Alors que la menace d’une guerre nucléaire s’intensifie, le biopic sur le père de la bombe atomique peine à rendre compte de la réalité des enjeux malgré ses promesses, analysent Sébastien Philippe et Benoît Pelopidas, spécialistes de ce type d’armement.
Entretien croisé
Dans « Oppenheimer« , de Christopher Nolan, l’acteur Cillian Murphy campe le rôle du père de la bombe atomique.
Pour la voir, il faut traverser le désert de Los Alamos au Nouveau-Mexique. Puis se faufiler entre les bribes de vie jetées au spectateur dans le désordre. Après avoir aperçu un parterre de physiciens légendaires – Albert Einstein, Niels Bohr, et bien d’autres encore -, et alternée discussions scientifiques, scènes d’amour et rencontres informelles, elle apparaît enfin à l’image : la première bombe atomique de l’histoire.
Élément central d’Oppenheimer de Christopher Nolan, l’arme de destruction massive n’est dévoilée qu’après une succession de séquences pensées comme un gigantesque puzzle, complexe, ambivalent et ambigu. Contraint d’assembler ces pièces, le spectateur doit ainsi prendre la mesure des choix qui ont conduit à ce que Robert Oppenheimer (1904 – 1967) devienne l’un des pères de cette invention. Jusqu’à, comme lui, participer à faire sauter la première arme de ce type, point d’orgue du film et de la vie du chercheur.
Raconter une histoire qui s’est vraiment déroulée n’est jamais simple, surtout pour un réalisateur qui se consacre d’ordinaire à la fiction (Batman, Inception, Tenet). Christopher Nolan le sait : mettre en scène un tel moment de l’Histoire – qui préfigure l’atomisation d’Hiroshima et de Nagasaki et de trente ans de craintes d’un hiver nucléaire – dépasse bon gré mal gré le simple divertissement. D’autant plus que le film s’impose comme l’un des succès de 2023 et pourrait donc s’installer comme une référence dans l’imaginaire collectif.
Qu’est-ce que Christopher Nolan a choisi de montrer ? Quelle pourrait être l’influence du film sur l’opinion publique et comment raisonne-t-il avec notre époque ? Analyse, avec Sébastien Philippe, ancien ingénieur en sécurité nucléaire à la Direction générale de l’armement, docteur en physique appliquée à l’université de Princeton. Et Benoît Pelopidas, fondateur du programme indépendant d’études des savoirs nucléaires (Nuclear Knowledges) à Sciences Po, spécialiste de la représentation de l’armement atomique dans les œuvres culturelles.
L’Express : Quel a été votre regard de spécialiste sur ce film ?
Sébastien Philippe : C’était une expérience assez intéressante pour moi. Robert Oppenheimer, Albert Einstein et Lewis Strauss ont tous vécu à Princeton, là où je vis et à quelques pas de l’université dans laquelle je travaille. Christopher Nolan a d’ailleurs tourné certaines scènes sur le campus et à l’institut des études avancées, qui se trouve à quinze minutes à pied de mon bureau, et dont Oppenheimer fut le directeur après la Seconde Guerre mondiale. À l’occasion de la sortie du film, nous avons eu droit, avec d’autres chercheurs, à une projection privée dans le cinéma où le scientifique avait l’habitude d’aller en compagnie de sa femme. Ce n’était pas en Imax 70 mm, comme il est recommandé de le regarder, mais cela fait tout de même quelque chose de voir ce film dans ce contexte.
Benoît Pelopidas : Le film fait son effet, avec son souci du détail technique, du costume, de la lumière, mais ce n’est pas forcément une bonne chose, surtout lorsqu’on le regarde avec un œil expert. Nous en parlions avant l’entretien avec Sébastien : c’est très beau, c’est très soigné, c’est un immense objet artisanal. On découvre même que Nolan est capable de faire jouer Robert Downey Jr correctement ! Mais l’œuvre avait été annoncée comme une plongée dans le projet Manhattan, un voyage dans l’abîme des dilemmes de l’époque, un aperçu de l’horreur des tragédies atomiques. Au lieu de ça, il perpétue le fantasme du « savant martyre« , et minimise le danger des armes nucléaires.
