Washington veut « construire une force plus létale » contre les menaces représentées par Pékin et Moscou.
Les États-Unis ont assuré, lundi 5 février, avoir respecté leurs obligations d’étape relatives à un accord de réduction des armes nucléaires conclu avec la Russie en 2010. Ce traité New Start, négocié par l’administration de Barack Obama, doit s’étendre jusqu’en 2020, mais rien ne dit que cet effort sera durablement prolongé. Le 2 février, le Pentagone a en effet publié une révision de la « posture nucléaire » des États-Unis, qui complète sa « Stratégie de défense nationale », publiée un mois plus tôt. Or, ces documents donnent le signal d’un effort de réarmement massif de la première puissance militaire au monde.
Les projets du ministère américain de la défense s’inscrivent dans la vision stratégique du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche détaillée en décembre 2017, qui rompt avec certains accents de campagne néo-isolationnistes de Donald Trump. Ces projets illustrent plus particulièrement le thème de « la paix par la force », qui constitue l’une des principales références du président en politique étrangère.
Dans un contexte instable, marqué par « l’affaiblissement de l’ordre international » favorable à Washington mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale, trois types d’adversaires sont identifiés. Tout d’abord, les puissances autoritaires chinoise et russe qualifiées de « révisionnistes » parce qu’elles œuvrent à cet affaiblissement ; ensuite les « État voyous » iranien et nord-coréen ; enfin, les entités non étatiques comme les groupes d’inspiration djihadiste. Présents sous la précédente administration, les dérèglements climatiques, alors considérés comme une menace pour les intérêts américains, ont disparu.
La lutte contre les acteurs non étatiques, à partir du 11-Septembre, a absorbé l’essentiel des moyens militaires et de la réflexion stratégique des États-Unis, progressivement réduite au contre-terrorisme. Toute l’énergie a été concentrée pendant près de deux décennies sur les théâtres d’opérations afghan, irakien et syrien, pour des résultats au mieux décevants. Pékin et Moscou ont mis à profit cette situation, selon Washington, pour s’engager dans un effort visant à réduire l’avantage comparatif des États-Unis en matière de défense. La volonté renouvelée de « construire une force plus létale » visant directement ces « rivaux » constitue donc le cœur des projets des militaires américains.
Élargir la gamme d’options crédibles
Là encore, le décalage est net avec le désir souvent exprimé par Donald Trump de « s’entendre » avec son homologue russe, Vladimir Poutine. La réaction de Moscou à la nouvelle « posture nucléaire » américaine a été sans nuances. « Dès la première lecture, le caractère belliqueux et antirusse de ce document saute aux yeux », a estimé le ministère des affaires étrangères dans un communiqué publié samedi.
L’ambition en la matière de Washington ne se limite pas, en effet, à la très coûteuse modernisation d’un arsenal nucléaire vieilli, déjà envisagée par Barack Obama. La mise à niveau de la triade (capacité de recours à l’arme atomique par les airs, les eaux et la terre), notamment par la mise à disposition de nouveaux missiles embarqués à bord de sous-marins ou de nouveaux bombardiers à longue portée, s’accompagne de la volonté de mettre à disposition du Pentagone des armes nucléaires nouvelles, d’ordre tactique, de faible puissance, terre-terre ou mer-terre.
Le Pentagone assure que ces nouvelles armes n’ont pour but que « d’élargir la gamme d’options crédibles des États-Unis pour répondre à une attaque stratégique nucléaire ou non nucléaire, et de renforcer la dissuasion en signalant aux adversaires potentiels » qu’un éventuel recours à des frappes nucléaires limitées « n’offre aucun avantage exploitable ». Cette formulation peut laisser entendre que le recours à ces armes pourrait être jugé légitime en cas de cyberattaques massives. Le rapport avance par ailleurs comme justification la modernisation par la Russie d’armes nucléaires tactiques qui échappent à la comptabilité des armes stratégiques, comme celles visées par le traité New Start.
« Peut-être qu’un jour, il y aura un moment magique où les pays du monde se rassembleront pour éliminer leurs armes nucléaires, a estimé Donald Trump dans son discours sur l’état de l’Union, le 30 janvier. Malheureusement, nous n’en sommes pas encore là. » Au cours de la même intervention, le président a demandé au Congrès de débloquer des moyens nécessaires pour cet effort de réarmement, qui est loin de se limiter à cette composante.
716 milliards de dollars
Onze jours plus tôt, en présentant sa stratégie, le secrétaire à la défense, James Mattis, avait insisté sur le fait que l’« avantage concurrentiel [des États-Unis] s’est érodé dans tous les domaines de la guerre, l’air, la terre, la mer, l’espace et le cyberespace, et il continue de s’éroder ». C’est pour répondre à cette érosion que la Maison Blanche envisage, pour l’exercice budgétaire 2019, un effort encore plus important que celui demandé pour 2018, et qui avait déjà frappé les esprits. Cette ambition s’est heurtée pour l’instant à l’immobilisme du Congrès, capable uniquement de reconduire les dépenses prévues dans le budget pour 2017.
Accédant aux demandes du Pentagone aux dépens des conservateurs fiscaux soucieux du niveau du déficit budgétaire – qui va encore se creuser du fait de la réforme fiscale adoptée en décembre –, Donald Trump a fixé le cap faramineux de 716 milliards de dollars, au lieu des 668 milliards prévus initialement pour 2018. Avec pour objectif à moyen terme, selon un expert des questions de défense ne souhaitant pas être identifié, de recreuser un écart qualitatif de vingt ans avec leurs principaux rivaux. Le budget américain dépasse en volume la somme de ceux des neuf autres pays qui consacrent le plus d’argent à leurs armées.
Walter Russel Mead, expert en géostratégie à l’Hudson Institute, un think tank conservateur installé à Washington, insiste sur la compatibilité des ambitions du Pentagone, des industriels et des poids lourds de la Silicon Valley qui leur sont associés, avec la sensibilité nationaliste qu’il qualifie de « jacksonienne » (du président Andrew Jackson, 1829-1837) exprimée par Donald Trump. « Les jacksoniens comme lui aiment la puissance, mais surtout pour ses qualités dissuasives », estime-t-il. Les diatribes présidentielles mettent en évidence une conception très extensive de la dissuasion.
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/02/06/washington-se-lance-dans-une-course-a-l-armement-face-a-moscou-et-pekin_5252275_3222.html
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