Pascal Canfin n’a pas été nommé ministre de la Transition Énergétique, mais ce proche de Nicolas Hulot enfonce le clou sur le nucléaire. Pour lui, c’est sûr, il faut en sortir.
Son nom a circulé tout le week-end parmi les favoris à la succession de Nicolas Hulot au poste de ministre de la Transition écologique. C’est finalement François de Rugy qui y a été nommé. Pascal Canfin reste finalement directeur général de WWF France, l’une des plus grosses ONG écologistes mondiales. À ce titre, l’ex-ministre délégué au développement de François Hollande propose une solution radicale pour sauver le soldat EDF : en finir avec le tout nucléaire au profit du renouvelable.
Que vous inspire la nomination de François de Rugy au ministère de l’Écologie ?
PASCAL CANFIN. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si le gouvernement va ou non tirer les leçons de la démission de Nicolas Hulot, et comprendre enfin qu’il faut véritablement changer d’échelle en matière de transition écologique. C’est le seul moyen d’éviter la catastrophe climatique que les scientifiques prédisent, et mener à bien la réduction de la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables.
Nicolas Hulot semble avoir perdu ses arbitrages sur la baisse de la part du nucléaire. François de Rugy peut-il de son côté réussir ?
Sur un tel sujet, ce n’est pas une décision qui est prise par le ministre de l’Environnement, mais par le Premier ministre et le président de la République. Hulot était en train de se battre sur un calendrier. Il voulait obtenir la fermeture d’un peu plus d’un réacteur par an, soit 16 réacteurs entre 2022 et 2035. Et évidemment ne pas lancer la construction de nouveaux EPR. Je ne peux pas imaginer que François de Rugy soit en dessous de cette position.
Un rapport commandé par le ministre de l’Économie préconise pourtant la construction de nouveaux EPR en France…
Ce serait un suicide industriel. D’ailleurs, une partie très significative des salariés de l’entreprise, y compris au sein de la direction, considère qu’il faut absolument se diversifier. Emmanuel Macron lui-même, qui était pourtant historiquement plutôt favorable au nucléaire, constate aujourd’hui que l’on n’est toujours pas capable de construire correctement un EPR à Flamanville. Le projet a considérablement dérapé en termes de délais et de coût pour le contribuable.
Dans l’étude que vous publiez (lire en dessous de l’interview), vous suggérez même qu’EDF sorte du tout nucléaire…
Nous nous sommes appuyés sur des analyses et expertises qui viennent entre autres d’EDF. La stratégie consistant à mettre tous ses œufs dans le même panier est rarement la bonne. Par ailleurs, quand on regarde la situation financière d’EDF, on voit bien que si le nucléaire était une si bonne affaire que ça, EDF aurait gagné des milliards d’euros. La réalité est toute autre.
Cela fait onze ans que l’entreprise ne dégage pas assez d’argent pour rembourser ses dettes. EDF vendrait des carottes ou des choux-fleurs, elle aurait fait faillite depuis longtemps. Mais comme c’est une entreprise stratégique, l’État vient régulièrement remettre au pot. Résultat, EDF est en permanence sous perfusion de l’État. Et sa situation financière se trouve aujourd’hui dans une impasse.
Vous préconisez pourtant de la soutenir financièrement encore davantage. Les contribuables n’ont-ils pas déjà suffisamment payé ?
Malheureusement, la situation est tellement dégradée qu’il sera très difficile pour l’État de ne pas intervenir du tout. En revanche, il serait totalement absurde de colmater les brèches sans remettre en cause ce qui les a ouvertes.
Au moment de son départ, Nicolas Hulot a parlé du poids des lobbys dans les politiques gouvernementales. Est-ce l’État a le pouvoir de faire infléchir EDF, qui reste l’un des plus gros lobbies de France ?
Il est évident qu’EDF est un État dans l’État. Nicolas Hulot s’y est confronté quasiment chaque jour. Mais la réalité d’EDF est que cette entreprise est fracturée en son sein. Nous avons discuté avec des acteurs à l’intérieur du groupe qui nous disent qu’un scénario où on repousserait en permanence la diversification de l’entreprise serait un scénario suicidaire. On est à un moment où la position historique d’EDF est suffisamment remise en cause en interne pour que le gouvernement en tire les leçons.
Vous suggérez d’arrêter 23 réacteurs d’ici à 2030. Problème, 10 000 salariés d’EDF, ainsi que 18 000 sous-traitants, pourraient être directement impactés. Ne va-t-on pas vers une catastrophe sociale ?