Il lui fallait bien incarner son propos, Christopher Nolan n’allait pas raconter uniquement la fabrique de la bombe et la physique nucléaire…
B.P. : Oui, mais la longueur et le rythme caractéristiques de Christopher Nolan donnent l’impression que tout a été dit. Or l’essentiel n’y est pas ! C’est seulement le troisième film de l’histoire qui traite des origines du projet Manhattan, c’était une occasion inédite de raconter ce moment fascinant de l’Histoire. Lors de ses entretiens accordés aux médias, Christopher Nolan répétait qu’il voulait à tout prix que ses spectateurs prennent la mesure de la capacité de destruction des armes atomiques. Aux États-Unis, les campagnes publicitaires affirmaient même que les premiers spectateurs étaient « dévastés » en sortant de la séance. Honnêtement, vous avez eu peur, vous ? Vous avez été mal à l’aise, hormis pour le personnage principal ?
S.P. : Le moment le plus impressionnant devait être l’explosion du « gadget« , la première bombe atomique que les Américains ont fait exploser sur leur sol lors du test baptisé Trinity. Or Christopher Nolan a fait le choix d’éviter les effets spéciaux, ce qui pose un important problème : comment rendre compte de la puissance atomique en utilisant des explosifs conventionnels ? Lorsque l’on passe ses journées à lire de la littérature scientifique sur les armes nucléaires, comme je le fais à Princeton, on prend conscience qu’il n’existe rien de comparable. L’explosion à l’écran m’a paru toute petite, et j’ai eu l’impression qu’ils avaient étiré l’image pour la rendre plus impressionnante… En revanche, j’ai beaucoup aimé le moment du flash lumineux, puis le silence qui précède l’arrivée de l’onde de choc.
En d’autres termes, le gros « boum » que tout le monde attendait a fait un petit « plouf » ?
S.P. : C’est simplement impossible de reconstruire une explosion nucléaire avec des explosifs classiques. Il y a deux ans, les scientifiques de Los Alamos ont réévalué à la hausse la taille de l’explosion de Gadget. Elle a en réalité libéré autant d’énergie que 25 000 tonnes de TNT. C’est énorme. La plus grosse bombe conventionnelle au monde est américaine, elle s’appelle Massive Ordnance Air Blast Bomb, ou « Mother of all Bombs« , la mère de toutes les bombes. Elle libère une énergie qui ne représente « que » 11 tonnes de TNT. C’est plus de 2 000 fois moins. Souvenez-vous de l’explosion du port de Beyrouth, l’une des plus grosses explosions conventionnelles jamais enregistrées. Elle avait une équivalence de 1 200 tonnes de TNT. Cette déflagration-là, que tout le monde a vue sur les réseaux sociaux en août 2020, était beaucoup plus impressionnante.
B.P. : Christopher Nolan n’en est pas à sa première explosion ratée. Souvenez-vous de ses Batman. Dans le dernier, le super-héros s’envole avec la bombe atomique qui devait détruire Gotham City afin de la faire exploser au large. Personne ne meurt, pas même Batman, que l’on voit ensuite prendre un café avec Michael Caine. Dans un article de recherche que j’ai publié dans une revue scientifique, je démontre que la représentation des dangers et des effets d’une potentielle guerre nucléaire dans les films est globalement minimisée depuis la fin de la guerre froide. Depuis cette époque, les bombes atomiques sont aussi régulièrement valorisées, représentées comme des symboles de souveraineté, de progrès, là où avant, les réalisateurs s’attachaient plutôt à dépeindre l’ampleur des dégâts et du danger d’une telle technologie.
Pourquoi avoir autant scruté l’explosion finale d’Oppenheimer ?
B.P. : Mon travail en tant que chercheur consiste à documenter la construction du savoir sur l’armement nucléaire. Nous avons démontré qu’une partie de la conscience du risque atomique, qui est en réalité très limitée, passe par les objets culturels. Les choix en matière de cinéma, de télévision, de littérature comptent plus qu’on ne le pense. Quand dans un film un protagoniste tire dans un réservoir d’essence, vous vous attendez à ce qu’il explose, parce que c’est comme ça que la scène est représentée la plupart du temps. Or, dans la vraie vie, ce n’est pas possible. Si vous tirez, il ne se passera rien. L’opinion publique a beaucoup de mal à se représenter le danger de la course à l’armement nucléaire, or c’est pourtant un sujet brûlant, d’autant plus à notre époque. Il nous faut donc des films et des représentations culturelles à la hauteur des enjeux.
