Depuis 2010, une loi reconnait l’existence de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie. L’utilisation de cobayes n’est pas avérée mais des militaires ont effectué des opérations en milieu contaminé.
Question posée par Poulain le 27/08/2018
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question d’origine qui était : «est-il vrai que des humains ont été exposés volontairement aux radiations lors des essais nucléaires sur le sol algérien pendant l’occupation française?»
Entre 1960 et 1998, la France a effectué 210 essais de bombes nucléaires, 17 en Algérie (entre 1960 et 1966) et 193 en Polynésie française (de 1966 à 1996). Des personnes ont été exposées à des irradiations durant ces essais, même si la France a mis du temps à le reconnaître.
Depuis 2010, une loi <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000021628025&dateTexte=20180830> ouvre la possibilité d’une indemnisation pour les personnes présentes sur les lieux à l’époque des essais et atteints d’une des maladies radio-induites listées dans le décret 2014-1049 <https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/9/15/PRMX1409236D/jo/texte> .
Selon le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français (Civen), 1310 demandes d’indemnisation ont été déposées au 25 mai 2018 (1092 émanant de métropolitains; 44 d’Algériens et 169 de Polynésiens). Sur ce total, 130 indemnisations ont été versées et 75 expertises sont en cours de réalisation.
Une reconnaissance obtenue de haute lutte
La reconnaissance du statut de victime du nucléaire pour les malades a été obtenue de haute lutte. Dès le milieu des années 90 une association est montée et une procédure entamée contre l’État. Ils sont accompagnés par le travail <http://www.obsarm.org/spip.php?article173> de Bruno Barrillot, ancien prêtre et fondateur de l’observatoire de l’armement < http://obsarm.org/ > .
En 2001 les associations des vétérans des essais nucléaires (Aven < http://www.aven.org/ > ) et Moruroa e Tatou sont créées pour rassembler les victimes. La même année, le rapport <http://www.assemblee-nationale.fr/rap-oecst/essais_nucleaires/i3571.asp> du député Christian Bataille et du sénateur Henri Revol affirme que :
«Ces essais ne se sont pas réalisés sans altérer l’environnement des sites utilisés et sans prendre des risques humains. On peut toutefois considérer que ces effets ont été limités, même si, quarante ans plus tard, des hommes se plaignent d’hypothétiques effets sur leur santé».
Le 5 janvier 2010, la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français est votée.
Mais la partie n’est pas gagnée. En 2013, selon le documentaire de France Culture <https://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks-14-15/champ-libre-34-essais-nucleaires-francais-la-course-lindemnisation> «la course à l’indemnisation», sur 700 dossiers déposés seuls neuf ont obtenu une réponse positive.
La raison ? L’article 4 de la loi qui prévoit que «l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable». Une rédaction – alambiquée — qui permet au comité de refuser beaucoup de dossiers.
Cet article sera modifié en 2017 et le nombre de dossiers acceptés commence à augmenter. Par ailleurs, la nouvelle écriture de la loi «prescrit le réexamen de l’ensemble des demandes qui ont été rejetées sur le critère du risque négligeable», explique Philippe Tardy, directeur du Civen.
Comment expliquer ces expositions ? Étaient-elles volontaires ? Votre question porte sur l’Algérie, mais il faut garder en tête que la Polynésie a été exposée à beaucoup plus d’essais pendant beaucoup plus longtemps.
Des essais atmosphériques et souterrains
En Algérie (comme en Polynésie), près d’un quart des essais ont été réalisés dans l’atmosphère. La bombe pouvait être au sol ou sur une tour de 100 mètres de haut.
Les retombées d’un tel test dépendent des caprices de la météo. En 2014, Le Parisien publie une carte des retombées du test Gerboise bleue du 13 février 1960. Dès le lendemain de l’explosion, les retombées ont traversé le Niger et atteint N’Djamena au Tchad.
Les avocates représentantes de certaines victimes parlent de «d’irresponsabilité manifeste» pour Aïda Moumni et de «négligence coupable» pour Cécile Labrunie.
En effet, les conditions d’exercice des essais n’étaient pas maîtrisées. L’accident lors du test Béryl, le deuxième essai souterrain, a été largement documenté <http://www.liberation.fr/planete/2014/12/25/pour-les-irradies-du-sahara_1170090> , notamment par un témoin, Louis Bulidon <http://www.editionsthaddee.com/livres_3_irradies.html> . Il faut imaginer la scène : la montagne qui s’ébranle, qui devient blanche et puis le nuage qui se dirige droit vers le poste d’observation où deux ministres, Pierre Messmer et Gaston Palewski étaient venus assister au spectacle. Au final, c’est tout le camp de base qui sera exposé ce jour-là.
