POURQUOI LE NUCLÉAIRE VA S’INVITER DANS LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE DE 2022

La gauche et la majorité macroniste semblent divisées sur la construction rapide de nouveaux EPR, tandis que la droite et l’extrême droite accentuent leur soutien à la filière.

En pleine période de pandémie et de crise économique, débattre sur l’équilibre du système électrique français en 2050 pourrait sembler décalé. Et pourtant : le lobbying et les batailles en coulisses sont bel et bien lancés, à grande vitesse. Dans la filière nucléaire, on scrute comme le lait sur le feu les attitudes et les inflexions des candidats déjà déclarés ou potentiels à la présidentielle de 2022.

Le nucléaire français fait face à un défi existentiel : il s’agit de décider si la France se lance dans la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR (réacteur à eau pressurisée européen) – comme celui en chantier depuis 2007 à Flamanville – ou si, au contraire, elle décide de ne plus investir et d’organiser une sortie du nucléaire à moyen terme. Le parc actuel de 56 réacteurs ne sera pas éternel, et plusieurs devront cesser de fonctionner en cascade à partir de 2040. Dès lors, la décision de lancer ou pas de nouveaux chantiers – qui peuvent durer entre dix et quinze ans – doit être prise rapidement et incombera au prochain président de la République.

Emmanuel Macron a reporté cette décision à l’après-2022, la renvoyant au moment où les travaux de l’EPR de Flamanville seront terminés – au mieux en 2023. Depuis son élection en 2017, le chef de l’État entretient un « en même temps » parfois confus sur le sujet énergétique. M. Macron est historiquement un partisan de l’énergie nucléaire. Il l’a rappelé en décembre 2020, en visitant la forge du Creusot en Saône-et-Loire, qui fabrique notamment des cuves de réacteurs. « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire », avait-il expliqué sans pour autant annoncer de décision sur la construction de nouveaux réacteurs.

Ambiguïtés de la majorité

Pour autant, depuis le début du quinquennat, trois des quatre ministres qui se sont succédé à la transition écologique, dont dépend le domaine de l’énergie, étaient critiques envers le nucléaire : Nicolas Hulot, François de Rugy et l’actuelle ministre Barbara Pompili. Élisabeth Borne était également sceptique quant à la nécessité de construire de nouveaux EPR. Et Emmanuel Macron a mis en œuvre la promesse de François Hollande de fermer la centrale de Fessenheim (Bas-Rhin).

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Une passe d’armes a illustré les ambiguïtés de la majorité. François Bayrou, allié du président de la République et haut-commissaire au Plan, a livré dans un document lapidaire fin mars un plaidoyer très favorable au nucléaire. « Il faut construire d’autres réacteurs, il n’y a pas d’autre solution », plaide le patron du MoDem.

Sur Twitter, la ministre Barbara Pompili s’est empressée de lui répondre vertement en lui soumettant les résultats des derniers travaux qui posent les bases techniques d’un scénario reposant sur 100 % d’énergies renouvelables. Cette étude du Réseau de transport d’électricité (RTE) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), rendue publique en janvier, avait suscité l’enthousiasme de la ministre, qui a qualifié sa publication de « moment copernicien », alors que Bercy et l’Élysée ont affiché un silence gêné.

Attente et enthousiasme

« Macron a le nucléaire honteux depuis le début du quinquennat, mais on espère que ça s’arrange », confiait récemment un haut dirigeant d’EDF. Les patrons de la filière ont tous salué les dernières sorties très pro-nucléaires du président de la République, mais ils attendent des actes, et observent avec enthousiasme l’arrivée de candidats plus explicites sur le sujet, au premier rang desquels Xavier Bertrand.

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Le président des Hauts-de-France n’a jamais caché sa préférence pour l’atome. Il est élu dans la région qui compte la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Gravelines (Nord), et a déjà fait acte de candidature pour la construction d’un réacteur EPR sur son territoire. « Je le dis sans ambages : je suis pro nucléaire », a redit récemment l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qui a rencontré plusieurs représentants syndicaux du secteur.

Dans le même temps, M. Bertrand mène depuis deux ans une campagne active de soutien aux opposants locaux à l’installation d’éoliennes, reprenant parfois sans mesure des approximations ou des informations fausses. Il a ainsi promis de s’opposer à toute installation de parcs éoliens dans les Hauts-de-France, ce qui ne relève pas de sa compétence, ou dénoncé l’absence d’emplois liés à l’éolien dans la région, qui en compte pourtant près de 1 800, un chiffre en constante progression.

