NUCLÉAIRE : LE RISQUE DES FAIBLES DOSES DE RAYONNEMENT DEMEURE LIMITÉ, MAIS RÉÉVALUÉ À LA HAUSSE

Une étude portant sur 310 000 travailleurs de l’industrie nucléaire en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis réévalue le lien entre exposition à des radiations ionisantes et risque de mortalité par cancer.

Évaluer le risque de cancer lié à l’atome et aux rayonnements ionisants : l’exercice a fait l’objet de nombreux travaux au cours des dernières décennies. Ceux publiés le 16 août dans le British Medical Journal revêtent toutefois un statut particulier puisqu’ils proviennent de l’analyse des données de près de 310 000 travailleurs de l’industrie nucléaire, suivis en moyenne pendant plus de trente ans et recrutés en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le principal résultat est l’augmentation de 52 % du risque de décès par cancers dits « solides » (c’est-à-dire à l’exclusion des leucémies et des lymphomes) pour une dose cumulée d’un gray (Gy) reçue par un individu.

« Un gray représente une dose de radiation très importante : la dose moyenne reçue par les travailleurs de la cohorte est de l’ordre de vingt millièmes de gray [mGy], détaille Klervi Leuraud, épidémiologiste à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et co-autrice de ces travaux. L’estimation du risque que nous publions signifie que sur une population de 1 000 travailleurs suivis pendant trente-cinq ans, âgés en moyenne de 66 ans en fin de suivi et ayant cumulé cette dose au cours de leur carrière, on observerait 91 décès par cancer solide dont un serait attribuable à l’exposition professionnelle aux rayonnements ionisants. »

La méthodologie utilisée consiste à relever le cumul des doses reçues par les individus, mesurées grâce à un dosimètre, mises en regard du risque de mortalité par cancer. L’estimation obtenue ne diffère pas grandement de la précédente analyse issue de cette même cohorte, publiée en 2015. Celle-ci concluait alors à un risque de décès par « cancer solide » augmenté de 47 % pour chaque Gy reçu. Les dix années supplémentaires de suivi n’ont donc conduit les auteurs – chercheurs à l’université de Californie à Irvine, au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ou au sein des institutions nationales chargées de la santé au travail ou de la sécurité nucléaire – qu’à relever de cinq points leur évaluation.

« Rester prudent »

Cependant, l’accumulation de nouvelles données suggère une remise en cause du modèle dit « linéaire sans seuil » généralement utilisé en radioprotection, selon lequel le risque de cancer est proportionnel à l’exposition. Ce modèle s’appuie sur la cohorte des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki et permet, par extrapolation, d’évaluer l’ampleur du risque des petites doses reçues de manière répétée par les employés de l’industrie du nucléaire ou les personnels médicaux travaillant au contact de rayonnements ionisants.

« Les radiations reçues par les survivants de ces bombardements ne sont pas de même nature et de même ampleur que celles reçues par les travailleurs au cours de leur vie professionnelle, qui sont exposés à des doses très faibles », explique Mme Leuraud. De fait, les nouvelles données suggèrent que le risque n’est pas strictement proportionnel à l’exposition, comme le suppose le modèle « linéaire sans seuil » : le risque augmente plus vite pour les gammes d’exposition faibles, inférieures à 100 mGy.

« Il s’agit d’une étude importante, qui montre clairement que l’exposition prolongée à de faibles doses de radiations ionisantes est liée à un risque de mortalité par cancer plus élevé que précédemment estimé », estime Paul Dorfman, consultant et chercheur associé à l’université du Sussex, membre du conseil consultatif pour la radioprotection de l’Agence de protection de l’environnement d’Irlande. « Il faut rester prudent car il reste des incertitudes importantes aux très faibles doses et on n’a pas d’explication très claire à ce phénomène, dit de son côté Klervi Leuraud. C’est la première fois qu’on observe cela dans cette cohorte et il faudrait corroborer ce résultat avec d’autres études. »

L’une des limites de ces travaux est de ne pas avoir pu contrôler deux facteurs de confusion majeurs, le tabagisme et l’exposition à l’amiante, tous deux fortement associés au cancer du poumon et de la plèvre. Les chercheurs ont ainsi testé la robustesse de leur analyse en ignorant ces cancers, sans que cela ne change la force de l’association entre les rayonnements ionisants et la mortalité par cancers.