Manœuvres militaires et tests non maîtrisé
Au-delà des répercussions «accidentelles», Jean-Luc Sans, président de l’Aven, rappelle qu’«il y a eu des expositions volontaires des unités combattantes à qui on a demandé de manœuvrer dans la zone contaminée peu après l’explosion». L’affaire est sortie deux fois dans la presse < http://secretdefense.blogs.liberation.fr/2010/02/16/essais-nucleaires-gerboise-verte-la-bombe-et-le-scoop-qui-font-plouf/ > en 1998 dans le Nouvel Observateur et en 2010 dans le Parisien.
Le ministère de la Défense a justifié officiellement <http://www.criirad.org/actualites/dossier2010/algerie/SAHARA.pdf> ces opérations en 2007 :
«En pleine «guerre froide», le risque d’un conflit nucléaire généralisé étant prégnant, des exercices militaires en ambiance «post-explosion» ont été réalisés. Ces exercices étaient constitués de reconnaissances d’itinéraires en milieu contaminé avec des hélicoptères guidant des blindés, des mouvements de fantassins munis de tous leurs équipements de protection ainsi que des essais de décontamination de matériel en campagne».
Des mannequins pris pour des cobayes
L’emploi du mot «volontairement» dans votre question renvoi peut-être aussi à l’affaire des 150 prisonniers. Une rumeur circule selon laquelle la France se serait servie de 150 prisonniers de guerre comme cobayes lors d’un essai nucléaire.
Cette histoire se base sur deux éléments sur lesquels ont enquêté Farid Abdelouahab, Pierre Haski et Pascal Blanchard dans le Nouvel Observateur <https://www.nouvelobs.com/histoire/20180320.OBS3880/reggane-1960-comment-une-photo-ambigue-est-devenue-l-icone-d-un-crime-de-la-france.html> .
Premier élément, la photo. Lors des tests atmosphériques, «des mannequins, des matériels et des animaux ont été exposés à l’explosion» afin d’étudier les effets de celle-ci, confirme le ministère de la Défense. La photo de ces mannequins attachés sur des poteaux à différentes distances du site de l’explosion, est souvent réinterprétée comme une photo de corps humains et non de mannequins. «Cela ne tient pas, explique Pascal Blanchard, historien au CNRS. D’autres photos du même jour sont disponibles dans les archives et il ne fait aucun doute qu’il s’agisse bien de mannequins».
Deuxième élément le témoignage d’un légionnaire qui aurait participé au regroupement de 150 prisonniers en vue des tests. «René Vautier a obtenu ce témoignage de seconde main et il n’a jamais été confirmé», tempère Pascal Blanchard.
Dernier clou sur le cercueil de la rumeur, le regroupement de prisonniers aurait eu lieu (s’il a bien eu lieu) en mars 1960 quand la photo date de décembre de la même année.
En 2007, lors d’un article sur le sujet, Le Figaro <http://www.lefigaro.fr/international/2007/02/14/01003-20070214ARTFIG90220-alger_s_indigne_des_ravages_de_la_bombe_atomique_francaise.php> obtient une réponse surprenante de la part du porte-parole du ministère de la Défense :
«Il n’y a jamais eu d’exposition délibérée des populations locales», assure Jean-François Bureau, le porte-parole du ministère de la Défense. Il s’agit, selon lui, d’une légende entretenue par la photo d’une dépouille irradiée exposée dans un musée d’Alger. «Seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe», ajoute-t-il.
Sollicité par CheckNews, le même ministère joue l’amnésie : «Contacté ce jour, soit 11 ans après l’article cité, M. Jean-François Bureau ne garde pas le souvenir de tels propos. Seuls des mannequins, des matériels et des animaux ont été exposés à l’explosion.»
La conclusion revient à Pascal Blanchard : «J’ai la conviction que si l’histoire était vraie, des preuves seraient sorties aujourd’hui. Le sujet a été très travaillé en Algérie. L’utilisation de cadavres reste possible mais nous manquons là encore de preuves. Par contre, on peut dire que peu de précautions ont été prises pour la protection des populations locales.»
De 1960 à 1996 et de l’Algérie à la Polynésie, l’observatoire des armements «estime que sur l’ensemble de la période, la France a sciemment exposé aux radiations entre 150 000 et 200 000 personnes (civils, militaires, population locale) sans l’accompagnement nécessaire étant donné le risque encouru».
En résumé : Les essais nucléaires français ont entraîné des expositions non maîtrisées de personnels civils et militaires. Des manœuvres militaires sur des sites contaminés ont été menées. Malgré les rumeurs, il n’existe pas de preuves d’une utilisation de cobayes humains.
Cordialement.
Olivier Monod <http://www.liberation.fr/auteur/18637-olivier-monod>
http://www.liberation.fr/checknews/2018/09/05/la-france-a-t-elle-volontairement-expose-des-personnes-aux-radiations-lors-des-essais-nucleaires-sur_1674973
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