LE CASSE-TÊTE DES ARRÊTS DE TRANCHE À RALLONGE POUR LA MAINTENANCE DU PARC NUCLÉAIRE D’EDF

Désorganisation liée au Covid-19, problème de compétences, surestimation des travaux d’allongement de la durée de vie des réacteurs… EDF revoit la maintenance du parc nucléaire.

La maintenance d’un parc nucléaire de 58 réacteurs n’a jamais été un long fleuve tranquille. Chute de générateur de vapeur à Paluel (Seine-Maritime), non-conformité de matériels livrés par Creusot Forge à Fessenheim (Haut-Rhin), digues trop courtes à Tricastin (Drôme)… Les travaux imprévus ne cessent de s’accumuler. Le parc vieillissant, l’entretien de 18 centrales encore en activité avec la fermeture définitive de Fessenheim le 30 juin 2020, vire au casse-tête. Surtout quand une pandémie mondiale s’en mêle. Si cette dernière oblige EDF à revoir tout son planning d’arrêts de tranche pour rechargement de combustible, de visites partielles et décennales en 2020, 2021 et 2022, elle n’est pas le seul souci de l’énergéticien français.

C’est à Flamanville (Manche) que se trouve actuellement l’épicentre des problèmes de maintenance. Et pour une fois, le catastrophique chantier de l’EPR n’y est pour rien. Ce sont les diesels de secours des réacteurs de Flamanville 1 et 2, de 1 300 mégawatts (MW), qui empêchent la centrale de redémarrer depuis plus de dix-huit mois. Alors que le réacteur 1 avait été remis en service après une visite décennale des trente ans plus longue que prévue, des contrôles réalisés durant celle de la tranche 2 ont détecté des anomalies sur le circuit auxiliaire de diesel et la station de pompage. Par conséquent, EDF a contrôlé à nouveau la tranche 1, où le même type d’anomalie a été détecté, obligeant l’opérateur à arrêter le réacteur 1 une semaine après la mise en service, en septembre 2019. Depuis la centrale est toujours à l’arrêt. Et ne redémarra pas avant octobre, la crise du Covid-19 ayant encore retardé les opérations de remise à niveau.

Flamanville est « un cas exceptionnel », assure Étienne Dutheil, le directeur de la production nucléaire d’EDF. Selon lui, la situation en bord de mer expose davantage la centrale aux risques de corrosion et le vent ralentit les travaux sur des terrasses. Exceptionnel ? Peut-être pas tant que cela. Le 20 mai, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fait état de défauts de résistance au séisme de matériels des groupes électrogènes de secours de quatre réacteurs, à Cruas (Ardèche), Chinon (Indre-et-Loire) et Gravelines (Nord). En cause, des défauts de montage de raccords en élastomère de tuyauteries et, là aussi, des défauts de corrosion. Pour mémoire, les diesels de secours assurent l’alimentation de la centrale en cas de défaillance du réseau électrique. Leur disponibilité à 100 % est indispensable à la sûreté. La conséquence immédiate de ces détections d’anomalies est un rallongement des durées de visites décennales obligatoires, de six mois en moyenne à huit mois, voire plus. Avec des risques de chevauchement accru des visites décennales sur un même site.

La maintenance passée au crible par l’ASN

Jusque-là EDF a su gérer. Mais le Covid-19 l’a obligé à arrêter 75 % des chantiers de maintenance à la fin mars. Si son plan pandémie lui permettait d’exploiter ses centrales nucléaires avec des équipes réduites, son programme d’arrêts de tranche pour rechargement de combustible, maintenance et visite décennales, opérés à plus de 80 % par des prestataires extérieurs, a implosé. « Les arrêts se rallongeant à cause des effets de la crise sanitaire, on risquait de voir se chevaucher de nouveaux arrêts avec ceux en cours, ce qui aurait mis en péril notre capacité de production », explique Étienne Dutheil, qui en a reprogrammé une trentaine sur 2020 et 2021 et a revu son programme de maintenance jusqu’en 2022. Et EDF a dû arrêter quatre réacteurs pour économiser du combustible afin d’être sûr de passer les prochains hivers.

Le groupe est aussi confronté à deux problèmes de compé­tences pour la maintenance de son parc. La culture de la sûreté nucléaire ferait défaut à certains de ses prestataires, alerte depuis plusieurs années l’ASN, qui, dans son rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2019, a encore épinglé EDF sur son manque de rigueur d’exploitation. L’ASN pointe également un risque de « saturation des capacités d’ingénierie » chez EDF lui-même. En cause, le Grand carénage. Le programme pour prolonger la durée de vie des réacteurs de quarante à cinquante ans est qualifié de « très ambitieux » par Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN. Il nécessite d’importants travaux préparatoires. Or « les ressources d’EDF en ingénierie sont limitées et extrêmement sollicitées », observe le président de l’ASN.

L’an passé, toutefois, EDF a réalisé « dans des conditions satisfaisantes la quatrième visite décennale de l’un de ses réacteurs 900 MW sur le site de Tricastin », reconnaît-il. Ce chantier a nécessité sept mois d’arrêt du réacteur, pour réaliser plus de 30 000 opérations et contrôles en mobilisant 5 000 personnes. Mais la fin des travaux de prolongation à cinquante ans ne sera réalisée qu’en 2024. Et Bernard Doroszczuk s’interroge sur « la capacité d’EDF à mobiliser de tels moyens à l’avenir sur les autres réacteurs et donc à assurer avec succès, dans des plannings réalistes, les réexamens de sûreté « . Or certaines années, l’énergéticien prévoit quatre à cinq visites décennales pour porter à cinquante ans l’exploitation des premiers réacteurs recarénés !

Conscient de ses limites, EDF a prolongé la durée du programme de Grand carénage jusqu’en 2030, au lieu de 2025. Ce qui n’est pas du goût de l’ASN, qui doit encore rendre son avis début 2021 sur la méthode et les opérations que le groupe propose de mener pour amener les 32 plus anciens réacteurs à cinquante ans, avec un niveau de sûreté équivalent à celui des réacteurs de troisième génération de type EPR. L’ASN demandera sans doute des améliorations supplémentaires, qui renchériront les délais et les coûts du programme.

Dérapage annoncé du Grand carénage

Démarré en 2014, le Grand carénage, programme de maintenance des 56 réacteurs nucléaires en activité et de prolongation des 32 tranches de 900 MW à cinquante ans, devait être achevé en 2025 et coûter 55 milliards d’euros. EDF a annoncé avoir réduit le coût à 45milliards d’euros « grâce à une optimisation du projet et à un report au-delà de 2025« . Les troisièmes visites décennales des 20 tranches de 1300 MW lancées en 2015 seraient bien réalisées d’ici à 2025, mais seuls les trois quarts des décennales du palier de 900 MW seraient achevés à cette date.

Par Aurélie Barbaux, publié le 18/06/2020 à 16h59, mis à jour le 18/06/2020 à 17h29

Photo en titre : La quatrième visite décennale de la centrale du Tricastin (Drôme) a comporté 30 000 opérations et nécessité sept mois d’arrêt.

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