Pourquoi était-ce important de raconter les origines de la bombe atomique dans un film grand public à ce moment précis de l’Histoire ?
B.P. : Oppenheimer sort en salles alors que la course à l’armement nucléaire redémarre, et alors qu’une des plus grandes puissances nucléaires du monde, la Russie, est à nouveau en guerre. D’autre part, les tensions entre la Chine et les Etats-Unis, deux autres grands arsenaux atomiques, sont telles qu’une nouvelle forme de guerre froide pourrait advenir. Alors forcément, l’histoire de l’invention de la bombe parle à notre époque. Le film se termine sur un message clef : l’apocalypse nucléaire n’est jamais très loin. J’espère que le spectateur retiendra ce propos, mais il n’occupe qu’une toute petite partie du film…
S.P. : … une toute petite partie, certes, mais c’est l’ouverture, et la fermeture du long métrage. Le spectateur entre et sort du film sur cette idée. Il faut saluer l’intention de Nolan, elle est importante, car elle colle avec la réalité du monde dans lequel nous vivons, mais dont nous parlons peu. Depuis que la bombe atomique existe, l’humanité est au bord du précipice. Nous ne savons pas évaluer exactement la probabilité d’une guerre nucléaire, mais ce risque vient de bondir avec l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine. On dénombre encore un peu plus de 10 000 ogives nucléaires dans le monde, dont environ 1 500 sont déployées. Et sur ces 1 500 armes, il y en a au moins 750 qui sont montées sur des missiles intercontinentaux, prêtes à être lancées en à peine une minute, et capables d’attendre leur cible à l’autre bout du monde en moins d’une demi-heure. Une seule de ces ogives nucléaires pourrait raser complètement une ville comme New York. Les armes sont prêtes et comme l’a rappelé Benoît, leur nombre augmente à nouveau.
Tous les grands traités bilatéraux qui permettent le contrôle de l’armement nucléaire entre les États-Unis et la Russie ont été mis à la poubelle, à l’exception du traité New Start, qui impose une limite sur le nombre de missiles stratégiques qui peuvent être déployés. Mais les inspections qui devaient être réalisées pour s’assurer du respect de cet accord ont été récemment suspendues. Et il n’est pas impossible, surtout quand on observe la détérioration des relations internationales et ce qu’il se passe en Ukraine, que New Start ne soit pas reconduit. Si tel est le cas, il n’y aura plus aucune limite sur les armements globaux. La Chine a déjà pris la décision de doubler la taille de son arsenal nucléaire et a commencé la construction de plus de 300 silos avec des missiles intercontinentaux. L’Angleterre, après des années de réduction de la taille de son armement nucléaire, a relancé la production.
La France participe-t-elle à cette escalade de la menace nucléaire ?
S.P. : La France continue de déployer des armes nucléaires sur des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et sur des Rafale équipés de missiles de croisière. En tout, la France possède environ 300 armes nucléaires, un chiffre stable comparé à d’autres nations. Néanmoins, on a pu voir des réactions importantes de la France, notamment suite à l’invasion russe de l’Ukraine, et en réponse aux menaces nucléaires de Poutine. Emmanuel Macron a par exemple ordonné en février 2022 que trois de nos SNLE soient déployés en mer au même moment, ce qui était historique. Sur chacun de ces sous-marins, il y a 16 missiles balistiques avec plusieurs têtes nucléaires.
B.P. : Il faut bien se rendre compte d’une chose : des rapports, notamment français mais aussi anglais, publiés dès les années 1950, ont montré que 10 à 15 missiles suffisent à détruire un pays comme la France. Notre territoire national serait brûlé, vidé de toute capacité de production, de toute infrastructure, et trop contaminée pour pouvoir produire suffisamment de nourriture. Les destructions seraient telles qu’elles empêcheraient tout moyen de reconstruction.
