L’Autorité de sûreté est devenue sourde aux impératifs économiques.
Les patrons d’EDF ont enfin trouvé le coupable de la pénurie d’électricité qui menace la France cet hiver : c’est le gendarme du nucléaire ! L’électricien reproche mezzo voce à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d’avoir trop vite ordonné l’arrêt de plusieurs réacteurs, après la découverte de malfaçons sur des générateurs de vapeur fabriqués au Creusot par Areva ou au Japon par la société JCFC.
« Le fait que l’ASN vérifie tout quatre fois est une bonne chose pour notre crédibilité » concède, tout sucre, tout miel, un dirigeant de la société nationale. Avant de lâcher cette rafale : « L’Autorité de sûreté aurait peut-être pu nous laisser un peu plus de temps afin que les arrêts de centrales ne tombent pas en pleine période hivernale ! » Et tant pis pour les risques d’accidents?
Danse du scalp
EDF l’affirme : malgré les multiples erreurs d’usinage détectées ces derniers mois, il n’y a rien à craindre de ses réacteurs. «Cela fait quarante ans que d’éminents métallurgistes fabriquent notre matériel. Ils connaissent leur boulot, et il n’y a jamais eu aucun accident» renchérit un autre dirigeant. Si « éminents » soient-ils, lesdits métallurgistes n’en sont pas moins soupçonnés d’avoir travaillé comme des cochons, et même d’avoir trafiqué les fiches qualité qui accompagnaient les pièces … Ce genre de détail n’arrête pas l’électricien, qui ne se trouve plus beaucoup d’atomes crochus avec l’ASN. ll ne cesse de clamer que ses installations auraient déjà redémarré si les têtes de mule de l’Autorité de sûreté ne s’étaient pas montrées si tatillonnes. Les crânes d’œuf de Bercy sont entrés, eux aussi, dans la danse. «La vérité, attaque un ancien du cabinet d’Emmanuel Macron, c’est que l’ASN est devenue une énorme administration. Les instructions sont très lourdes et de plus en plus lentes ». Dans le cas présent, c’est surtout EDF qui semble avoir lambiné … Au cours d’un entretien donné aux « Echos » (9/11), le patron de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, s’était montré formel : Électricité de France lui avait remis, le 7 octobre, un dossier d’analyse «auquel il manqu[ait] des résultats essentiels« · En l’occurrence, EDF avait « oublié » de réaliser les tests de résistance mécanique de ses pièces trop riches en carbone. Sommé de se mettre en règle, l’électricien s’est finalement acquitté de ce travail près d’un mois et demi plus tard. Aujourd’hui, l’ASN est en train d’en vérifier les résultats et devrait rendre son verdict avant Noël. Les financiers et EDF semblent nostalgiques de l’époque bénie où un simple froncement de sourcils ministériel suffisait à réduire au silence la Direction de la sûreté des installations nucléaires, ancêtre de l’ASN. En 1994, l’un de ses patrons avait eu l’outrecuidance d’émettre un avis négatif quant au redémarrage du très controversé réacteur Superphénix. II avait été viré illico.
Énarques survoltés
Devenue autorité administrative indépendante en 2006, l’ASN compte aujourd’hui 500 salariés, chargés de contrôler 58 réacteurs nucléaires en activité et plusieurs milliers d’installations industrielles ou médicales. Pour limiter les risques de pression, Chevet s’est lancé dans une politique de recrutement originale : il embauche en priorité de jeunes diplômés supposés libres de toute attache avec les entreprises qu’ils sont chargés de contrôler. De quoi mettre en pétard les dirigeants d’EDF et les hauts fonctionnaires de Bercy, qui regrettent le temps où ils donnaient du « cher ami » aux inspecteurs de l’ASN. Une époque où l’on pouvait, entre anciens polytechniciens, passer d’un côté de la barrière à l’autre sans trop se soucier des conflits d’intérêts. Et cuisiner sa petite tambouille atomique loin des regards indiscrets …
O. B.-K. et H. L.(Le Canard enchainé – 2016.11.30)
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