DE BURE À BELLEVILLE-SUR-LOIRE, LA MOBILISATION CONTRE LES DÉCHETS NUCLÉAIRES S’ÉLARGIT

Fin avril, près d’une centaine de personnes se sont mobilisées contre le projet de piscine géante d’entreposage de combustible radioactif à Belleville-sur-Loire. De Bure à La Hague, la prise de conscience autour des déchets nucléaires progresse, et la lutte s’élargit.

Belleville-sur-Loire (Cher), reportage

Le 1er mai 2018, alors que les cortèges syndicaux défilaient dans les villes, à Belleville-sur-Loire (Cher), la contestation s’est prolongée près de la centrale nucléaire, où les deux réacteurs crachent leur fumée en continu dans l’azur. Au bord de l’étang creusé en contrebas — la baignade y est déconseillée, mais les pêcheurs nombreux —, une petite centaine de personnes s’est regroupée pour une « kermesse » antinucléaire concluant le week-end « Tchernoville-sur-Loire ». Quatre jours de conférences, déambulation clownesque, repas partagés, pour affirmer l’opposition au projet de construction d’une piscine géante d’entreposage de combustible irradié, révélé par Reporterre en février dernier.

La nouvelle piscine géante pourrait accueillir 6.000 à 8.000 tonnes de combustible irradié et servirait à désengorger le site de La Hague (Manche), qui arriverait à saturation en 2025. Préparé depuis plusieurs années à la demande de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et du Plan national de gestion des matières radioactives, le projet était resté secret. Deux mois après sa révélation, la contestation se met en place.

« Là, ça touche à l’image de la région » 

Catherine Fumé, coprésidente de Sortir du nucléaire Berry-Giennois-Puisaye, coorganisatrice de « Tchernoville », y voit un premier succès : « Depuis des années, on n’était que vingt à agiter nos tracts ! » Les élus aussi se manifestent : « Ils ont été les premiers à se faire graisser la patte pour accepter les autres centrales de la région, malgré toutes leurs défaillances. Mais là, ça touche à l’image de la région », explique-t-elle. Dès le lendemain des révélations, François Bonneau, le président du conseil régional du Centre-Val de Loire, a annoncé qu’il s’opposait au projet et inciterait d’autres élus à montrer « leur totale opposition ». Peu de temps après, le conseil régional a suivi, ainsi que d’autres élus locaux, comme les maires de Beaulieu ou de Bonny-sur-Loire.

Une pétition regroupant 4.000 personnes a été lancée par le groupe EELV-Centre-Val de Loire. Deux collectifs de riverains se sont créés pour s’y opposer — ADNB dans la Nièvre et Vivons notre Loire dans le Sancerrois. « Au début, il y avait un côté “pas dans mon jardin”, maintenant, beaucoup pensentni ici, ni ailleurset remettent en question le nucléaire », explique Émilie, fondatrice d’ADNB.

Face à ces premiers refus, EDF est sorti de son silence le 28 mars à Paris lors de la première réunion de présentation officielle du projet à l’initiative de l’IRSN et de l’ASN, qui regroupait des membres de la société civile et des CLI (commissions locales d’information). Affirmant que le choix final du site n’était pas encore fait. « EDF a annoncé que la sélection du lieu interviendrait dans un deuxième temps, après validation du projet généraliste et du dossier d’option de sûreté par l’IRSN », dit Catherine Fumé.

Ce flou de communication ne rassure pas Irène [*], la cinquantaine, installée à 5 km de la centrale de Belleville depuis plus d’une vingtaine d’années, qui participe pour la première fois à un rassemblement antinucléaire. « On a fait construire notre maison à côté de la centrale sans savoir. J’en ai fait des cauchemars pendant des années », témoigne-t-elle. L’annonce de la méga-piscine est pour elle un déclic. « Maintenant, j’ai des enfants, des petits-enfants, et ils veulent mettre les déchets juste à côté : comment avoir l’information ? Comment se mobiliser ? » Erwan [*], lui, est mécanicien robinetier depuis 7 ans à la centrale nucléaire de Belleville — « mais je suis antinucléaire, c’est juste pour nourrir ma famille », explique-t-il. Venu aussi pour la première fois, il souhaite dénoncer, sous pseudonyme, ce projet de piscine qui, selon lui, « ne tient pas debout si on ne sait pas quoi faire, ensuite, des combustibles entreposés ».

