La France a décidé de poursuivre les investissements dans le réacteur de recherche Jules Horowitz, qui devrait être mis en service avec 18 ans de retard, au minimum, en raison de sa grande complexité. Plusieurs milliards d’euros d’investissements sont encore nécessaires pour finaliser sa construction alors que le devis initial tablait sur quelque… 500 millions d’euros. Peu connue du grand public, cette installation doit permettre d’appuyer la recherche dans la perspective d’allonger la durée de vie des centrales nucléaires. Explications.
L’EPR de Flamanville en Normandie n’est pas le seul chantier nucléaire français à multiplier les dérapages de calendrier. Sur le site de Cadarache, au nord-est d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), le chantier de construction du réacteur de recherche Jules Horowitz, beaucoup moins médiatique, patine lui aussi. Après les premiers coups de pelleteuse en 2007, ce réacteur, piloté par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), à la tête d’un consortium international, devait initialement voir le jour en 2014.
Lire aussi : Nucléaire : pourquoi l’État a choisi Bugey dans l’Ain pour la construction de deux nouveaux EPR2
Le calendrier avait ensuite rapidement glissé pour une mise en service attendue en 2021. La France vise désormais une installation opérationnelle à l’horizon 2032-2034, comme l’a indiqué l’Élysée après le dernier Conseil de politique nucléaire, organisé par Emmanuel Macron ce 19 juillet. Celui-ci « a acté la poursuite des investissements de l’État et de la filière » pour finaliser sa construction.
18 ans de retard et explosion des coûts
« Ce réacteur permettra à la fois d’appuyer la recherche sur la prolongation de la durée de vie du parc existant, sur les EPR2, mais aussi pour les petits réacteurs modulaires (SMR) », a indiqué la présidence. Si ce nouveau calendrier était tenu, le réacteur devrait donc voir le jour avec 18 ans de retard, au mieux ! Cela nécessitera « des investissements substantiels (…) de plusieurs milliards d’euros », précise l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique.
Or, initialement, le coût global du projet avait été estimé à un peu plus de 500 millions d’euros, avant d’être réévalué à 1,7 milliard d’euros, soit déjà un triplement du devis initial. Le réacteur Jules Horowitz (ou RJH dans le jargon) « a fait l’objet d’une reprise en main par le CEA en 2019 pour faire le bilan des travaux engagés et le bilan du reste à faire (…) un gros travail d’audit a été mené », explique encore le cabinet de la ministre. Les coûts sont partagés entre le CEA et les différents partenaires du consortium, dont EDF, Framatome, mais aussi différents organismes de recherches internationaux (Belgique, Espagne, Finlande, Royaume-Uni, Inde, Israël).
Un réacteur « couteau suisse » difficile à construire
Comment expliquer un tel dérapage ? La raison tient principalement aux multiples fonctionnalités attendues de l’installation, à son côté « couteau suisse », comme l’a qualifié Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN lors de son audition par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 25 mai dernier.
« C’est un réacteur qui est d’une certaine manière complexe car très ambitieux dans ses fonctionnalités. Le fait de faire un réacteur unique à plusieurs fins a complexifié de manière redoutable sa conception et, donc aujourd’hui, sa réalisation. S’il y a un retour d’expérience à tirer de ce réacteur qui répond à des besoins indiscutables, c’est : attention à la complexité liée au fait de vouloir avoir une ambition enveloppe en ce qui concerne les finalités des outils », a-t-il estimé, sans toutefois remettre en cause son utilité.
Dans le détail, contrairement à un réacteur de production, ce réacteur de 100 mégawatts de puissance n’est pas destiné à produire des électrons mais à fournir des données scientifiques sur le comportement des matériaux et des combustibles nucléaires. Le réacteur Jules Horowitz, dont le nom rend hommage au physicien éponyme qui a dirigé la recherche fondamentale du CEA de 1970 à 1986, a été pensé pour succéder au réacteur de recherche Osiris, définitivement arrêté en 2015.
Stratégique pour le prolongement de la durée de vie des centrales
Sa mission consiste notamment à bombarder d’un flux neutronique intense les échantillons de composants que les chercheurs et industriels souhaiteront tester afin de simuler leur vieillissement. Un enjeu clé dans la recherche pour la prolongation des centrales nucléaires actuellement en fonctionnement au-delà de 60 ans, mais aussi pour le développement des combustibles pour les réacteurs de troisième génération, et le développement de nouveaux matériaux pour les futures centrales de puissance. Le réacteur a ainsi été conçu pour réaliser simultanément une vingtaine d’expériences sur les matériaux et combustibles, explique le site du CEA.
En parallèle, le RJH doit aussi produire des radio-isotopes pour les services d’imageries médicales dans leurs activités de diagnostic et de traitement du cancer. Les équipes du CEA prévoyaient ainsi qu’il couvre 25% des besoins européens en la matière.
« Une démarche de transparence »
Ce réacteur « difficile à construire et à mettre en service », comme le reconnaît Bernard Doroszczuk, a ainsi rencontré plusieurs difficultés dans l’organisation générale du chantier. Plus récemment, des problématiques ont été détectées en 2020 lors des essais de qualification de certains équipements, des traces de corrosion ont aussi été décelées sur une soudure située dans la piscine, tout comme des irrégularités concernant des fabrications dans une usine au Portugal.
Dans son rapport annuel de 2022, le gendarme du nucléaire considère désormais que le projet « est conduit avec rigueur dans une démarche de transparence. »
Des centaines de recrutements prévus au CEA pour muscler la recherche nucléaire
Le Conseil de politique nucléaire a décidé, le 19 juillet, d’un renforcement significatif des effectifs et d’un renouvellement des installations de recherche de la branche nucléaire civil du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). « Concrètement, je souhaite augmenter les effectifs du CEA, avec Sylvie Retailleau [la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ndlr] de plusieurs centaines de personnes en recherche nucléaire », a précisé Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique lors d’un échange avec la presse. Actuellement, la R&D nucléaire au sein du CEA représente 1600 postes permanents et 400 non permanents (350 doctorants et 50 post doctorants). Or, dans le cadre de la relance nucléaire, le CEA va voir ses missions significativement gonfler. Il sera chargé de tester les petits réacteurs modulaires (SMR) en cours de développement par de nombreuses startups et sera aussi énormément sollicité pour le développement de Nuward, le SMR d’EDF. Les efforts de recherche vont devoir aussi s’intensifier sur la question du multirecyclage des combustibles et de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes. L’enjeu est de « donner au CEA les moyens de garder et recruter ses talents », a ajouté la ministre, alors que les industriels de la filière cherchent, eux aussi, à recruter à tour de bras. Au CEA, les salariés ne sont pas fonctionnaires, mais leur grille de salaire est toutefois calibrée sur les finances publiques. En interne, on reconnaît que « la rétention de talents est compliquée alors que les industriels veulent les meilleurs chercheurs ».
Par Juliette Raynal, publié le 21 juillet 2023 à 08h29
Photo en titre : Crédits : CEA
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/nucleaire-jules-horowitz-cet-autre-reacteur-francais-qui-multiplie-les-derapages-et-coute-tres-cher-970456.html
Commentaires récents