POLLUTION : Les capacités de stockage du combustible usagé arrivant à saturation, EDF et l’Autorité de sûreté nucléaire planchent sur l’opportunité de construire un nouveau bassin en France. Les discussions seraient plus avancées que veut le faire croire l’énergéticien.
EDF voulait rester discrète sur ce dossier. C’est raté. Reporterre a publié ce mardi le premier volet d’une enquête sur les réflexions en cours entre EDF, gestionnaire du parc nucléaire français, et l’ Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en vue de construire un nouveau bassin de stockage centralisé de combustibles usés en France. Selon les informations du magazine, c’est la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, dans le Cher, qui hériterait de ce site hautement sensible.
Ce combustible usé est la matière radioactive qui reste sur les bras de l’industrie nucléaire après utilisation dans le réacteur. Le parc nucléaire français – 58 réacteurs répartis dans 19 centrales- en produit chaque année 1.200 tonnes. Hautement radioactif et dégageant une forte chaleur, ce combustible usé est d’abord plongé dans plusieurs mètres d’eau, pendant deux à trois ans, dans des bassins de stockage au sein même de la centrale nucléaire où ils ont été produits. « Chaque réacteur a sa piscine », précise Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace.
Des capacités de stockage qui arrivent à saturation
C’est une première étape. Ces combustibles usés prennent ensuite la direction du centre de retraitement des déchets radioactifs d’Orano (ex-Areva), à La Hague (Manche) où ils sont aussitôt plongés dans un nouveau bassin pour trois à quatre nouvelles années. Ce n’est qu’ensuite qu’ils pourront être retraités.
Depuis 40 ans, les déchets des 58 réacteurs nucléaires français viennent ainsi poursuivre leur refroidissement à la Hague. Le hic, c’est que les bassins de refroidissement existant- les trois d’Areva à La Hague comme ceux de chaque réacteur EDF- arrivent à saturation. Le dilemme est connu et « pas caché », se défend EDF contacté par 20 Minutes. « Dans son dernier plan national de gestion des déchets radioactifs [rendu public en février 2017], l’ASN nous demande de réfléchir à de nouvelles modalités d’entreposage pour 2025-2035, horizon pour lequel le site de La Hague ne suffira plus forcément », explique l’énergéticien. Plus précisément, EDF devait remettre avant le 30 juin dernier un dossier présentant ses options techniques et de sûretés retenues pour la création d’une nouvelle piscine. L’échéance a été respectée et « le dossier est actuellement en phase d’instruction », précise ce mardi l’ASN. Nous rendrons un premier avis début 2019. »
Des discussions bien plus avancées que ne le dit EDF ?
Mais que contient ce fameux dossier ? L’ASN et EDF le disent encore très général. « Aucun site n’aurait encore été arrêté pour accueillir cette future piscine », assure l’énergéticien qui dit « avoir plusieurs pistes parmi ses 19 centrales nucléaires ». De son côté, Reporterre dit les discussions bien plus avancées. À Belleville-sur-Loire, il s’agirait de construire une piscine capable d’accueillir entre 6.000 et 8.000 tonnes de métal lourd irradié et accueillerait en priorité du Mox usé (« mélanges d’oxydes », un mélange d’uranium et de plutonium) « particulièrement dangereux à cause de sa radioactivité et de la chaleur très vive qu’il dégage pendant de nombreuses années ».
Yannick Rousselet confirme : « les regards se sont très vite tournés vers la centrale de Belleville-sur-Loire. Il y a de la place et elle répond au cahier des charges établi par l’ASN qui voulait une centrale géographiquement au centre de la France et raccordée au réseau ferroviaire pour éviter le transport de la matière radioactive par camion, jugé peu sûr. » Yves Marignac, directeur de l’agence sur l’information sur le nucléaire Wise-Paris dit aussi tenir de la part d’acteurs instruisant le dossier que « la réflexion se concentre sur Belleville-sur-Loire ». Pour les deux hommes également, ce nouvel équipement recevrait en priorité les combustibles Mox usés.
Une croix sur le retraitement du mox usé ?
Le projet nécessiterait alors, d’ores et déjà « un vrai débat public national », estime Yves Marignac, qui soupçonne EDF d’entretenir une opacité dans ce dossier pour retarder le plus possible la consultation du public.
L’enjeu porte déjà sur la vocation donnée à ce futur bassin : Faut-il y faire converger le mox usé généré par l’ensemble du parc nucléaire français ? Soit 150 tonnes chaque année évalue Yannick Rousselet. À ce jour, ce combustible n’est pas retraité après utilisation. « Le plutonium qu’il contient est jugé de trop faible qualité, explique Yves Marignac. Ils sont donc gardés en réserve avec la promesse faite, notamment par EDF, que le plutonium qu’il contient pourra servir un jour à alimenter des réacteurs de quatrième génération que prépare le CEA (Commissariat à l’énergie atomique). » C’est le projet Astrid. Or celui-ci patine par manque de financement, indiquaient encore fin janvier Les Échos.
« La piscine n’est pas la seule option »
Un nouveau bassin de stockage dédié prioritairement à recevoir le mox usé, au centre de la France, loin donc du centre de retraitement de la Hague, sous-entendrait que la filière nucléaire française a abandonné toute idée de retraiter un jour ce combustible. Celui-ci, hautement radioactif, serait alors entreposé pour une très longue période dans cette nouvelle piscine, à Belleville-sur-Loire ou ailleurs, « sachant que le délai avant de pouvoir mettre du mox usé dans un site de stockage définitif [type Cigeo à Bure] est de l’ordre de 150 ans », rappelle Yves Marignac.
Mais avant même le choix du site, Yves Marignac comme Yannick Rousselet posent la question de l’opportunité de construire une nouvelle piscine à combustible. Le 10 octobre dernier, Greenpeace avait déjà pointé du doigt la fragilité de ces installations, notamment face à une attaque terroriste. « Nous privilégions bien plus l’entreposage à sec, indique Yannick Rousselet. Les déchets sont mis dans des containers mais au lieu d’être plongé dans une piscine, ils sont entreposés dans des bunkers en surface ou en sub-surface [à faible profondeur]. Ce système à sec permet une gestion passive des combustibles usés tandis que la solution du bassin nécessite d’être alimenté en eau en permanence. » EDF connaît cette solution, puisque Framatome, ex-filiale d’Areva passé sous son giron, conçoit ce type de containers. « Elle a gagné plusieurs marchés aux États-Unis, poursuit Yannick Rousselet. La majorité des pays nucléarisés ont opté pour cette solution. »
https://www.20minutes.fr/planete/2220411-20180214-pourquoi-projet-nouvelle-piscine-geante-dechets-nucleaires-pose-question
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