L’« EFFET FALAISE », OU POURQUOI IL FAUT PRÉPARER DES FERMETURES DE CENTRALES NUCLÉAIRES

Le parc français vieillit et la production d’électricité nucléaire baissera vite.

Le nucléaire est-il au bord de la falaise ? Le parc de centrales se trouve dans une situation inédite : dès 2018, certains réacteurs vont dépasser l’âge de 40 ans – la durée de vie imaginée à l’origine lors de la construction. Dans ses scénarios, EDF espère obtenir de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une prolongation supplémentaire d’activité pour atteindre 50 ans, voire 60 ans. Ce débat est en cours dans plusieurs pays. Aux États-Unis, l’autorité de sûreté examine même la possibilité d’autoriser certains réacteurs à fonctionner pendant 80 ans !

Mais le parc français, outre son âge, a une spécificité importante : il a été construit avec une rapidité incroyable. Entre 1977 et 1999, pas moins de cinquante-huit réacteurs sont raccordés au réseau. En 1980, huit réacteurs sont mis en service simultanément, et sept l’année suivante ! Une majorité de ces démarrages a lieu entre 1980 et 1990.

À l’époque, le plan lancé par l’État et EDF ne se préoccupe pas de ce qui se passera ensuite : dans la France giscardo-mitterrandienne du commissariat au plan, le nucléaire a forcément devant lui des jours radieux.

« Un immense risque industriel »

La situation est un peu différente aujourd’hui. Aucun réacteur n’a été mis sur le réseau depuis celui de Civaux 2 (Vienne) en 1999. Le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville (Manche), dont la construction a débuté en 2007, est le seul actuellement en chantier dans l’Hexagone <https://www.lemonde.fr/energies/article/2018/10/26/nucleaire-pas-de-decision-sur-la-construction-de-nouveaux-epr-avant-2021_5374694_1653054.html> . Résultat : les réacteurs français risquent de devoir être arrêtés presque tous en même temps.

« Le débat sur la feuille de route énergétique de la France a mis en lumière un immense risque industriel : notre parc nucléaire vieillit et il n’est pas éternel », résume Nicolas Goldberg, de Colombus Consulting. Même dans un scénario maximaliste qui verrait tous les réacteurs prolongés jusqu’à leurs 60 ans, la France passerait entre 2038 et 2050 de 63 gigawatts de capacité installée à… 14 gigawatts. Soit une baisse radicale de 75 % de la production d’électricité nucléaire en un temps record. C’est ce qu’on appelle l’« effet falaise ».

Autrement dit : il est urgent de prévoir la suite. C’est un des arguments des partisans d’une fermeture anticipée de centrales nucléaires. Selon eux, il faut à la fois développer les énergies renouvelables pour compenser la fermeture de centrales et, surtout, programmer le plus en amont possible la fin des réacteurs, pour ne pas avoir à tout gérer en même temps.

Les coûts du démantèlement sont encore mal connus

« Ce qui va compter dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie [PPE], c’est le sérieux de la trajectoire. Un scénario qui consisterait à fermer en série très rapidement n’est pas crédible, et politiquement infaisable », prévient Michel Colombier, directeur scientifique de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et président du comité d’experts de la PPE.

Or c’est précisément ce que défend EDF : pour atteindre 50 % de nucléaire dans la production d’électricité en 2035, l’entreprise propose de commencer à fermer des réacteurs à partir de 2029. Ce qui signifie deux à trois fermetures de réacteurs par an, un rythme qui semble difficile à tenir. Sans compter que les coûts du démantèlement sont encore mal connus.

C’est une des raisons qui pousse la filière nucléaire à plaider pour une reprise rapide de la construction. « Pour que de premiers EPR soient pleinement opérationnels en 2030, il est essentiel que cette réflexion soit engagée d’ici 2020 », note Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire.

Mais même le scénario favori d’EDF – la construction de six EPR outre celui de Flamanville entre 2030 et 2050 – serait largement insuffisant pour combler le déficit créé par les fermetures d’un parc en fin de vie. « Même en cas de politique favorable au nucléaire, avec deux EPR construits en 2030 et une paire tous les cinq ans jusqu’en 2050, la nouvelle puissance disponible ne serait que de 18 gigawatts en 2050, insuffisante pour compenser la perte de 49 gigawatts de puissance », note M. Goldberg.

Par Nabil Wakim, publié le 21 novembre 2018

https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/11/21/l-effet-falaise-ou-pourquoi-il-faut-preparer-des-fermetures-de-centrales_5386293_3234.html