Ils sont loin d’être les seuls à s’inquiéter. Le 21 avril, 300 personnes ont assisté à une première réunion d’information animée par Bernard Laponche, dans le petit village de Boulleret, à 10 km de la centrale de Belleville. Catherine veut y voir le signe d’une « vague montante de prise de conscience sur cette question. Les déchets débordent de partout et viennent taper à la porte des gens ! Quand on tracte, les gens disent : “Les déchets nucléaires ? Ah oui, c’est comme à Bure.” C’est très nouveau ! »

« Il y a un renouvellement générationnel qui redonne de l’énergie au mouvement antinucléaire » 

Pour les militants, les deux projets font système. Dominique Boutin, de Sortir du nucléaire Tours, estime que la piscine de Belleville serait une antichambre du projet d’enfouissement de déchets ultimes Cigéo : « Un stockage intermédiaire pour désengorger La Hague en attendant que la poubelle de Bure soit opérationnelle d’ici 2080-2090. Mais si Cigéo ne se fait pas, que faire de ces déchets qui s’accumulent ? » Selon lui, la méga-piscine, pas encore sortie de ses cartons, pourrait même faire des petits très vite : « EDF a environ 20.000 tonnes de combustibles irradiés, issus du Mox et des autres filières, qu’ils prétendent retraiter un jour, mais dont ils ne savent pas quoi faire en réalité. Il faudra sans doute s’attendre à 3 ou 4 piscines du même type. »

Pour Gwen, impliqué dans le comité de soutien à Bure de la Puisaye, « la méga-piscine de Belleville est un nouvel exemple concret du problème des déchets sur lequel l’industrie n’a jamais eu aucune solution, à Bure comme ailleurs ». L’organisation du week-end a été portée par la vague qui a suivi l’expulsion du bois Lejuc à Bure le 22 février — 70 rassemblements, dont 6 dans le Centre, et une cinquantaine de comités de soutien créés. Des membres des comités Bure de Blois, de la Puisaye, du Morvan, de Tours, de l’Allier, du Centre et mêmes des « hiboux » de Bure se sont ainsi impliqués pour faire vivre « Tchernoville »« TomBur’la » de solidarité contre la répression, animations, déambulations…

Sylvie [*], la trentaine, est descendue de Bure spécialement pour participer : « Ce qui se joue en ce moment, avec le projet à Belleville et la dynamique des comités, peut élargir la lutte, alors que l’État a toujours voulu cantonner au plan local ses projets de gestion de déchets. » En se rencontrant au niveau régional, les groupes Sortir du nucléaire (SDN) et les comités apprennent à mieux se connaître et préparent leurs futures actions. « On met tout en place pour que le jour où ils posent la demande d’autorisation de chantier, si on n’est pas écouté, ça se mobilise très fort ! J’ai 60 ans, j’ai fait de l’action légale toute ma vie, mais le contexte global de déni de démocratie, à la Zad, sur les étudiants, les migrants, les cheminots, conduit à d’autres formes de lutte. Il y a un renouvellement générationnel qui redonne de l’énergie au mouvement antinucléaire ! » explique vivement Catherine Fumé. La mobilisation ne fait donc que commencer. Après la kermesse, un camp de rencontres, porté par le « comité central de Bure », va donc s’installer pendant 3 semaines et « construire des outils pour renforcer et populariser la lutte antinucléaire ».

Catherine Fumé, administratrice de SDN Berry-Giennois-Puisaye, participera jeudi 24 mai à la Rencontre de Reporterre : « Des déchets nucléaires aux luttes sociales, on ne nous atomisera pas ! »

https://reporterre.net/De-Bure-a-Belleville-sur-Loire-la-mobilisation-contre-les-dechets-nucleaires-s