Cette position est partagée par d’autres prétendants à droite, comme le sénateur Les Républicains (LR) de Vendée Bruno Retailleau ou le président d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Une autre possible candidate chez LR se fait plus discrète sur la question : Valérie Pécresse, la présidente de la région Ile-de-France. Comme la plupart des dirigeants de région, elle participe au financement des projets d’énergies renouvelables, et plaidait en 2018 pour que la région, qui importe 90 % de son électricité, « assume de sortir progressivement du nucléaire ».

Marine Le Pen, elle, a fait de la défense du nucléaire l’un des principaux piliers de sa politique en matière d’écologie. Une position sur laquelle la présidente du Rassemblement national (RN) assume d’avoir changé d’avis depuis 2012, lorsqu’elle dénonçait « les dangers » de l’atome.

Jusqu’en 2017, un consensus à gauche

À gauche, la question était relativement consensuelle en 2017 : les principaux candidats plaidaient pour une sortie du nucléaire. Jean-Luc Mélenchon n’a pas varié, et a même durci récemment sa position : invité au micro de France Inter, mi-mars, le chef de file de La France insoumise (LFI), candidat déclaré en 2022, a affirmé que les scénarios de sortie de l’atome évoqués n’étaient pas assez ambitieux. Il a plaidé pour une politique de réduction forte de la consommation d’électricité et une sortie du nucléaire d’ici à 2030 – un objectif unanimement jugé très difficile à tenir. D’autant que les pistes de solutions de remplacement suggérées sont imprécises : M. Mélenchon a évoqué l’énergie hydrolienne, une technologie très peu développée, ou l’énergie « thermique », sans préciser comment serait produite l’électricité.

Sa déclaration a provoqué l’ire des partisans du nucléaire. « Vous êtes une catastrophe naturelle… Si on a le temps, on passera couper votre compteur », a ainsi menacé le compte Twitter de la CGT de la centrale de Fessenheim, fermée en juin 2020. Un message immédiatement relayé par… Arnaud Montebourg, lui aussi possible candidat à la présidentielle. « Merci à la CGT ! Nous avons fermé la centrale nucléaire de Fessenheim pour acheter de l’électricité aux centrales à charbon allemandes. L’urgence, c’est l’extinction du charbon et du pétrole pour diminuer les émissions européennes de CO2. Et nous avons besoin du nucléaire pour cela », a twitté l’ancien ministre socialiste, qui reprend à son compte un raccourci caricatural sur le charbon allemand qu’affectionnent les milieux industriels alors que la France est largement exportatrice d’électricité.

Arnaud Montebourg a d’ailleurs défendu sa position pro nucléaire, lundi, lors d’un débat organisé par le site Reporterre avec le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle. Là où M. Montebourg a plaidé pour placer l’atome au cœur de la réindustrialisation française, M. Piolle, candidat à la candidature chez les écologistes, a estimé que « le nucléaire ne devait plus faire partie de la photo en 2050 ».

Montebourg a également signé en décembre un texte pour la protection du « patrimoine nucléaire français», aux côtés de plusieurs figures de droite, comme l’ancien président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, mais aussi de plusieurs élus communistes comme les députés Sébastien Jumel et André Chassaigne. Un appel relayé sur le site du PCF, qui n’a plus l’intention de masquer ses différences avec M. Mélenchon sur le sujet.

Les écologistes, eux, n’ont pas varié d’un pouce : l’eurodéputé d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot, ancien de Greenpeace, a assuré le 29 mars sur France Inter qu’il faudrait « une quinzaine d’années » pour sortir du nucléaire en France, compte tenu du retard pris dans le développement des énergies renouvelables et dans les économies d’énergie.

Au Parti socialiste, le premier secrétaire Olivier Faure maintient le flou et ménage ses possibles alliés écologistes… tout en reconnaissant sur France Info, en février, que le nucléaire peut être une « énergie de transition » – une expression qui fait sourire dans la filière, tant les investissements se décident sur plusieurs dizaines d’années. De quoi réchauffer l’ambiance autour de la table lors de l’éventuelle rencontre prévue entre les dirigeants de gauche, à l’initiative de Yannick Jadot, pour évoquer l’élection présidentielle de 2022.

Par Nabil Wakim, publié le 15 avril à 15h30, mis à jour à 19h58

Photo en titre : Macron, en visite à l’usine du chaudiériste nucléaire Framatome du Creusot (Saône-et-Loire), le 8 décembre 2020. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

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