LA QUESTION DU STOCKAGE DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

Mardi 13 février s’est déroulé à Bar le Duc le procès de trois militants qui ont démonté un mur construit dans le bois pour le centre d’enfouissement de Bure (Cigéo). Ce mur a pourtant été construit illégalement. Surtout, l’enfouissement des déchets d’une durée de vie de plusieurs milliers d’années fait porter des risques considérables sur les générations futures. Je tiens donc à manifester mon soutien à ces militants et vous inviter à en faire de même.

J’aimerais également revenir à cette occasion sur les modalités de stockage des déchets nucléaires. Car, que l’on soit pour ou contre la poursuite du nucléaire, une réalité s’impose à nous : l’obligation d’organiser le stockage des déchets radioactifs, et de le penser sur le long terme. Ils représentent un danger très sérieux, du fait de leur degré de radioactivité et de leur durée de vie, pour nous, les générations à venir et tous les êtres vivants. Ce qui est proposé à Bure est un enfouissement en couche géologique profonde. La loi Bataille de 1991 propose une organisation des axes de la recherche en matière de stockage, mais c’est du côté de son application qu’il faut aller voir pour remettre en perspective un projet comme celui de Cigéo à Bure. La loi Bataille prévoyait l’implantation de plusieurs laboratoires de recherche souterrains, or le second site du Gard, prévu pour permettre des recherches dans le granite, n’a pas vu le jour. Le choix – par défaut – de l’argile à Bure est donc en soi aujourd’hui questionnable.

Mais surtout, si l’on s’inquiète de la responsabilité que nous avons vis-à-vis des générations à venir, le choix de l’enfouissement en site profond pose la question de l’effectivité de la réversibilité, et appelle notre attention sur un certain nombre de points :

La question d’un stockage sur le très long terme – plus d’une centaine de milliers d’années – ne permet pas d’exclure le risque sismique, même dans un milieu argileux relativement stable. Les données historiques recueillies jusqu’ici ne peuvent être extrapolées sur une centaine de milliers d’années sans faire courir un risque majeur à celles et ceux qui nous succéderont. Il faut encore ajouter à cela le risque de déstabilisation de la zone par les nombreux forages qui seront pratiqués jusqu’en 2156 pour achever les galeries.

Cette question du temps pose également celle de la pertinence scientifique à concevoir des stockages inaccessibles après qu’ils auront été définitivement scellés – a fortiori dans des lieux susceptibles de contaminer durablement l’environnement en cas d’accident. Du point de vue de la réflexion scientifique, prendre aujourd’hui la décision d’interdire toute intervention future semble à tout le moins hasardeux compte tenu des progrès possibles.

Parallèlement à cette question se pose également le problème de la signalisation du site : l’enfouissement des déchets nucléaires s’inscrit dans un temps géologique qui n’est pas le temps des sociétés humaines ; comment dès lors concevoir un moyen durable de rendre visible et compréhensible le danger de ce site pour les générations lointaines quand on sait la rapidité et d’évolution des langues et des systèmes d’écriture ?

Parmi les risques que nous pouvons d’ores et déjà mesurer, il y en a un qui est lié au milieu du stockage. Si l’argile est une roche imperméable, sa saturation en eau permet de prévoir qu’au contact de la radioactivité, elle produira des quantités importantes d’hydrogène. Cette réaction présente des risques considérables d’explosions ou d’incendies, et bien qu’un certain nombre de garanties aient été présentées, l’expérience internationale confirme qu’il n’existe pas, de ce point de vue, de risque zéro. En cas d’incident, le stockage en couches géologiques profondes questionne notre capacité à intervenir efficacement et exclut le recours exclusif à des robots. Le cas de Fukushima, pourtant en surface, démontre d’ailleurs déjà que les niveaux de radioactivité et de complexité d’accès ne permettent de confier toutes les tâches à des robots. La France a déjà connu un précédent en matière de stockage profond de déchets toxiques, avec l’exemple de StocaMine en Alsace. L’incendie de 2002, causé par une réaction chimique des produits entreposés, a montré que le stockage profond (près de 500 m) ne permettait pas une intervention rapide et efficace. Deux semaines ont été nécessaires pour maîtriser l’incendie, sans que l’on ait pu éviter la contamination des sols, qui entrainera à terme celle de la plus grande nappe phréatique d’Europe. Cette prise de risque à une échelle si grande n’est pas acceptable.

Si le stockage en surface ne saurait sans doute constituer une solution pérenne, l’urgence à agir est relative en comparaison de l’urgence à continuer les recherches : prévu pour ouvrir en 2030, Cigéo n’accueillerait ses premiers colis qu’en 2075. Nous nous apprêtons à trancher sur des sujets pour lesquels notre expertise scientifique n’a guère plus de soixante ans. L’absence de décision ne vaut pas absence d’action.

L’industrie nucléaire nous met dans l’obligation de gérer des conséquences que nous ne maîtrisons pas ; c’est particulièrement le cas avec la question des déchets qui en sont issus. De la même manière que le stockage des déchets hautement radioactifs dans une mine de sel d’Asse en Basse-Saxe semblait présenter aux ingénieur.e.s des années 1960 toutes les garanties nécessaires en matière de sûreté, les certitudes que nous pouvons avoir aujourd’hui concernant le site de Bure pourraient s’avérer catastrophiques si elles nous conduisaient à prendre des décisions irréversibles. Plus récemment, en février 2014, l’incendie qui s’est déclaré dans le centre de stockage profond de déchets nucléaires au Nouveau Mexique n’a pu être maitrisé qu’après deux mois compte tenu des conditions d’accès et de la haute radioactivité des colis. Les travaux de nettoyage et de remise en état du site ne se termineront pas avant 2021, pour un coût dépassant deux milliards de dollars, assumés par les contribuables des États-Unis.

D’une manière générale, les solutions technologiques promises par l’industrie nucléaire à ses débuts tardent à voir le jour. Aujourd’hui, la quasi-totalité de la recherche sur les déchets est consacrée à l’enfouissement, quand il faudrait développer des solutions permettant de s’en débarrasser et de ne plus les léguer aux générations futures. Or des solutions alternatives à Cigéo existent ou existeront. La plus aboutie consiste à assurer un stockage sec en surface pour les déchets existants, tandis que seraient poursuivies les recherches en matière de stockage, conformément à la loi Bataille de 1991. Le fait que nous ne disposions pas aujourd’hui du savoir-faire nécessaire pour réduire la radioactivité des déchets nucléaires ne constitue pas une raison suffisante pour interdire aux générations futures de s’y essayer.

Ceci démontre qu’il est urgent de ne plus produire des déchets qu’on ne sait pas gérer et qu’il faut donc accélérer la sortie progressive mais continue du nucléaire.

https://blogs.mediapart.fr/barbara-romagnan/blog/140218/la-question-du-stockage-des-dechets-nucleaires

Article rédigé par Barbara Romagnan