« Non-prise en compte des salariés sous-traitants »

« Il est important de noter que cette étude est fondée sur la mortalité par cancer et non sur l’incidence du cancer », dit M. Dorfman, suggérant que ce choix pourrait minorer la réalité du risque. « C’est en effet la mortalité par cancer dont le lien avec l’exposition aux rayonnements ionisants a été étudié, plutôt que l’incidence de la maladie, confirme Klervi Leuraud. Mais c’est en raison de l’absence de registre national des cancers en France, où il n’existe que quelques registres régionaux. Les travailleurs du nucléaire étant répartis sur tout le territoire, il n’a pas été possible de déterminer tous les cas de cancers survenus dans cette cohorte : nous avons dû nous limiter à la cause médicale du décès. »

Y a-t-il un effet de minoration du risque en raison de cette limite ? Au Royaume-Uni, où est tenu un tel registre national, le fait de considérer l’incidence du cancer plutôt que la mortalité ne bouleverse pas l’évaluation du risque, ajoute en substance Mme Leuraud. Quant aux « cancers liquides » au sein de la cohorte, ils feront l’objet d’une étude distincte qui devrait être publiée dans les prochains mois.

En dépit de son ampleur, l’étude ne suffit pas à épuiser la question de la sécurité des travailleurs du nucléaire. Les quelque 60 000 travailleurs français de la cohorte sont employés par les plus grands acteurs du secteur : EDF, Orano et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Les salariés des entreprises sous-traitantes restent ainsi hors-champ. « Dès 1991, une enquête réalisée par des médecins du travail EDF et la sociologue Annie Thébaud-Mony montrait le transfert du risque radio-induit des agents EDF vers les sous-traitants, dit la sociologue de la santé Marie Ghis Malfilatre, chercheuse au laboratoire Pacte (CNRS, université Grenoble-Alpes, Sciences Po Grenoble). De même que le caractère aléatoire du suivi médical de ces derniers en raison de leur grande mobilité et de la précarité des emplois. »

Les auteurs estimaient que 80 % de la dose totale de rayonnements reçue par les travailleurs dans les installations nucléaires l’était par des prestataires, ajoute Mme Ghis Malfilatre, qui précise que « cette proportion demeure stable selon l’IRSN ». « De manière générale, ajoute la chercheuse, la non-prise en compte des salariés sous-traitants les plus exposés reste le point aveugle majeur de ces grandes études épidémiologiques. »

Par Stéphane Foucart, publié le 29 août 2023 à 18h37

Photo en titre : Une piscine de refroidissement des déchets nucléaires à l’usine de retraitement d’Orano, à La Hague (Manche), le 17 janvier 2023.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/08/29/nucleaire-le-risque-des-faibles-doses-de-rayonnement-demeure-limite-mais-reevalue-a-la-hausse_6186979_3244.html

NOTE DE FACTEUR A L’ARTICLE CI-DESSUS :

Déjà en 1997, le professeur Jean-François Viel dénonçait les biais délibérés utilisés par les études épidémiologiques pour minimiser l’impact des radiations sur la santé humaine :

– ne pas chercher les maladies suspectées

– ne pas prendre des tranches d’âges adéquates

– ne retenir que la mortalité (qui a régressée suite aux progrès thérapeutiques), oublier la morbidité.

Il réalisa une étude épidémiologique autour de La Hague dans laquelle il démontra la survenue d’un excès de leucémies infantiles. Celle-ci survenait suite à la fréquentation des plages locales et des côtes du Nord Cotentin par les mères enceintes et par leurs enfants et d’autre part, suite à la consommation par les enfants de poisson frais et de fruits de mer.

Une commission de l’IPSN, présidée par Annie Sugier, fût mise en place pour démonter le travail du Pr J-F Viel : elle concluait que la part imputable au nucléaire dans les leucémies était « très faible ».

Pour mémoire l’IPSN était le descendant du Scpri, rendu célèbre par son orchestration de la désinformation sur la contamination de la France par le nuage de Tchernobyl.

Mais début des années 2000 une étude internationale confirma les résultats des travaux de l’épidémiologiste J-F Viel.

Dans l’étude présentée ici l’embrouille s’est encore amplifiée à travers :

– la non prise en compte des travailleurs intérimaires, très majoritairement plus exposés aux radiations,

– la reprise de la mortalité par cancers au lieu de la morbidité

– la limitation aux cancers en oubliant la multitude d’autres maladies générées par les radiations.

Un point positif pour cet article : certains biais délibérément utilisés par les auteurs pour minimiser l’impact des radiations ionisantes sont mentionnés dans la dépêche.