À la différence des années 1940, les États-Unis se sont dotés d’un bouclier antimissiles nucléaire. D’autres pays tentent de faire pareil. Cette technologie ne change-t-elle pas la donne ?
B.P. : Est-il possible de protéger les populations d’une attaque nucléaire ? La réponse est un non catégorique, qui ne souffre aucun doute. Voilà pourquoi je vous disais que se représenter les armes nucléaires de la façon la plus juste est crucial. C’est difficile à accepter, mais nous sommes en situation de vulnérabilité nucléaire. Lorsqu’on étudie les données sur l’armement nucléaire et les décisions politiques qui ont été prises, on découvre que certaines explosions nucléaires ont été évitées par la seule intervention de la « chance« , c’est-à-dire des mécanismes qui dépassent les pratiques de contrôle, et sont indépendants de la volonté du régulateur. Nous sommes donc soumis à un aléa, et celui-ci pourrait être sous-estimé, car nous n’avons pas accès à toutes les archives nucléaires.
S.P. : Lorsqu’on étudie les archives, on se rend compte également que la doctrine militaire en matière d’attaque nucléaire qui prédomine consiste à frapper le plus vite et le plus fort, pour anéantir toute riposte. A priori, on lancerait tout et relativement rapidement. Or le bouclier antimissile américain n’arrive même pas à garantir l’interception d’un tir à la fois. La technologie n’est toujours pas aboutie. Nous ne sommes pas protégés. Les conséquences dévastatrices d’une guerre nucléaire ne sont pas du tout une question du passé.
B.P. : D’ailleurs, les États-Unis le disent. Le responsable de la Missile Defence Agency a répondu, quand on lui demandait, en 2019, où en était le programme antimissile : « Nous avons une chance non nulle d’intercepter les missiles ennemis. » Pour être protégé, il faudrait une efficacité de 100 %, car le moindre missile qui passerait au travers ferait instantanément des centaines de milliers de morts. Une chose est sûre : si une guerre nucléaire se déclenchait maintenant, elle ferait 100 millions de morts dans la première heure. Le double mourrait à cause des retombées. Sans parler de l’hiver nucléaire et de la contamination des sols.
Le film, en partie basé sur la biographie récompensée d’un Pulitzer, American Prometheus de Kai Bird et Martin J. Sherwin, raconte avec sensibilité la vie de Robert Oppenheimer, ses dilemmes scientifiques et politiques, ses ambiguïtés, ses sacrifices, ses amis, ses amants… Le père de l’arme la plus dévastatrice qu’il soit était-il quelqu’un de bien ?
B.P. : Christopher Nolan mentionne des zones d’ombre du personnage, mais son récit est globalement très favorable à Robert Oppenheimer. Il donne l’impression que le réhabiliter est nécessaire et souhaitable, que le scientifique n’a fait que son devoir. Il s’agirait d’un héros devenu par la force des choses le martyre du maccarthysme américain, cette chasse aux sorcières anticommuniste qui a secoué l’Amérique des années 1950, et dont il a largement fait les frais. C’est d’ailleurs désormais comme cela qu’il est présenté aux États-Unis, depuis peu.
N’oublions pas qu’Oppenheimer a été un excellent communicant. Il a en grande partie su fabriquer sa légende. Ce n’est qu’à partir des années 1950, quand il comprend qu’il ne peut plus revenir en politique car accusé de trahison et de collaboration avec les Russes, qu’il adopte ses positions les plus fermes en faveur du démantèlement de l’arsenal nucléaire. Oppenheimer a participé au comité de ciblage durant lequel l’attaque d’Hiroshima et de Nagasaki a été décidée. C’est lui qui s’est opposé à une démonstration dans le ciel pour la bombe d’Hiroshima. Il dira alors : « Il faut, pour produire un effet psychologique, tirer sur une ville. » Christopher Nolan ne le montre quasiment pas sous ce jour.
S.P. : Quelques mois avant la sortie du film, en novembre 2022, la secrétaire d’État américaine à l’Énergie a déclaré que les États-Unis n’auraient pas dû retirer les accréditations d’Oppenheimer et qu’effectivement il n’avait pas trahi son pays. Elle s’est dite, je cite, « animée par la responsabilité de corriger les archives historiques et d’honorer Robert Oppenheimer pour ses contributions à la défense nationale et à l’entreprise scientifique dans son ensemble« . C’est dire à quel point l’œuvre culturelle et l’action politique peuvent s’influencer. Le rôle d’Oppenheimer a été très ambigu et sa place réelle dans l’histoire américaine fait encore largement débat.
