Avec le Covid-19, les débats et critiques sur le mécanisme d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) atteignent leur paroxysme. Jusqu’à pousser Total à attaquer EDF en justice. Et sa révision en cours pourrait ne pas régler les problèmes de fond.
La crise du Covid-19 est-elle une cause de force majeure ? C’est cette question que des concurrents d’EDF, comme Total Direct Énergie, veulent trancher devant les tribunaux. Avec le confinement, la consommation d’électricité a chuté de 15 à 20 % chez les professionnels du fait du ralentissement économique, mais aussi chez les particuliers, certains Français s’étant regroupés sous un même toit. Les prix de marché de l’électricité sont passés d’environ 50-55 euros le mégawattheure (€/MWh) en début d’année à 20 €/MWh.
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Les fournisseurs d’énergie alternatifs, qui ont massivement acheté à EDF de l’électricité nucléaire au tarif Arenh (Accès réglementé à l’énergie nucléaire historique) de 42 euros le mégawattheure, se retrouvent donc avec des volumes d’électricité commandés en trop sur les bras, qu’ils sont obligés de vendre à un prix inférieur en moyenne de plus de 60 %. Certains jours comme les dimanches, les prix de l’électricité sur les marchés devenant même négatifs.
Une clause à double tranchant
Pour stopper cette situation, les fournisseurs ont cherché à faire jouer la clause de force majeure, prévue à l’article 10 du contrat Arenh, qui est définie comme « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables« . Une définition plus avantageuse que celle des autres contrats d’énergie, car « prévue initialement pour protéger EDF, si par exemple il se trouvait dans l’impossibilité de fournir les volumes commandés« , analyse Julien Tchernia, président du fournisseur alternatif Ekwateur. Ce dernier reconnaît d’ailleurs qu’il n’a pas réussi à casser les autres contrats d’énergie pour cas de force majeure.
Limiter les dégâts de tout côté
Mais EDF estime que les conditions de force majeure ne sont pas remplies, alors que lui-même a dû revoir à la baisse ses prévisions de production d’électricité nucléaire de près de 30 % les ramenant à 300 TWh en 2020 contre 375 à 390 TWh prévus initialement) et entre 330 TWh et 360 TWh en 2021 et en 2022. L’opérateur historique est appuyé dans sa décision par la Commission de régulation de l’énergie, que le Conseil d’État, saisi par deux associations de fournisseurs, n’a pas contredite. EDF a néanmoins concédé des délais de paiement à l’ensemble des fournisseurs et des aménagements supplémentaires aux acteurs les plus fragiles. Pas de quoi calmer les fournisseurs qui, comme EDF, cherchent à limiter les dégâts causés par cette crise aussi inédite que brutale.
Chacun dans son droit
Chacun est pourtant bien dans son droit. Pour EDF, l’Arenh joue pour une fois en sa faveur. Asymétrique, le mécanisme Arenh l’oblige depuis 2011 et jusqu’à 2025 à vendre dans des contrats annuels parfois jusqu’à 30 % de sa production au tarif de 42 euros à ses concurrents, mais également à certains électro-intensifs comme Arcelor Mittal, SNCF Energie, Solvay ainsi qu’à RTE et Enedis pour compenser les pertes de réseau (26 TWh en 2020). Mais il n’oblige en rien ses concurrents à y souscrire lorsque les prix de marché sont inférieurs au prix Arenh. En 2020, alors qu’EDF est obligée de réduire sa production et d’arrêter des réacteurs cet été, l’Arenh lui permet donc d’assurer la rentabilité d’au moins un tiers de sa production. Les fournisseurs alternatifs, eux, mettent en avant le droit de leurs clients à bénéficier du tarif Arenh, qui garantit à tous un tarif de l’électricité en France parmi les plus bas d’Europe.
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Un mécanisme inadapté…
Cette nouvelle crispation autour de l’Arenh est néanmoins symptomatique de l’inadéquation de ce mécanisme aux enjeux énergétiques et climatiques auxquels sont confrontés les acteurs du pays. Il pénalise EDF dans ses capacités à financer son développement (l’Arenh aurait représenté un manque à gagner de 10 milliards d’euros) sans inciter les autres fournisseurs à investir dans des outils de production. Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, a d’ailleurs fait de la révision de cette régulation une condition sine qua non à la réforme du groupe et à l’avancée de son projet Hercule. Elle a été lancée par la CRE, avec notamment l’idée de la création d’un corridor de prix et l’inclusion dans le mécanisme de la production future de l’EPR de Flamanville. Et fait l’objet d’une consultation.
… en cours de révision
Mais les avis sont de partout assez défavorables. Conçu pour tordre le coup aux règles de libéralisation du marché de l’énergie voulue par Bruxelles, l’Arenh est depuis le départ source de critiques. La Commission européenne reproche notamment à la France de ne pas publier les règles claires de calcul du prix et de ne pas le faire évoluer. Les fournisseurs alternatifs, eux, voudraient bien que les volumes soient adaptés à leur besoin, quand EDF souhaiterait pour sa part que le mécanisme lui garantisse de quoi investir dans la construction d‘un nouveau parc nucléaire. Et personne n’est content.
Par Aurélie Barbaux, publié le 29/04/2020 à 08h47, mis à jour le 29/04/2020 À 11h30
Photo en titre : Au cœur d’un conflit entre EDF et les fournisseurs alternatifs, les contrats Arenh (l’accès régulé à l’énergie nucléiaire historique) passés en 2020. © Philippe Put – Flickr – C.C
https://www.usinenouvelle.com/article/conflit-de-force-majeure-sur-l-arenh-entre-edf-et-ses-concurrents.N958846
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