prévisions de consommation et de production d’électricité de l’Hexagone à l’horizon 2035, bouleversées par les impératifs de décarbonation et de réindustrialisation.
Quelle sera la consommation d’électricité en France en 2035 et, par conséquent, quels moyens de production faut-il déployer ? Un an et demi après la publication, fin octobre 2021, des « Futurs énergétiques 2050 », un vaste travail de modélisation à l’horizon 2050, le gestionnaire Réseau de transport d’électricité (RTE) met à jour ses prévisions pour la prochaine décennie.
Le président de son directoire, Xavier Piechaczyk, commente, mercredi 7 juin, les principales conclusions de la concertation menée avec l’ensemble des acteurs du secteur pour préparer ces nouveaux scénarios – le « bilan prévisionnel » – qui seront détaillés en septembre.
Des éléments qui viendront aussi nourrir le débat parlementaire, attendu à l’automne, sur la prochaine loi de programmation Énergie-climat.
Pourquoi prévoyez-vous une forte hausse de la consommation d’électricité d’ici à 2035 ?
Les nouvelles ambitions européennes, que ce soit en matière de climat ou de réindustrialisation, imposent une électrification accélérée. Ce qui a changé depuis la publication des « Futurs énergétiques », c’est notamment « Fit for 55 », un plan européen qui impose un objectif de décarbonation très ambitieux [adopté en 2022, il prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990].
Ces nouvelles ambitions impliquent une nette hausse de la consommation électrique, qui correspond à l’hypothèse maximale décrite dans nos publications de 2021. La consommation pourrait ainsi être comprise entre 580 et 640 térawattheures [TWh] en 2035 [alors que le scénario médian des « Futurs énergétiques » prévoyait une consommation de 650 TWh en 2050].
Dans quelle mesure la guerre en Ukraine a-t-elle changé la donne ?
Le conflit a renforcé l’intérêt de sortir des énergies fossiles de manière structurelle et de se dégager des sources d’approvisionnement qui posent des problèmes géopolitiques. Il a souligné la nécessité de se réindustrialiser plus vite pour maîtriser nos propres chaînes de valeur. La guerre en Ukraine a également modifié des paramètres économiques, puisqu’elle a eu des incidences sur le prix du gaz et sur la manière dont le système électrique fonctionne.
D’autres facteurs influent-ils à l’échelle nationale ?
Notre trajectoire repose sur la somme des besoins qui nous ont été remontés, filière par filière, lors de la concertation. Là aussi, des choses ont changé. Dans « Futurs énergétiques », il y a, par exemple, très peu d’électricité qui sert à produire des carburants de synthèse pour l’aviation. À l’époque, les industriels du secteur ne semblaient pas avoir autant avancé sur leur transition bas carbone. Cette fois, ils ont répondu en masse à notre consultation et sont venus avec leur trajectoire, qui prévoit la production de carburants de synthèse.
Par ailleurs, le gouvernement est en train de réviser à la baisse les perspectives de disponibilité de la biomasse [c’est-à-dire des matières organiques utilisables pour produire de l’énergie]. Dans la stratégie nationale bas carbone adoptée en 2020, le potentiel envisagé à l’horizon 2050, pour les bioénergies, devait être de l’ordre de 430 TWh. Mais les perspectives de disponibilité foncière pour la biomasse, en raison notamment des conflits d’usage et pour protéger la biodiversité, ont substantiellement baissé. Au lieu de se tourner vers les bioénergies, des filières prévoient maintenant de se tourner vers l’électricité. Pour la mobilité lourde, la biomasse ne sera peut-être pas une solution structurante.
Quelles difficultés pose cette hypothèse d’une forte hausse de la consommation électrique ?
Cette trajectoire pose plusieurs questions : est-ce que les ménages auront l’appétence pour s’électrifier plus vite ? Et le pays sera-t-il capable de produire autant d’électricité ? Il faudrait produire entre 250 et 300 térawattheures d’électricité renouvelable par an en 2035 pour atteindre ces consommations hautes. C’est plus du double d’aujourd’hui, puisque nous en sommes à environ 120 térawattheures [dont près de 50 TWh d’hydroélectricité pour l’année 2022]. Cela représente une véritable rupture, car la France ne produit aujourd’hui pas plus d’électricité bas carbone qu’il y a une vingtaine d’années. La disponibilité des centrales nucléaires a beaucoup diminué, ce qui a contrebalancé la progression des renouvelables.
Est-ce faisable ?
Les jalons du « Fit for 55 » ne seront atteignables que si la France arrive à jouer sur quatre leviers, après avoir électrifié le plus vite possible : celui de l’efficacité, celui de la sobriété, celui de la disponibilité maximale du parc nucléaire installé, et celui de la production d’électricité renouvelable. Ces quatre éléments sont tous incontournables.
Dans « Futurs énergétiques », la sobriété était une option. Aujourd’hui, nous avons impérativement besoin de ce pilier supplémentaire pour atténuer le besoin de croissance des capacités de production. Nous essaierons de mesurer, dans le « bilan prévisionnel » qui sera publié en septembre, dans quelle proportion la sobriété et l’efficacité seront nécessaires.
Faut-il revoir à la hausse les objectifs du gouvernement concernant les renouvelables ?
L’enjeu est surtout de les atteindre plus rapidement. Le discours du chef de l’État, Emmanuel Macron, à Belfort [en février 2022], peut être interprété comme une prévision d’accroissement linéaire des capacités renouvelables. Mais pour pouvoir respecter les objectifs du « Fit for 55 », il faut que celles-ci augmentent beaucoup plus vite, au moins jusqu’à 2035.
Nous sommes à un moment où l’éolien et le solaire sont les seuls vecteurs permettant d’électrifier de façon accélérée, il n’y aura pas de nouveaux grands barrages hydroélectriques ni de nouveaux réacteurs nucléaires dans les dix prochaines années. Après 2035, le nucléaire viendra d’une certaine manière prendre le relais, et la pression à faire des renouvelables sera moins forte.
Dans quel secteur est-il le plus simple d’accélérer ?
Avant 2030, l’accélération concernera le solaire et l’éolien terrestre. Sur l’éolien en mer, il faut prendre toutes les décisions aujourd’hui, mais le processus sera plus long. En 2022, la France a réussi à accélérer un peu, avec 5 gigawatts de capacités renouvelables raccordées au réseau électrique. Maintenant, il faut appuyer encore plus fort sur la pédale. Parvenir à une production renouvelable de 250 TWh en 2035 est compatible avec des rythmes de déploiement qui sont déjà observés dans certains pays européens. Pour aller jusqu’à 300 TWh, soit la fourchette haute, il faudra s’aligner sur les meilleures pratiques observées, même si plusieurs pays veulent aller encore plus vite.
Propos recueillis par Perrine Mouterde et Adrien Pécout, publié le 08 juin 2023 à 09h27
Photo en titre : Xavier Piechaczyk, président du directoire de Réseau de transport d’électricité, dans son bureau à la Défense, à Puteaux (Hauts-de-Seine), le 13 septembre 2022.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/07/energie-les-besoins-de-la-france-imposent-une-electrification-acceleree-alerte-le-patron-de-rte_6176511_3234.html
NDLR : ce qui était possible pour RTE il y a 1 an et demi ne semble plus l’être aujourd’hui. Cela ne ressemblerait-il pas à une mise au pas gouvernementale du type « se soumettre ou se démettre » ?
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