Elle peut être évitée si EDF met en route sa propre transition vers le renouvelable. Cela permettrait de rediriger ces mêmes personnes vers de nouveaux emplois. Prenez une entreprise comme Engie. Elle a désinvesti 15 milliards d’euros dans les énergies fossiles pour les réinvestir dans les énergies vertes. Pourquoi EDF ne serait pas en capacité de mener à bien sa propre transition elle aussi ?
Qu’avez-vous pensé de la démission de Nicolas Hulot ?
Évidemment je fais partie des personnes qui ont regretté son départ. Mais il a pris sa décision et on ne va pas refaire l’histoire. Les positions qu’il défendait étaient loin d’être extrêmes. C’était des compromis, conformes à l’intérêt de l’environnement, celui des Français, et même celui d’EDF.
Et vous, vous a-t-on proposé son poste ?
C’est normal que vous posiez la question. Mais je ne suis pas obligé d’y répondre (rires). J’ai eu évidemment des échanges avec Emmanuel Macron et le Premier ministre sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (NDLR : PPE), sur le nucléaire, ainsi que sur bien d’autres sujets. J’espère que ces échanges seront utiles à la prise de certaines décisions dans les prochaines semaines.
ET SI EDF SORTAIT DU «TOUT NUCLÉAIRE» POUR SURVIVRE
Il faut sauver le soldat EDF. Dans un rapport qu’elle publie ce jeudi, et que nous avons pu consulter en exclusivité, l’antenne française de WWF, dont Pascal Canfin est le président, donne ses solutions pour détourner l’électricien français du mur dans lequel il serait en train de se précipiter. Que préconise-t-elle ?
Qu’EDF engage elle aussi, et le plus rapidement possible, sa propre transition énergétique. Soit : une réduction de la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables. Un scénario pas au goût de la direction d’EDF. Il y a encore deux ans, celle-ci n’hésitait pas à affirmer qu’elle construirait une trentaine de nouveaux EPR en France.
Une dette abyssale pour EDF
Depuis, elle a revu ses ambitions à la baisse, mais milite toujours pour la construction dans l’Hexagone de nouveaux réacteurs. L’enjeu est considérable. Car, comme le souligne le rapport dans son introduction : « EDF n’est pas une entreprise comme les autres. » « Premier producteur d’électricité en Europe », sa chute pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur l’ensemble du secteur de l’énergie. Et par effet boule de neige, sur toute l’industrie et l’économie du pays.
Or, tous les voyants sont au rouge. EDF fait en effet face à une dette abyssale (43 milliards d’euros), conséquence d’investissements hasardeux à l’étranger, et d’un parc nucléaire (58 réacteurs, dans 19 centrales) vieillissant. L’entreprise doit également affronter un mur d’investissement vertigineux (estimé à 150 milliards d’euros pour les dix années à venir).
Un soutien de l’État… et du contribuable
Le tout s’inscrivant dans un contexte global compliqué, marqué par des prix du marché de gros de l’électricité en chute. De 60 euros le mégawattheure (€/MWh) en 2009, ils sont passés sous de la barre des 35 €/MWh en 2017. Une fatalité ? Pas forcément, répond le rapport, qui propose là encore des solutions concrètes. À commencer par une grande campagne de cessions d’actifs.
À l’image des 49,9 % de RTE, sa filiale de transport de l’électricité, vendus l’année dernière à la Caisse des dépôts et à CNP Assurances. Dans la ligne de mire du rapport : une partie d’Énedis (sa filiale distribution), mais également la branche nucléaire britannique, la filiale italienne Edison ou encore de plus petites entités comme Dalkia. Seul problème : une telle vente des bijoux de famille est nécessaire, mais pas suffisante, au vu de la situation économique de l’entreprise.
« Se posera la question du soutien de l’État », avance donc le rapport. Et donc des contribuables que nous sommes. « Ce soutien financier supplémentaire devra impérativement être conditionné à un engagement total du groupe dans la transition énergétique du pays. » Traduction : ok pour mettre au pot, mais à la condition d’un réel engagement dans le renouvelable. Un bouleversement culturel qu’EDF sera bien obligé, tôt ou tard, d’affronter.
Propos recueillis par Erwan Benezet ( @erwanbenezet) et Frédéric Mouchon (@fmouchon1)| le 05 septembre 2018, 23h05 |
http://www.leparisien.fr/economie/pascal-canfin-si-le-nucleaire-etait-une-si-bonne-affaire-edf-aurait-gagne-des-milliards-05-09-2018-7877814.php
Mots
Commentaires récents