Pour se justifier, Oppenheimer a répété que s’il n’avait pas participé à inventer la bombe atomique, d’autres l’auraient fait. L’usage de la science ne relèverait que de la responsabilité du politique. Vous le pensez aussi ?
B.P. : Tout comme le discours d’Oppenheimer, le film donne l’impression d’une forme d’inévitabilité. Il est important de rappeler que les savants américains étaient à l’initiative du projet Manhattan, comme le décrit le journaliste Richard Rhodes, dans The Making of the Atomic Bomb, livre qui fait référence sur la question. Donc dès le départ, la science et la politique se mélangent. Ce qui n’a pas empêché par ailleurs d’importants débats éthiques, qu’on ne voit que peu dans le film, à mon sens, même à Los Alamos, le lieu où a été fabriquée la bombe. Certains chercheurs ont quitté le programme, d’autres ne l’ont jamais rejoint, et certains l’ont critiqué depuis l’intérieur. Des oppositions qu’Oppenheimer a participé à réprimer.
Si, effectivement, une course au développement de la bombe contre les nazis était enclenchée à l’époque, ce n’est qu’un an après le lancement du projet Manhattan que le renseignement américain a commencé à s’intéresser à l’avancement réel des Allemands en la matière. Et dès 1944, les États-Unis savaient qu’ils ne seraient pas en mesure d’avoir la bombe. Pourtant, ils ont décidé de poursuivre et même de bombarder Hiroshima et Nagasaki, Oppenheimer en tête. Dans le film, on a l’impression que c’était la seule issue pour arrêter la guerre. En réalité, les historiens considèrent que c’est surtout la menace de l’invasion du territoire japonais par l’URSS qui a pesé.
Certains disent qu’il faut s’empêcher de créer une intelligence artificielle de niveau humain, d’autres qu’il faut arrêter certaines recherches génétiques… Vous pensez vraiment qu’on aurait pu faire autrement que de construire ces bombes atomiques ?
B.P. : Les prophètes de l’inévitable sont ceux qui ont rendu possible la catastrophe. On ne peut pas réécrire l’Histoire à l’aune de ce que l’on sait aujourd’hui. Mais l’inéluctabilité technologique, l’idée selon laquelle la science avancerait toute seule et réaliserait des choses par elle-même, n’existe pas !
S.P. : Beaucoup de découvertes scientifiques ont été abandonnées, interdites ou sont encadrées par la loi, notamment pour des questions éthiques et de droit humanitaire. On peut notamment penser à l’interdiction des armes chimiques et bactériologiques ou l’encadrement de la recherche en biologie synthétique et son utilisation sur des cellules humaines. Interdire ou limiter produit des effets. Les accords de contrôle des armements nucléaires depuis les années 1970 ont bien permis de réduire la taille des arsenaux américains et russes de plus de 80 %, même si aujourd’hui le dernier accord en vigueur ne tient plus qu’à un fil.
B.P. : Dire que la science avance quoi qu’il arrive et que le politique ne peut pas avoir de contrôle en amont est une illusion. Nous avons bien réussi à interdire le clonage humain. Nous avons aussi réussi à encadrer l’utilisation de CRISPR, cet outil qui permet de découper le génome, pour le remodeler. De nombreux scientifiques se mobilisent pour limiter les modifications de virus, ces opérations dites de « Gain-of-function« , car les conséquences d’une fuite de laboratoire seraient trop dangereuses. Dans un autre registre, il faut rappeler qu’ici, aux États-Unis, nous sommes même en train d’interdire de nouveau la pratique de l’avortement. C’est un exemple malheureux du pouvoir politique sur les pratiques scientifiques.
Propos recueillis par Antoine Beau et Victor Garcia, publié le 31/07/2023 à 18h00
Photo en titre : Dans « Oppenheimer », de Christopher Nolan, l’acteur Cillian Murphy campe le rôle du père de la bombe atomique. Collection ChristopheL via AFP
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