L’Autorité de sûreté nucléaire a donné ce mercredi son feu vert sous conditions à la cuve de la centrale malgré des défauts dans son acier. Si elle demande à l’électricien de changer le couvercle, ce dernier devrait quand même pouvoir démarrer son réacteur fin 2018.
EDF peut pousser un gros ouf de soulagement et les anti-nucléaires sonner le tocsin. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a donné son feu vert de principe ce mercredi, sous conditions, à la cuve du réacteur EPR de Flamanville (Manche) qui doit être mis en service fin 2018 par l’électricien. Et ce, malgré le fait que cette pièce majeure, qui abrite et protège le cœur du réacteur le plus puissant au monde (1 650 MW), présente des défauts de fabrication. Dans ce premier avis – son avis définitif sera rendu d’ici fin octobre après consultation publique –, le gendarme de l’atome a donc globalement validé la cuve, mais demande instamment à EDF de réaliser des contrôles réguliers sur le fond de la cuve pendant toute sa durée d’exploitation, et surtout de changer son couvercle d’ici la fin 2024.
En cause, des concentrations de carbone trop élevées dans l’acier de cette énorme pièce de fonderie qui mesure 11 mètres de haut et pèse plus de 425 tonnes et a été forgée par le fournisseur Areva dans son usine du Creusot. Ce qui veut dire que l’acier peut être potentiellement fragilisé lors de l’exploitation du réacteur sous pression et à très haute température, conçu pour durer soixante ans. Et poser à terme des problèmes de sûreté. C’est en tout cas ce que redoutent les associations anti-nucléaires en faisant planer le spectre d’un nouveau Fukushima en puissance. Le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, avait lui-même fait part de son inquiétude sur l’état de sûreté du parc nucléaire à plusieurs reprises ces derniers mois, sans exclure un accident de ce type. Mais ce mercredi, l’ASN a donc justifié sa «position» en forme de «oui mais» à la cuve de Flamanville, point par point.
Un nouveau couvercle d’ici 2024
«Sur la base des analyses techniques réalisées […], les caractéristiques mécaniques du fond et du couvercle de la cuve sont suffisantes au regard des sollicitations auxquelles ces pièces sont soumises, y compris en cas d’accident», avance-t-elle d’abord dans son communiqué. Pour autant, l’autorité ne donne pas un blanc-seing à EDF, car «l’anomalie de la composition chimique de l’acier conduit à une diminution des marges vis-à-vis du risque de rupture brutale», reconnaît-elle. On comprend entre les lignes que la cuve ne répond pas entièrement aux normes de sécurité drastiques définies par l’ASN, qui établit tous les scénarios accidentels, y compris les plus dramatiques, comme une fissure dans la cuve contenant les barres d’uranium hautement radioactives…
Aussi, l’autorité de sûreté juge «nécessaire qu’EDF mette en œuvre des contrôles périodiques supplémentaires afin de s’assurer de l’absence d’apparition ultérieure de défauts». Elle précise «que de tels contrôles sont réalisables sur le fond de la cuve et considère qu’ils doivent donc être mis en œuvre» par EDF et Areva. En revanche, le couvercle de la cuve, qui permet d’accéder aux barres de combustible et de les confiner, semble poser davantage de problèmes : «La faisabilité technique de contrôles similaires sur le couvercle de la cuve n’est pas acquise», reconnaît l’ASN, qui estime donc «que l’utilisation de ce couvercle doit être limitée dans le temps».
Le gendarme du nucléaire exige donc d’EDF que ce couvercle soit remplacé. Problème, ce ne sera pas dans les plus brefs délais : «la fabrication d’un nouveau couvercle prendrait de l’ordre de sept ans» et il ne sera pas donc pas disponible avant fin 2024. Date qui devient donc la limite fixée à EDF par l’ASN pour changer le couvercle actuel… Lors d’une conférence de presse, Pierre-Franck Chevet a précisé qu’il n’aurait pas d’objections à ce qu’EDF remplace le couvercle avant cette échéance.
L’électricien a en tout cas déjà anticipé cette décision conciliante de l’ASN. Il a annoncé ce mercredi soir, lors d’une conférence téléphonique, avoir engagé le processus de commande d’un nouveau couvercle à un sidérurgiste japonais «pour s’affranchir des risques de ségrégation» (taux de carbone trop élevé dans l’acier). Il s’agirait de Japan Steel Works. L’usine du Creusot, qui a forgé la pièce défectueuse et fait actuellement l’objet d’une enquête pour d’autres «anomalies» dans ses procédés de fabrication, a donc été exclue a priori de cet appel d’offres. Le changement d’un couvercle n’est pas une mesure inédite. EDF l’a déjà fait sur une cinquantaine de réacteurs du parc français. L’opération prendra cinq à six mois mais la facture sera salée : 100 millions d’euros, a reconnu le groupe. Aussi, EDF espère encore en rêve pouvoir éviter ce changement de couvercle grâce à un nouveau protocole de contrôle qui permettrait de faire valider le couvercle existant par l’ASN…
Risque majeur pour EDF
Au bout du compte, «la mise en service de la cuve du réacteur EPR de Flamanville restera soumise à une autorisation» définitive de l’ASN qui sera «délivrée notamment au regard des résultats d’une épreuve hydraulique d’ensemble du circuit primaire principal». On peut néanmoins se demander pourquoi l’ASN ne demande pas également de changer la cuve elle-même, malgré les défauts constatés. Sans doute parce que ce scénario en forme d’accident industriel n’était tout simplement pas une option pour EDF et l’État, toujours actionnaire à 84% de l’électricien : changer la cuve coûterait au minimum 1 milliard d’euros, voire beaucoup plus, car il faudrait découper l’enceinte de confinement en béton qui protège le réacteur avant de la reconstruire ! Cette opération délicate repousserait à nouveau la mise en service de l’EPR, alors même que le coût du chantier a déjà triplé (à 10 milliards d’euros minimum aujourd’hui) et que les délais ont explosé (le démarrage était initialement prévu pour 2011-2012).
Autrement dit, une telle décision aurait encore plus mis à mal les finances d’EDF, déjà très fortement sous tension avec un endettement de 37 milliards d’euros et un mur d’investissement à venir d’au moins 50 milliards d’euros pour remettre à niveau ses centrales nucléaires vieillissantes. Greenpeace avait pointé l’an dernier la situation de quasi «faillite» d’EDF dans une étude réalisée par le cabinet AlphaValue. Une chose est sûre, un veto de l’ASN à la cuve de Flamanville aurait fait peser un risque majeur sur un autre projet vital pour le groupe : la construction de deux nouveaux réacteurs EPR à Hinkley Point, dans le sud de l’Angleterre, pour lesquels l’électricien français doit engager au moins 15 milliards d’euros d’investissements. Le feu vert de Londres à ce projet pharaonique a fini par intervenir en septembre dernier, après bien des hésitations. Si l’ASN avait retoqué la tête de série française de l’EPR et recommandait de changer la cuve sur tous les réacteurs existants, on imagine qu’elle aurait été la réaction des Britanniques (mais aussi d’autres pays où EDF et Areva ont déjà vendu leurs EPR, comme la Finlande ou la Chine)…
«Roulette russe»
Les ONG, qui n’ont jamais voulu de cet EPR et militent pour une sortie progressive du nucléaire, crient déjà au scandale. Pour elle, la sécurité de la population est sacrifiée sur l’autel de simples considérations financières. «L’ASN est incapable de remplir sa mission en matière de sûreté nucléaire. Sacrifier la sûreté pour sauver une industrie en faillite est absurde», a tweeté Greenpeace France sitôt connu l’avis préliminaire du gendarme de l’atome. «L’ASN renonce définitivement à sa mission de garantir la sûreté nucléaire. Cet avis sur l’EPR plonge la France dans soixante ans de risque nucléaire», a aussi lancé le chargé de programme Énergie de l’ONG, Cyrille Cormier.
L’association Sortir du nucléaire parle carrément sur le réseau social de «roulette russe» pour dénoncer le fait que «l’ASN propose, de 2018 à 2024, six ans d’utilisation d’un couvercle défectueux sans possibilité de contrôler sa fragilité». Ce mercredi matin, 24 militants de Greenpeace ont manifesté devant le chantier de Flamanville pour «dénoncer l’irresponsabilité d’EDF et Areva et interpeller le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot». «Les pressions subies par l’ASN de la part d’EDF et Areva illustrent l’enjeu industriel d’une décision qui ne relève désormais plus de la sûreté nucléaire seule. Elle est avant tout devenue politique», argumente l’ONG dans un communiqué, parlant de «passage en force» de la part des industriels. Greenpeace demande à Hulot, ministre en charge de la sûreté nucléaire, de ne pas autoriser le démarrage du réacteur, en appelant à sa «responsabilité».
«L’ASN ne peut plus prendre une décision de sûreté en toute indépendance et ne peut résister à la pression. Tout simplement parce que le véritable enjeu derrière l’autorisation de cette cuve, c’est la survie de l’industrie nucléaire française, explique Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace France. Ce n’est pas aux citoyens français de payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et Areva. Nicolas Hulot peut encore leur éviter cela, en mettant fin au chantier de Flamanville.»
Hulot en première ligne
Pour l’instant, le gouvernement est resté silencieux. Nicolas Hulot, pourtant a priori connu pour ses positions anti-nucléaires depuis Fukushima, s’est contenté de s’en remettre à l’Autorité de sûreté nucléaire : «C’est mon autorité de tutelle et la première chose que je fais est de regarder l’avis de l’ASN», a-t-il simplement déclaré à la presse mardi. Une position difficilement tenable sur la durée, car ce premier feu vert à la cuve de l’EPR risque de mettre le ministre de l’Écologie en première ligne face aux partisans de plus en plus nombreux de la sortie du nucléaire. Et peut-être face à ses propres contradictions, s’il n’arrive pas à imprimer sa marque au sein d’un gouvernement qui n’a manifestement pas l’intention d’accélérer la sortie du nucléaire.
http://www.liberation.fr/futurs/2017/06/28/epr-de-flamanville-le-gendarme-du-nucleaire-evite-un-accident-industriel-a-edf_1580236
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